Le jeune imam, c’est l’histoire d’Ali Diallo, un adolescent rebelle de 14 ans. Par peur de le voir mal tourner en France, sa mère décide de l’envoyer au Mali, dans son village natal, pour le remettre sur le droit chemin. Il intègre une école coranique. Une décision importante et brutale, tant pour cette maman que pour son fils. Ali apprend alors les fondements de l’islam avec son oncle, qui deviendra au fil du temps sa figure paternelle.

Après 10 ans au Mali, il fait son retour en France, en banlieue parisienne. Transformé par la religion, il souhaite devenir l’imam de la cité. Ses prêches séduisent la nouvelle génération qui se rend beaucoup plus à la mosquée. Grisé par ce succès inattendu dans le quartier et sur les réseaux sociaux, le jeune homme veut aller plus loin et souhaite que les musulmans du quartier fassent leur pèlerinage à la Mecque. Son excès d’ambition va lui faire commettre des imprudences. Finalement, même le religieux n’échappe pas aux mutations technologiques.

Il ne s’agit pas seulement d’un récit sur la religion. Cette œuvre évoque aussi la reconstruction d’un lien familial universel entre une mère et son fils. Une filiation brisée par la décision brutale de la mère, qui renait petit à petit. Chacun peut s’y reconnaître. Par ailleurs, on notera l’excellent jeu d’acteur d’Abdullah Sissoko et d’Hady Berthé, notamment.

La représentation de la communauté musulmane est encore un sujet complexe dans le cinéma français. Mais ce film bouleversant réussit la prouesse de ne pas tomber dans les clichés. Le réalisateur, Kim Chapiron dévoile un islam de l’intérieur, met en avant un lien intergénérationnel touchant dans cette mosquée. Un cinéaste incrédule et fier face aux premiers chiffres de son film. Ce dernier totalise près de 30 000 entrées en quelques jours, sur une centaine de copies. Kim Chapiron a accepté de répondre aux questions du Bondy Blog.

Avec Ladj, on a eu cette idée de prendre un sujet qui peut faire peur, en France en tous cas, pour en faire une histoire d’amour.

Qu’avez-vous voulu transmettre comme message avec ce film ?

Le film aurait pu s’appeler “la maman de l’imam”. Notre impulsion de départ avec Ladj, ce sont nos mamans, nos mères qui ont grandi à Montfermeil. Nos familles qui ont atterri ici, de leur pays respectif, après la guerre d’Indochine pour moi et du Mali pour lui. Ce film, c’est avant tout un hommage à ces grandes dames, ces grandes femmes qui nous ont élevés.

Le but était de montrer sur grand écran l’histoire de cette femme qui est confrontée à des impasses, des embûches. C’est ce qu’on aime au cinéma, voir des personnages se débattre avec leurs émotions.

La différence principale avec mes films précédents, où je me racontais à travers toute la bande de Kourtrajmé, c’est que cette fois, je m’éloigne de mes terrains de prédilection. Dans ce film, je traite de la famille et la différence, c’est que dans une famille, on ne peut pas tricher, on est obligé d’enlever son costume du grand théâtre social.

Ce film, c’est l’histoire d’une double blessure que l’on vit aussi bien du côté du petit garçon abandonné que du côté de sa mère. Avec Ladj, on a eu cette idée de prendre un sujet qui peut faire peur, en France en tout cas, pour en faire une histoire d’amour.

Quelles ont été les premières réactions aux avant-premières ?

Plusieurs spectateurs m’ont dit que c’était la première fois qu’ils rentraient dans une mosquée avec ce film, et j’en suis ravi. J’espère que ça va permettre de faire sauter tous les fantasmes que certains peuvent avoir quand on parle d’islam.

Quand on arrive avec ce film, ça fait peur à la fois aux musulmans et aux non-musulmans. Lors d’une avant-première, un homme nous a dit que le titre et l’affiche du film lui ont justement fait peur. Aujourd’hui, on est forcément embarqué dans ce tourbillon politique, mais il est important de se saisir de ce sujet, de s’en emparer. C’est assez inédit.

À partir du moment où on a les vrais gens, et qu’on arrive avec un miroir qui n’est pas déformant, on est soutenu.

Quelle a été votre méthode de travail dans la représentation de la communauté musulmane ?

