Quand on la voit arriver dans les locaux du Bondy Blog, ce samedi 24 février, difficile de se dire qu’elle est fichée illégalement par les services de renseignement français. Camille Polloni, la trentaine, lunettes vissées sur le nez et pull vert sur les épaules, laisse transparaître sa timidité. Mais une fois sa Masterclass lancée, on la sent plus à l’aise et, surtout, passionnée par son métier. « Petite, j’ai eu envie de faire du journalisme avec des idéaux qui sont communs à tous les enfants, je pense. Je voulais être Tintin, c’est-à-dire résoudre des énigmes, connaître des aventures et pouvoir se promener à travers le monde en rencontrant des gens qu’on n’aurait pas croisé autrement », raconte-t-elle.

Même si sa vision idéalisée d’enfant a laissé place, avec les années, à une réalité plus pragmatique, la journaliste, passée par Sciences-Po Bordeaux et l’École Supérieure du Journalisme de Lille (ESJ), aime toujours autant son métier. Ce qu’elle préfère le plus, ce sont les rencontres. « Quand on est journaliste, on change d’environnement, tout le temps. (…) C’est peut-être ce qui m’a poussé le plus à faire cette profession : faire la connaissance de personnes, de catégories sociales, de métiers, qu’on ne peut pas forcément rencontrer quand on est confiné dans un milieu parce que notre travail nous y pousse ».

Le goût de l’enquête

Diplômée de l’ESJ Lille en 2009, Camille Polloni décroche le Graal dès sa sortie d’école : un CDI au service société des Inrockuptibles. « Quelqu’un avec qui j’avais été en stage m’a recommandée auprès de la rédaction. Le CDI, je pense que j’étais la seule à en avoir un à ma sortie sur une promo de 50. C’était déjà une denrée rare ». C’est au sein du magazine détenu par Matthieu Pigasse que la jeune femme développe son goût pour l’investigation. « Il y a eu une sorte d’état de grâce à un moment, on a eu le temps et la latitude pour enquêter. On a pu constituer une petite cellule composée de quatre-cinq journalistes », se remémore-t-elle. Parmi ses enquêtes, l’affaire d’espionnage chez Renault ou l’affaire de Tarnac.

Après trois années passées aux Inrocks, Camille Polloni fait un crochet par Rue89 et son service police/justice qu’elle intègre en 2012. « Quand j’étais à l’école, c’était l’endroit où je rêvais de travailler, confie-t-elle, avec une pointe d’émotion. Au tout début de Rue89, plusieurs générations de journalistes se côtoyaient. Il y avait un esprit très stimulant, très laboratoire, et des formes journalistiques innovantes avec un ton assez humoristique et des échanges réguliers avec les lecteurs ». Mais l’aventure du pure-player, précurseur sur bien des domaines selon Camille Polloni, va battre de l’aile. « Rue89 n’a jamais gagné d’argent. (…) Le modèle économique ne marchait pas et il a fallu s’en remettre à un groupe plus gros [L’Obs, ndlr] ».

« Les Jours », une nouvelle temporalité

Désormais, et ce depuis février 2016, c’est au sein de sa nouvelle maison, Les Jours, que Camille Polloni traite de ses sujets. « Enquêter, c’est ce qu’il y a de plus intéressant à mes yeux dans le journalisme. La police et la justice sont, en soi, deux institutions intéressantes et qui ouvrent assez facilement une porte vers l’enquête », analyse-t-elle.

Avec Les Jours, site qui raconte l’actualité en séries, Camille Polloni a dû adapter sa manière de faire du journalisme. « J’ai commencé en travaillant sur l’état d’urgence, parce que c’était peu de temps après les attentats de 2015, avec une idée nouvelle pour moi : suivre des phénomènes sur la durée. Avant, on avait nos domaines de prédilection et on faisait nos articles les uns après les autres. Aux Jours, on fait des suivis, on rappelle nos personnages régulièrement, on revient sur les endroits cités dans nos articles », décrypte-t-elle. Dans la liste de ses « obsessions » : la mobilisation contre la loi Travail, la justice antiterroriste, les manifestations de policiers et leurs procès, la justice financière. Mais aussi les rapports police-population à Aulnay-sous-Bois, après « l’affaire Théo ». « J’ai passé quatre mois à temps plein à Aulnay-sous-Bois. J’ai arrêté cette série au moment où j’ai atteint un plafond, où je pensais qu’il était important d’avoir la parole des policiers, parce qu’on ne l’avait pas eu depuis le début. Et il s’est avéré que ce n’était pas possible », raconte la journaliste qui n’exclut pas de reprendre « Outrage et rébellion », un jour.

Fichage illégal

Lors de cette Masterclass, Camille Polloni est également revenue sur son fichage illégal par les services de renseignement. « En 2011, quand je travaillais à Rue89, j’ai voulu faire une expérience : j’ai demandé à la CNIL de me donner accès à tous les fichiers de la police et des renseignements qui me concernaient. C’est une demande à faire par lettre et ensuite il y a un processus d’attente très long. En 2017, j’ai appris qu’il y avait des données qui étaient illégalement retenues sur moi par le renseignement militaire. Et ces fichiers, je n’y ai pas accès », relate la journaliste.

Dernier secret, avec une question du public : pourquoi la photo de profil de Camille Polloni sur Twitter est un cliché de Margaret Thatcher ? « Je pense que j’ai trouvé ça drôle au moment où je l’ai fait mais je ne m’en rappelle plus. C’était peut-être la différence d’âge qui m’a fait rire, je ne sais plus. Ça fait très longtemps », sourit-elle. La réponse se trouve peut-être dans un dossier de l’armée.

Kozi PASTAKIA

Crédit photos : Leïla Khouiel

Vous pouvez retrouver la vidéo de l’intégralité de la Masterclass de Camille Polloni sur la page Facebook du Bondy Blog

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