C’est une tradition qui se transmet de génération en génération. Au moins une fois par mois au BB, nous organisons des rencontres avec des professionnels du journalisme. Ça s’appelle aujourd’hui « Masterclass » parce qu’on s’est internationalisé (lol), mais ça s’appelait hier « école du blog ». Et cette ancienne appellation a toute son importance cette fois.

Il y a tout pile une semaine, nous recevions Faïza Zerouala, journaliste à Médiapart, spécialiste des questions d’éducation. Avant de devenir référente de l’école dans ce média de référence, Faïza a connu l’école du Bondy Blog et notamment cette fameuse « école du blog ». Samedi dernier, nous étions le 22 février 2020. On précise l’année parce que tout laissait à penser que nous avions fait un saut dans le passé, à l’époque où Faïza s’installait encore du côté des blogueurs.

C’était juste avant le début des années 2010. Le BB n’avait pas (encore) de locaux adaptés pour recevoir la vingtaine d’habitués aux masterclass. Nous recevions nos invités dans la salle polyvalente du sous-sol de la bibliothèque municipale de Bondy. A l’époque, c’est Mohamed Hamidi, alors rédacteur en chef, qui animait ces rencontres.

Si on vous raconte tout ça, c’est parce que ce samedi 22 février 2020, tout ce décor a été reconstitué un peu par hasard. Cette masterclass intervenait dans le cadre d’un cycle organisé par la ville de Bondy sur le rapport des citoyens aux médias. Du coup, la rencontre était organisée à quelques mètres des locaux actuels du BB, à la bibliothèque de Bondy, dans cette même salle polyvalente qui se montre désormais plus lumineuse (en dix ans, la moquette au mur a été virée).

La salle était pleine pour accueillir Faïza Zerouala

Le Monde ou rien

Ce come-back a rendu nostalgique certains anciens du BB. En arrivant, on croise ainsi Mohamed Hamidi, devenu réalisateur à succès, Khadija Ichou, Inès El Laboudy ou encore la légende Idir Hocini, auto-proclamé premier blogueur de France…  La salle se remplit et il faut même rajouter des chaises pour accueillir tous les curieux.

Dans cette ambiance faite de nostalgie et de retrouvailles, Faïza commence à raconter son parcours. Son enfance modeste dans le 19e arrondissement de Paris, d’abord. Sa passion pour les livres, ses études d’histoire. A l’époque de la fac, elle ne sait pas encore ce qu’elle veut faire quand elle sera grande. Une chose est sûre, elle est attirée par le journalisme… sans vraiment savoir ce que c’est. En tant qu’étudiante, elle obtient des codes pour lire Le Monde gratuitement. Alors, elle s’impose une lecture quotidienne et intensive de ce journal.

C’est l’époque, elle commence à rêver de journalisme : « le Graal, c’était d’intégrer la rédaction du Monde évidemment, mais je ne savais pas comment faire, ça me semblait impossible ». Elle s’intéresse en détail au travail de certains journalistes, parmi lesquels Edwy Plenel, alors directeur de la rédaction du quotidien du soir. « A cette époque, je me dis que je rêverais de travailler avec lui, raconte-t-elle. Je vous jure que ce n’est pas de la reconstruction à postériori, vous pouvez demander à ma mère ». On n’a pas poussé le fact-checking jusque-là mais on considère qu’il s’agit d’une source fiable.

La télé, très peu pour elle

Pour accéder à son rêve, elle tente les concours des écoles de journalisme, elle se foire. Elle n’avait fait de stage dans le milieu et n’était pas prête. « C’est la première fois que je ratais un truc à l’école, se souvient-elle. C’était une catastrophe. » Mais comme on dit, quand le fameux ascenseur est en panne, il faut prendre les escaliers, ou rentrer par la fenêtre (ou la cheminée, bref faut forcer).

Alors qu’elle est sur la fin de son Master d’histoire, une amie lui parle d’une offre de stage à Public Sénat. Elle l’oblige à postuler, alors elle y postule. Elle est contactée pour un entretien dans la foulée. On lui demande d’apporter sa convention de stage avec elle. Très bien. Le seul hic ? Elle n’a pas de convention de stage.

L’entretien est fixé à 11h30 dans les locaux de Public Sénat, qui se trouvent à quelques mètres de La Sorbonne où elle étudie. La voilà dans le bureau de la secrétaire de fac à la première heure. La négociation n’est pas simple mais sur un malentendu, la secrétaire lâche cette phrase magique : « c’est vrai qu’on ne peut pas rater un stage au Sénat ». A un mot près, c’est ça. Faiza hésite à apporter la précision, puis décide de laisser couler pour voir ce que ça donne.

Et puis, son entretien est dans une heure. Conclusion, la secrétaire lui bricole une inscription « fantôme » en L3 de philo, pour obtenir le fameux bout de papier avec lequel Faïza obtient son premier stage en rédac. Elle travaille sur l’organisation de débats et notamment sur la recherche d’invités. C’est ainsi qu’elle rencontre Nordine Nabili, ancien directeur du Bondy Blog. Le courant passe bien. Il lui propose de venir écrire au BB. Sauf qu’à l’époque, elle pense ne pas savoir écrire. Alors, elle se rassure en prenant des jobs en télé : après Public Sénat, elle enchaîne à M6 où elle bosse pour l’émission « 66 Minutes ». Elle y découvre le mépris de classe : « Je me suis jamais aussi peu sentie à ma place qu’à cette époque, c’était d’une violence absolue ». Son stage dure six mois ; avec du recul, elle se demande comment elle a pu tenir aussi longtemps. « Sûrement une histoire de challenge et de fierté », tente-t-elle.

