Sur le parquet du Swag Dance Studio, Soumaila Tounkara, professeur malien de 29 ans, ouvre le bal avec un cours d’afro-dance. L’heure va être très rythmée, de l’échauffement à la chorégraphie finale.« On va y aller tout doux », lance-t-il au groupe. « Tsss… Tout doux, tout doux… », sourit Laura, qui avale une gorgée d’eau avant de rejoindre la troupe, présente en nombre dans le studio situé au 15 rue Desargues à Paris (XIème arrondissement).

Cette kinésithérapeute de 25 ans vient pour la deuxième fois assister à un cours. Elle a entendu parler des cours sur les réseaux sociaux. Pour elle qui travaille, le tarif de 10 euros par cours est très abordable. « L’ambiance est hyper naturelle, on se défoule. Il n’y a pas de jugement », sourit la passionnée de danse classique.

« J’aime ce partage et le fait de se laisser guider par l’héritage culturel des autres. Je trouve que ça casse l’image qu’on a de la migration et ça crée du lien. » Car, c’est l’un des objectifs de la structure : changer le regard sur la migration en donnant le pouvoir d’enseigner à des personnes venues d’ailleurs et compétentes.

 

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En plus des cours dans son studio parisien, l’association tente de rendre accessible la danse au plus grand nombre, comme ici au centre de réfugiés Poniatowski, dans le douzième arrondissement de Paris. 

Un studio de danse qui propose du soutien administratif

En janvier 2021, alors que la France est toujours plongée dans un confinement interminable, Pauline Terestchenko, 25 ans, diplômée de l’ESCP, décide de lancer Swag (Share What Art Gives, littéralement : partage ce que l’art donne) Dance Studio. La particularité de ces cours de danses urbaines est qu’ils sont destinés aux adultes débutants, et enseignés par des professeurs de danse expatriés, exilés avec ou sans papiers. L’association propose aussi un accompagnement administratif dans les démarches et le parcours de régularisation. Actuellement Swag compte quatre professeurs : Andy Dlamini, originaire d’Afrique du Sud, Soumaila Tounkara, né au Mali, Cleve Nitoumbi, danseur dancehall et street-jazz, réfugié Ukrainien d’origine congolaise, et Megawill, danseur hip-hop, expatrié japonnais.

Danser c’est de l’Amour, une connexion avec les autres et avec toi. Danser apaise mon coeur.

Cinq mois après le lancement, l’initiative qui proposait des séances tous les dimanches dans le sous-sol d’une colocation s’est installée dans le onzième arrondissement de Paris. Danses africaines, hip-hop, ou street-jazz en talon : le studio se veut le plus éclectique possible dans sa proposition de cours.

Une programmation qui rencontre son public, puisque depuis son lancement, le studio a déjà touché une centaine de personnes. Une réussite qui permet à la structure de se financer, grâce aussi à l’aide de la réalisation d’ateliers, et d’autres cours soutenus par des partenaires associatifs.

 

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Tous les lundis et samedis c’est afro-dance au Swag Studio. 

 La pratique artistique renverse les étiquettes sociales.

L’aventure a émergé d’une double réflexion. La première porte sur l’accès à la danse pour les personnes majeures peu ou pas expérimentées. « Peut-être qu’involontairement les écoles de danse sont tenues par des danseurs et fréquentées par des danseurs. Il y a un côté compétitif qui laisse encore moins d’espace pour les adultes novices. D’ailleurs, les offres de cours pour débutants, ou tous niveaux, sont souvent réservées à un public déjà initié », regrette Pauline Terestchenko.

Deuxième constat pour l’entrepreneuse sociale, la situation sociale et économique des étrangers en France qui se complique d’années en années. Mais à son petit niveau, Pauline Terestchenko est témoin du changement de regard dans les représentations quand une personne exilée révèle son statut d’artiste. « La pratique artistique renverse les étiquettes sociales », certifie la fondatrice du Swag Studio.

