De la découverte du chant lyrique à l’enregistrement de chants traditionnels issus des populations immigrées pour une œuvre collective : c’est le grand écart assumé par les équipes de Sequenza 9.3 depuis deux décennies en Seine-Saint-Denis. Une association de médiation culturelle où productions originales, concerts mais aussi partage sont les maîtres mots.

Il y a des barrières sociales, et surtout dans un sens. On ne cherche pas un choc esthétique mais l’idée c’est de savoir que c’est possible.

Tout l’été, l’association a notamment proposé des « Jardins Lyrique », une suite de concerts gratuits en plein air dans des parcs de Seine-Saint-Denis afin d’éveiller la curiosité d’un public éloigné du chant lyrique. Tout au long de l’année, l’équipe de Sequenza 9.3 intervient dans le cadre d’ateliers au sein de centres sociaux ou encore d’écoles pour tenter de « briser la barrière de la légitimité », avec le lyrique hanté par une image de classe : âgé, blanc, bourgeois et faisant partie intégrante d’un corpus culturel pensé légitime, surtout inaccessible. « Il y a des barrières sociales, et surtout dans un sens. On ne cherche pas un choc esthétique mais l’idée c’est de savoir que c’est possible », explique Laurent Mercier, médiateur de l’ensemble vocal Sequenza 9.3.

Réunir les habitants autour de la musique, quelle qu’elle soit. C’est le pari réussi de Sequenza 9.3 depuis 20 ans.

On souhaite que les gens puissent s’approprier et se réapproprier ce chant dans leurs univers.

« Ces ateliers avant un concert en plein air où il y a de la mixité sociale permettent de créer un pont vers le chant lyrique qui est peu connu. Un simple concert ne suffit pas, car il existe toujours des limites, il faut aller vers le public », révèle Claude Grudé, chargée d’action culturelle à Sequenza 9.3. En bref, Sequenza tente d’entrer dans l’espace de ces personnes éloignées de ce genre musical, pour des raisons de goût, d’appréhension, de méconnaissance ou de légitimité. « On souhaite que les gens puissent s’approprier et se réapproprier ce chant dans leurs univers. C’est pourquoi les samples sont aussi intéressants. Je pense que la plupart des gens peuvent apprécier ce style, même sans le connaître. Il faut juste faciliter l’accès. » analyse-t-elle.

Découvrir de nouveaux aspects dans le rapport à la musique en général

Ce jour-ci à Bobigny, une dizaine de personnes se sont réunies pour échanger autour du patrimoine sonore méditerranéen et du rapport à la musique. Laurent, installé sur une chaise, dans le cercle du public réuni, manipule un ordinateur portable et une petite enceinte. Pour briser la glace et la timidité, le médiateur choisit de diffuser une berceuse polyphonique corse. Puis, il invite les participants à échanger. « Qu’est-ce que ça vous évoque ? ». Petit à petit les langues se délient, les sons défilent.

La conversation mène alors à partager une réflexion inattendue sur le patrimoine culturel. Tout le monde n’est pas d’accord mais la discussion suit son cours sereinement. Des idées sont lancées dans le débat, on évoque le rapport intrinsèque à l’identité par la musique. Puis les anecdotes et les références fusent. Fayruz pour le documentariste Wael Sghaier présent ce jour-là, Radio Garden pour Léopold, une comptine bulgare transmise de génération en génération « yaourtisée » pour Alizée et sa sœur. « C’est l’occasion de découvrir de nouvelles choses, et de nouveaux aspects dans le rapport à la musique », décrypte Laurent, le médiateur. Une manière de dire que ces échanges sont toujours enrichissants d’une manière ou d’une autre, quel que soit le public.

Les équipes de Sequenza 9.3 mobilisées pour recueillir les enregistrements les plus variés possibles.

Décomplexer le rapport à la légitimité de la culture musicale

C’est d’ailleurs à partir de cet héritage culturel riche et varié, que Sequenza 9.3 vient de lancer un projet fou : une œuvre collective musicale issue d’enregistrement des habitants pour les jeux olympiques de Paris 2024. Le projet appelé Cantate #2024, réunira ainsi des chants de toutes les cultures des habitants et habitantes de Seine-Saint-Denis, qui participent déjà depuis plusieurs semaines aux dons de chants.

En attendant la sortie de cette œuvre collective, les ateliers continuent et les discussions suivent leurs cours, sur l’évolution du patrimoine musical dans les quartiers. Face aux différentes prononciations du grand titre de Dahmane El Harrachi, repris par Rachid Taha et 1, 2, 3, Soleil, Léopold, animateur au Social Bar perd le fil. « Ya Rayah, ça s’écrit comment ? Je vais te passer mon carnet tout à l’heure pour que tu me l’écrives. »  À la fin de l’atelier, il n’a pas manqué son petit cours d’orthographe. Les petits connaisseurs mettent en garde : attention, celle de Taha ce n’est pas la version originale. Laurent enclenche la discussion sur la réappropriation, avec un brise-glace : Ya Rayah samplé par le rappeur et chanteur de pop urbaine, Hamza. A voir le visage de certains qui se crispent mais ne disent rien, la version de Hamza n’a pas immédiatement charmé le groupe. « Une fois que c’est sur internet, ça va forcément être repris ou remixé. Ça suit son cours », analyse Alizée, participante.

Présent lors de nombreux événements culturels du département, Laurent et Claude étaient notamment au festival Ouishare pour partager avec le public de Bobigny.

Analyser la réappropriation du patrimoine par les jeunes générations

« Est-ce que ça vous fait bizarre une réappropriation d’une musique dans un matériau plus léger ? », questionne Laurent. « Des fois il faut voyager c’est bien, d’autres fois… », répond un participant amusant l’audience qui acquiesce. Quelques fois les classiques paraissent intouchables, mais déposséder les musiques de leur sens initial peut mettre également d’accord. Laurent sort alors sa carte de séduction : Tonton du Bled, sample de Hargatni Eddamaa de l’Algérien Ahmed Wahby.

Discrète participante, Claude Grudé est chargée d’action culturelle à Sequenza 9.3 et organise les ateliers sans les animer. « Aujourd’hui c’est un public érudit », commente-t-elle pour définir un public « à l’aise et qui a du recul sur sa propre culture musicale. »

Légitimer la culture musicale issue de l’immigration. C’est aussi le travail mené sur le terrain par Sequenza 9.3.

 

Le droit de s’affirmer ne doit pas aller uniquement que dans le sens d’un patrimoine culturel validé par des élites. C’est en tous cas l’idée que va continuer de défendre Laurent Mercier. « Dans les ateliers des écoles, par exemple, je rencontre des micro-spécialistes de courants musicaux. Les gens ne savent pas qu’ils ont des connaissances même quand ils en ont parce qu’ils ne les trouvent pas forcément légitimes. »

« Peut-être qu’un parent qui se promène avec ses enfants tous les dimanches au parc va finir par venir écouter. Ce petit pas de plus de ‘ah je peux y aller’, c’est ce qu’il manque à beaucoup de personnes », constate Claude Grudé. Assister à un chant lyrique  au parc met K.O quelques barrières, comme celle des codes vestimentaires qui peuvent brimer ou complexer. Mais la volonté de décloisonner n’est pas celle d’imposer. Même son de cloche chez Laurent Mercier. « On ne va pas changer la société avec le chant lyrique. Les gens peuvent très bien vivre sans. Ce qui est important c’est d’avoir le choix, de décider pour soi-même et de se dire que j’ai le droit, en fait. »

Pour retrouver la liste des prochains dons de chants

Amina Lahmar

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