19h30 : Je fais mon entrée au Trabendo devant les chevaliers de la dernière chance postés aux aguets pour tenter de racheter, in extremis, une place pour le concert de ce soir.  La salle est pleine et l’ambiance est au beau fixe à en juger par les mines réjouies qui m’entourent. Ça rit et fait connaissance autour du bar, pendant que tout se met en place sur scène.

20h : Les lumières s’éteignent, les premières notes de musiques sont lâchées, la salle s’échauffe. Alors que Malone clôture la première partie, la foule, qui occupe les quelques 700 places disponibles, trépigne pendant que le portrait géant de Disiz est installé sur scène.

21h : « C’est plus que du rap… Je reprends ma place ». C’est parti pour une heure et demie de show sans surenchère ni discours inutiles, les tracks s’enchaînent au rythme d’une prestation à cœur ouvert à se demander où il réussit à puiser une telle énergie. Disiz chante, danse, saute et les chansons se suivants se font aussi éclectiques que le public qui les écoute. Les fans de la première heure se sont déchainés à la reprise de J’pète les plombs pendant que les nouveaux arrivants dans la Disizosphère ont repris avec un enthousiasme non mesuré et encore moins contenu les refrains de Mon amour.

22h30 : Disiz quitte la scène sans rappel en remerciant son public la main sur le cœur et nous délecte des images d’un clip inédit à venir. La foule quitte, la voix éteinte – qui a dit que faire le public était de tout repos – le Trabendo à petit pas.

J’ai alors un petit moment pour tenter de retrouver un semblant de voix  – et d’essayer d’enterrer loin la groupie attitude – dans le but de paraître un minimum crédible avant de le rencontrer. En l’an 2000 et à la sortie de  J’pète les plombs, j’avais tout juste 8 ans et je n’aurai donc pas la prétention de dire que je suis l’artiste depuis ses début mais je suis rentrée chez moi ce soir là, heureuse d’une rencontre avec un artiste qui a beaucoup évolué en emmenant son public avec lui, pour, le plaisir de nos oreilles.

Raconte nous un peu comment on fait un retour aussi réussi qui conduit à avoir une salle complète.

C’était vraiment pas gagné ! Quand j’ai décidé de faire Lucide je n’avais plus de maison de disque, les gens autour de moi n’y croyaient plus… Normal j’étais un artiste qui ne vendait plus. Mais moi, comme un boxeur qui croyait encore en son truc, j’me suis dit : il faut que j’y aille ! Il faut je fasse un dernier truc, que je livre ma dernière bataille !  La sortie du disque et la première scène n’ont pas redonné confiance à tout le monde et après La Boule Noire il y a quelques mois, j’ai décidé de louer une salle sur Paris, d’une assez grosse capacité, pourquoi pas le Trabendo, sans aucun fonds et seul avec mon associé. Ce soir, la salle était pleine !

Challenge réussi ?

Ce n’est pas tant une question de challenge mais c’est plutôt comme dire « je t’aime » à quelqu’un, t’es anxieux, et t’es empli de doutes et d’incertitudes jusqu’à ce que la personne en face te dise je t’aime en retour. Et c’était exactement ça ce soir. C’est ça que j’ai ressenti entre le public et moi !

D’ailleurs, en parlant de ton public, trois ans après, tu trouves qu’il a changé ?

Quand j’ai demandé à ce qu’on éclaire bien le public pendant le concert j’ai vu des Blancs, des Noirs, des Arabes, des mecs qui venaient de quartiers un peu riches, des mecs de tess (cité) des gens un peu plus âgés au fond… Et c’que je vais dire est super cliché et plein de beaux mots un peu creux mais c’est ça la France que j’aime, c’est la France dans laquelle je vis et c’est la France qu’on ne m’a pas envoyée pendant longtemps. Sinon je sens que le public a muté un peu. J’ai toujours été à part dans le rap – quand j’ai fait Peter Punk par exemple –  des fois ça marche, des fois non. Une chose est sûre, ça déroute les gens et Lucide est la parfaite symbiose entre tous mes aspects artistiques : un côté littéraire, un côté rock dans les instrus et une base rap dans  la rythmique. Et le plus important reste que je sais à qui je m’adresse et les gens ont compris ça et sont toujours là !

Quand t’as quitté la scène rap tu disais que t’avais plus rien à dire dans le rap et tu reviens, au vu du nombre de titres, visiblement pour un moment.

Il n’y avait plus cette lumière et plus rien ne m’excitait comme quand j’étais jeune. J’étais dégoûté du rap et de la tournure que ça avait pris à l’époque. J’me suis dit :  il vaut mieux que j’arrête et que je passe à autre chose, parce que je fais les choses avec le cœur et que là, j’y croyais plus. Sauf qu’avec le recul et les messages du public notamment, j’me suis dit qu’il aurait peut être juste fallut faire le rap que j’aime. Mais c’est comme ça que je reviens aujourd’hui. C’est pas du tout « à la recherche du tube perdu » c’est juste qu’il faut qu’il y ait une part de risque et de sincérité dans ce que je fais. Et c’est cette même sincérité que j’apprécie chez certains artistes que j’ai envie de transmettre à mon public.

Au fil des titres de Lucide on ne peut pas occulter le fait que les jeunes sont très présents dans tes textes. Y a-t-il  un message particulier à faire passer surtout aux jeunes dans les banlieues ou les zones dites difficiles qui t’écoutent ?

J’observe malheureusement beaucoup de ce que j’appelle de l’auto-ségrégation ou le fait de se dire tout seul : là j’ai pas ma place en se basant sur des critères subjectifs. C’est ce que je me suis dit à l’écriture de mon premier roman, Les derniers de la rue Ponty. Mais finalement le truc c’est juste : mec, écrit, fin. Que, plus tard, ce sera plus dur pour toi notamment parce que t’auras grandi en banlieue, tout le monde le sait, Ok mais… Vas-y, essaie quand même. Il est là le message. Bouge les lignes et une fois que t’auras été au bout tu pourras dire sous le plafond de verre : Ah bah le plafond est effectivement de verre ! Parce sinon, certes, tu le sais, tout le monde te le dit mais toi, personnellement, t’auras pas fait la démarche d’aller voir par tes propres yeux ce plafond là. Stop l’autocensure donc… J’arrive à le dire un peu mieux dans mes textes, parce qu’il y a une part de poésie dans ces genres de parcours… Et c’est ce que je dis à mes enfants : « T’es Noir et t’as un prénom musulman mais si tu passes ton temps à te dire, oui pour moi ça va être plus dur, tu vas perdre énormément de temps sur des questions inutiles et sur lesquelles, en plus, tu peux pas changer grand-chose – comme la couleur de ta peau. Le tout, est, sans avoir la solution miracle, d’au moins rester positif et d’y croire ».

Pour finir, après Disiz aka LaPeste, aka Peter Punk, tu reviens en tant que Disiz tout court …

Oui ! C’est finalement moi. Avec le recul je serai peut-être revenu sur scène avec mon vrai prénom : Sérigne parce que je ne joue pas un rôle. Ça me fait du bien et j’espère que ça fait du bien aux gens.

Propos recueillis par Jihed Ben

Photo : BALTEL/SIPA

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