Changer le regard sur la migration

« Avec la danse tu mets de côté les discours discriminants, et ce qui va avec. Pas besoin de ça. La danser c’est de l’amour, une connexion avec les autres et avec toi.  Danser apaise mon coeur », illustre le chorégraphe à la renommée internationale impliqué à l’Atelier des Artistes en Exil, et dans l’association Ngamb’Art. « Au Mali, je ne pouvais pas m’en sortir économiquement avec la danse. C’est un pays très riche culturellement. Mais même si la danse fait partie du patrimoine, c’est difficile de la voir comme un métier. C’est un peu vu comme si tu avais échoué », regrette celui qui a été formé l’Institut National des Arts et au Conservatoire des Arts et Métiers Multimédia Balla Fasséké Kouyaté de Bamako.

J’aimerai créer des lieux de formation et un espace interculturel entre le Mali et la France. Et changer le regard sur la danse.

Alors qu’il avait obtenu une bourse d’étude pour rejoindre l’Académie nationale de danse de Rome, Soumaila saute le pas et rejoint la France. Ici, il aspire à trouver un nouveau regard sur l’art. « C’était pas prévu. C’est le destin. Ici je peux me faire entendre et comprendre plus qu’au Mali », avance l’enseignant.

Un exil qui ne l’empêche pas de rendre hommage à sa culture, en mélangeant des pas de danse traditionnels avec du contemporain. En attendant de stabiliser sa situation une bonne fois pour toute, Soumaila ne s’arrête pas de rêver. « J’ai pour projet de me professionnaliser encore plus et de transmettre ce que je sais. J’aimerai créer des lieux de formation et un espace interculturel entre le Mali et la France. Et changer le regard sur la danse. Finalement, aider des générations qui aiment la danse mais qui ne sont pas en confiance ». L’heure est passée avec Soumaila. Il rassure « un peu » le groupe qui a tout donné avec lui. « Ce n’est qu’un échauffement, attendez de voir avec Andy. »

Danse urbaine : propulseur de lien social 

« Go, go, go ». A 28 ans, la très dynamique Sud-Africaine Andy Dlamini est l’autre visage du studio, qui comptabilise plus de 21 000 abonnés sur Instagram, et qui elle aussi enchaîne les cours pour les néophytes. En anglais avec des mots de français imbriqués dans la conversation, Andy explique être arrivée en France depuis Johannesburg il y a plus de deux ans pour se perfectionner, notamment à la Flow Dance Academy de Vincennes.

Elle ne cache pas son désir de vivre pleinement de sa passion en Europe. « La danse c’est du partage, et c’est que je préfère. Ça me plaît de créer du contact, de voir des sourires sur les visages, parce que dans la danse c’est difficile de faire semblant », sourit celle qui pour comme Soumaila danse depuis l’enfance.

 La danse ça me pousse à gagner confiance en moi et enseigner ça m’apprend à être une bonne leader.

 

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Andy Dlamini n’hésite pas à mélanger les influences pour ses cours. 

Forte d’un héritage suthu et mozambicain, elle intègre les chorégraphies traditionnelles de différentes ethnies à son travail. « J’enseigne le feminine-flow, l’afro-heels (danse avec des talons) mais aussi l’Amapiano qui est un style de musique et de danse populaire en Afrique du Sud et des chorégraphies modernes ». Le contact passe plutôt bien avec les élèves, et la barrière de la langue disparaît. La générosité et la bienveillance d’Andy et de Soumaila encouragent. « No language bareer », dit-elle. « La danse ça me pousse à gagner confiance en moi et enseigner ça m’apprend à être une bonne leader. » Et pour la suite, Andy a déjà une idée en tête : réaliser son propre projet chorégraphique.

De son côté la fondatrice du studio, Pauline Terestchenko exprime la volonté de « créer une plateforme multiculturelle avec plus de danseurs, former plus de personnes et établir des antennes dans d’autres villes. On veut soutenir une carrière professionnelle et artistique à un maximum de talents car c’est un tremplin ».

Amina Lahmar

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