Je ne sais pas du tout me vendre

A l’issue de ce stage pas très concluant, elle reprend contact avec Nordine et intègre la rédaction du BB. Elle commence à écrire des reportages, des billets d’humeur, réalise des interviews. Elle monte même sa mémorable chronique hebdomadaire, « la semaine de Faïza ». Elle a alors 25 ans. Nordine bataille pour qu’elle repasse les concours de journalisme. Ça colle avec le lancement de la prépa Egalité des chances par le BB et l’ESJ Lille. Elle intègre cette première promo et intègre ensuite l’IPJ, une des meilleures écoles de Paris. « Je me rends vite compte que c’est vraiment un milieu très bourgeois et prétentieux, dit-elle. Je suis la seule élève issue de l’immigration. Je suis une des seules à contracter un prêt étudiant. Je suis une des seules à avoir un job étudiant en plus des cours. »

Photo d’archive du Bondy Blog Café en janvier 2015. Faïza Zerouala croisait, là aussi, la route d’Edwy Plenel…

Parallèlement à cette vie-là, « je continue au Bondy Blog parce que j’adore cet endroit », elle écrit, fait de la télé avec le Bondy Blog Café. A l’école, ses ambitions sont claires : « c’est peut-être lié au fait que j’étais la plus vieille mais je leur disais qu’après l’école, je voulais aller soit à Mediapart soit au Monde » (elle assure une nouvelle fois que c’est vraiment la vérité).

En 2012, elle sort de l’école et décroche un stage à la rubrique éducation du Monde. Elle sourit quand elle repense au premier interlocuteur, du premier coup de fil qu’elle passe pour son premier article : Jean-Michel Blanquer… Faïza enchaîne avec un CDD mais elle découvre ensuite le monde cruel de la pige.

« Je suis une très mauvaise pigiste parce que je ne sais pas du tout me vendre », explique Faïza. Elle galère donc à vendre des piges, elle se remet en question : « A ce moment-là, je me demande pourquoi je me suis embarquée dans cette galère. » Alors elle prend un petit peu de recul, pour voir vers quoi elle peut se diriger, bien qu’elle « déteste faire des plans parce qu’on peut mourir brutalement. »

2015, le tournant

Mais la vie est faite de rencontres et Faïza fait celle de deux femmes qui montent leur maison d’édition. C’est comme ça que naît son premier livre, Des voix derrière le voile, qui sort en mars 2015. Les rencontres en amenant d’autres, elle croise Edwy Plenel lors d’un événement littéraire, puisque le fondateur de Mediapart publie à la même époque Pour les musulmans.

Vous vous dites que c’est comme ça que Faïza arrive à Mediapart ? Eh bien, non. Chaque bon film a ses péripéties et, pour Faïza, cette péripétie s’appelle Mouloud Achour. Elle rencontre lors d’une soirée parisienne celui qui deviendra un de ses plus proches amis. L’animateur structure alors son label, Clique, qui devient un média. Et il cherche une rédactrice en chef adjointe pour développer la partie société du site.

Banco ! Faïza signe, débarque, installe son bureau et amène son plus beau mug. Mais, à peine le temps de sympathiser avec ses collègues, Faïza est contactée par… Mediapart. « Pause, s’interrompt l’intéressée. A quel moment Mediapart me contacte, moi, pour me proposer du travail ? Je n’y croyais pas du tout. » Elle répond au mail en pensant que ça ne mènerait à rien. Finalement, ça se passe tellement bien qu’elle passe une série d’entretiens, dont le dernier avec… Edwy Plenel. Qui lui demande, en conclusion : « Vous pouvez commencer quand ? »

Je continue à en apprendre tous les jours et c’est ce qui me séduit dans ce métier

Elle se plaît à Clique mais Mediapart, c’est son rêve de petite fille. Elle explique la situation à Mouloud et la voilà partie pour Mediapart. Elle y travaille depuis près de cinq ans maintenant, à la rubrique éducation. « Au début, j’avais l’impression de passer le bac à chaque article. Il y a une énergie collective assez incroyable mais du coup on ne veut pas être le dernier de la classe alors on travaille beaucoup, on acquiert un max de connaissance et d’expérience. On rencontre plein de spécialistes, plein de chercheurs ». Elle a longtemps complexé à l’idée de se dire « spécialiste » de l’éducation : « J’ai mis un an avant de me dire ‘Ok, je connais un peu ce sujet-là’. Mais je continue à apprendre tous les jours et c’est ce qui me séduit dans ce métier. »

Dans le public, la cinquantaine de personnes présentes ne rate pas une miette de son récit. Il y a là des anciens du BB, mais aussi des Bondynois, des étudiants, des futurs journalistes, des retraités…  On a aussi discuté de Blanquer, qui ne la porte pas franchement dans son cœur. On a discuté de la spécificité du modèle économique de Mediapart, de l’absence d’annonceur et de la liberté que ça offre, du temps précieux qu’elle a pour travailler sur ses articles, mais aussi des origines sociales et ethniques des journalistes, du dédoublement des classes de CP et CE1, de Twitter et de l’égo surdimensionné de certains journalistes. Bref, on a discuté. Beaucoup discuté.

Parmi les questions du public, celle-ci : quel conseil donnerait-elle à la Faïza d’il y a 10 ans, assise dans cette même salle, pour cette même école du blog ? Elle réfléchit quelques secondes : « Ce serait ‘Arrête de te poser 10 000 questions et fonce’. » C’est noté et c’était le mot de la fin. Cette Masterclass était une véritable école du blog, un vrai bond dans le passé, mais avec une journaliste déjà dans le futur. Et sah, quel plaisir.

Louisa MIDIOU

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