Pour un footeux lambda, Saint-Denis rime avec Stade de France et ses matchs mythiques. Pour les férus d’histoire, ce serait plutôt la Basilique et les tombeaux des rois de France. Mais aux yeux des amateurs d’art urbain, la cité dionysienne, c’est plutôt la Street Art Avenue. Depuis son lancement en 2016, à l’occasion du dernier Euro, l’office du tourisme Plaine commune Grand Paris organise une visite guidée de cette galerie à ciel ouvert d’œuvres d’art urbain située le long du canal Saint-Denis, entre la Villette et le Stade de France en passant par Aubervilliers. Pour cette quatrième édition, quatre nouvelles fresques se sont ajoutées à une vingtaine d’œuvres exposées sur des façades de tunnels, façades ou maisons, réalisées par des artistes locaux et étrangers.

Pour partir à la découverte de ces dessins atypiques, je me pointe au rendez-vous devant l’hôtel Novotel – Place de Paris. La visite est payante. Dix euros, tarif normal à régler en amont sur le site de l’office du tourisme. Le lieu de rendez-vous est relativement fréquenté. En tournant la tête, on voit ainsi une station de tram et de métro, des bureaux, des commerces et l’imposant Stade de France à quelques pas de là. Après avoir brièvement patienté au milieu des vendeurs de cigarettes, je suis rejoint par neuf personnes dont Nicolas, médiateur du MUR (Modulable Urbain Reactif) 93, qui anime les visites de la Street Art Avenue depuis son ouverture.

Nicolas fournit à chacun d’entre nous une brochure retraçant toutes les œuvres du parcours des différentes saisons. La visite peut commencer. Mieux vaut aimer la marche car elle dure deux heures. Une seule traversée piétonne et nous arrivons près de la première fresque tout en couleur baptisée La Dewolf – Le Réveil de Jupiter, près du canal sous le pont de la nationale 1. « On est vraiment dans un coin où ça bosse », lance d’entrée Nicolas aux visiteurs. Munis de leur brochure, ces derniers sortent smartphones ou appareil photo pour immortaliser d’un clic les premières façades.

En voulant prendre un cliché, une femme s’attire l’hostilité d’un inconnu, celui-ci croyant être visé par la capture. Après un léger accrochage verbal entre ce dernier et Nicolas, la visite reprend. Malgré le froid et le temps maussade, personne ne semble être pressé de terminer le parcours. Sandra, gestionnaire fournisseur résidant dans le 19ème arrondissement, a été branchée par une amie : « J’ai déjà admiré des fresques dans des quartiers de Copenhague, Madrid ou encore Lisbonne, souligne la jeune femme de 30 ans. L’art urbain s’est beaucoup développé mais pas assez mis en avant à Saint-Denis. La canal est le coin idéal pour se promener même si je ne me baladerais pas toute seule le soir ».

Haïti, mythologie égyptienne et poésie d’Aimé Césaire

Les fresques suscitent à la fois l’admiration et l’interrogation des visiteurs. « Comment sont définis les thèmes ? Est-ce qu’il en faut ou pas nécessairement ? », questionne l’un d’eux. « Les artistes choisissent en fonction du mur et non de l’environnement. Ils sont influencés par la technique et l’univers artistique », répond Nicolas.

On s’arrête un instant devant une autre fresque réalisée sur la façade d’un bâtiment, situé rue Danielle-Casanova à Saint-Denis. « Elle a été réalisée par un duo d’artistes hollandais, Telmo Pieper et Miel Krutzmann, plus connu sous le nom de Telmo Miel, nous renseigne Nicolas. Ils l’ont peinte en quatre jours, mettant en avant un univers plutôt romantique par rapport aux couleurs de la fresque ».

La peinture ne laisse pas indifférent certains passants. Elle attire le regard de l’un d’entre eux, prénommé Ilyès. Avec mon anglais approximatif, je tente d’engager une petite conversation avec ce jeune Somalien installé à Paris, près de la porte de la Chapelle. Lui aussi apprécie la couleur et l’aspect « professionnel » de l’œuvre batave. Ilyès repart avec ses deux amis, le groupe et moi-même prenons le chemin inverse, retournant le long du canal Saint-Denis.