Le film s’est fait avec la communauté, pour avoir le point de vue des concernés. Nous avons présenté le scénario au président de la grande mosquée de Montfermeil, dans un endroit qui n’a pas l’habitude d’être confronté au milieu du cinéma. La grande mosquée nous a ouvert ses portes, idem avec celle d’Aulnay-sous-Bois. On a eu de l’aide des fidèles, de tout le monde. À partir du moment où on a les vraies gens, et qu’on arrive avec un miroir qui n’est pas déformant, on est soutenu.

Par ailleurs, Abdullah Sissoko a lui-même fait une école coranique au Mali à Bamako. D’autres personnes du film sont concernées par le monde religieux. Quand on traite d’un sujet aussi fragile, on est dans une obligation de rigueur et c’est un exercice génial pour moi. Il n’y a pas un seul regard ou mot qui est là par hasard. Ce sont des sujets beaucoup trop précis pour pouvoir improviser. Tout doit avoir du sens et raconter quelque chose : la musique, la mise en scène, la façon de bouger, de parler. En tant que technicien du cinéma, c’était une expérience bouleversante.

Nous avons fait appel à l’islamologue Rachid Benzine en tant que consultant sur le scénario pour faire attention à ne commettre aucun faux pas et être très respectueux de la communauté, que ce soit envers les croyants et les non-croyants.

Les acteurs Abdullah Sissoko et Hady Berthé sont impressionnants, il s’agit pourtant de leur premier rôle au cinéma. Comment s’est déroulée cette collaboration ?

Ce sont des acteurs incroyables, qui ont chacun un rapport au jeu très différent. Leur prestation a été reconnue par la profession et j’en suis ravi. Abdullah venait du théâtre et ça m’a facilité les choses, mais il a dû changer sa manière de jouer, c’était particulièrement intéressant à voir.

On est tombé sur Hady Berthé d’une manière totalement inattendue. C’est la maman d’un pote de l’équipe de casting. Hady est arrivée dans la salle et elle nous a ouvert son cœur pour le personnage. Elle a incarné de manière magistrale toutes les émotions que l’on voulait évoquer.

C’était un énorme pari. Trouver une femme malienne qui puisse incarner cette maman et raconter ses émotions devant tout le monde, c’était pas gagné. Jouer la comédie, dire ce que l’on ressent devant une caméra, c’est se faire souffrance et nos mamans n’ont pas l’espace pour le faire.

Hady est aussi danseuse et elle faisait partie d’un orchestre malien. Elle avait déjà ce truc d’expression et la faire rentrer dans l’acting c’était plus simple grâce à ça.

Vous avez voulu démontrer que le religieux était aussi impacté par les mutations technologiques ?

Exactement, c’est l’histoire d’un jeune homme qui vit avec son temps, il exerce sa fonction avec les outils de son époque qui sont digitaux. Il entre dans cette grande cacophonie et dans ce chaos numérique avec imprudence. Un des aspects de notre film est que nous sommes tous confrontés au culte de la personnalité, compliqué à éviter sur les réseaux sociaux.

Montrer comment le religieux n’échappe pas aux mutations technologiques, c’est raconter notre époque. J’ai voulu comprendre ce qui faisait autorité à ce moment-là : le nombre de followers ou les connaissances ? Je laisse le choix aux spectateurs de décider et nous, on raconte justement un personnage qui se confronte à cette question.

On a vu des familles sur trois générations regarder notre film et c’est un cadeau inimaginable d’assister à ça.

Est-ce que l’on peut affirmer qu’il est question d’une histoire universelle dans ce récit entre une mère et son fils ?

C’est complètement universel. C’est aussi très personnel, car en tant que non musulman, c’est une histoire que je ressens, qui me touche à tous les niveaux. Quand il est question de l’humain, ça doit trouver un public partout. J’ai hâte de commencer à voyager avec ce film. À partir du moment où on parle d’une histoire entre une mère et son fils, ça touche tout le monde.

Ma fille de 8 ans a adoré le film. Toufik Ayadi un des producteurs du film a amené son père pour la première fois au cinéma. Abdullah Sissoko a amené sa maman pour la première fois aussi. On a vu des familles sur trois générations regarder notre film et c’est un cadeau inimaginable d’assister à ça. C’est fou à vivre et en tant que raconteur d’histoire, c’est très puissant.

À travers ce film, j’invite les gens à passer une heure et demie avec nous pour rentrer dans le monde de la nuance et de la complexité parce que ces sujets contemporains qui nous habitent tous sont d’une énorme complexité. Je pense que passer par l’intime, c’est le meilleur endroit pour parler de tout ça.

Aïssata Soumare

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