La marche débouche sur la vue d’une peinture géante d’un enfant haïtien recouvrant la façade d’un immeuble de sept étages de la cité du Franc-Moisin, à Saint-Denis. « C’est une photo prise en 2016 en République dominicaine. C’était un migrant qui venait d’Haiti, nous raconte Nicolas. C’est l’image d’un enfant fort mais qui n’est pas violent car il n’est pas en train de lancer des pierres. Il cherche du regard quelqu’un au loin, à l’horizon ».

En face de la cité du Franc-Moisin, l’oeuvre de CASE Maclaim

Un nouveau passant, Anthony, s’arrête alors au milieu du groupe. La main chargée de prospectus, ce galeriste d’art de La Courneuve se félicite de l’initiative qu’il croise aujourd’hui dans la rue. « C’est bien que l’espace public soit repris par des artistes…», se félicite-t-il. « Ça vous dit de faire la visite avec nous ? », l’interrompt aussitôt Nicolas, soucieux de respecter la durée établie pour la randonnée. Anthony accepte de suivre le groupe avant de décrocher. S’il applaudit la démarche concernant la Street Art Avenue, il fustige la présence des « technocrates bobos qui n’habitent pas dans le coin ». « Ils organisent des réunions de quartier où trois ou quatre personnes viennent seulement. C’est pas une approbation populaire ». A défaut de contempler les œuvres, ses yeux se rabattent sur deux canards se déplaçant tranquillement sur le canal. « La présence de canards signifie que l’eau est moins polluée. C’est bon signe », sourit-t-il.

La tête ailleurs, Anthony ne poursuivra pas la visite, préférant repartir chez lui pour faire la sieste. Il ne verra pas l’une des nouveautés de la saison. Une façade en trois dimensions dessinée sous le pont du RER B à Aubervilliers. Cette fresque en format 3D colorée, on la doit à l’artiste britannique Roid MSK, qui s’est inspiré des bugs informatiques et de la musique des années 80.

L’oeuvre de Roid

En longeant le canal, on s’arrête devant une représentation des dieux de la mythologie égyptienne signée du « Funky Deco Group / Egyptian Riddim » (oui, c’est un peu long). Sur le mur, on voit deux divinités s’exercer au hip-hop. A leur gauche, deux mortels posent de l’argent sur une balance afin de participer à la fête aux côtés d’Anubis, Horus et son père Osiris, souverain des Morts. On contourne le bâtiment et on tombe sur une peinture retraçant l’histoire de l’entreprise de recyclage de fers et métaux Costella, boulevard Félix Faure, à Aubervilliers. Deux heures de marche se sont écoulées et le parcours n’est toujours pas terminé.

Le groupe n’arrive pas à se détacher du regard de ce long mur d’enceinte.  Avant de se retirer, Nicolas nous montre une fresque représentant un tyrannosaure graffeur tenant une bombe de peinture entre ses griffes. Une vision née de l’imagination d’un sextuor d’artistes : Jungle, Basto, Carlos Olmo, Yarps, Crey 132 et Tarek Ben Yakhlef. Certains rentrent chez eux, je continue la visite avec trois personnes restantes. Je m’arrête ainsi devant une petite fresque particulière sur ma gauche. Là, je constate que la poésie est venue s’ajouter à la peinture. Ce sont les mots du poète Aimé Césaire qui légendent la façade du square qui porte son nom, à Aubervilliers. Le poème « Soleil Serpent » est inscrit en noir et blanc sous les yeux des passants.

Kazy Usclef sur le square du muret Aimé Césaire à Aubervilliers Hommage au Poème d’Aimé Césaire Soleil Serpent

La balade s’achève s’achève dans le 19e arrondissement avec mon regard posé sur le dessin « Kabamba » de Guate Mao, réalisé sur l’un des poteaux soutenant le boulevard périphérique. La balade se termine quasiment à la tombée de nuit. Deux heures et demi de marche à la découverte du street art urbain sous un samedi presque hivernal. Pour voir toutes les œuvres du parcours dans l’ordre, il faut se renseigner auprès de l’office du tourisme Grand Paris. Pour les aventuriers, le canal Saint-Denis sera la seule et unique boussole.

Fleury VUADIAMBO

Crédit photo : FV / Bondy Blog

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