Pour la dernière Masterclass de l’année civile, c’est le boss de Society qui s’est prêté au jeu de la confession intime, samedi 19 décembre 2020. Celui qui est devenu l’une des figures de proue de la presse écrite magazine raconte une enfance tranquille près de Bourges, où il n’y avait pas grand chose à explorer dans le voisinage, « trois maisons autour d’un pylône ». Une enfance marquée par de nombreux déménagements aussi, avec un père technicien dans les installations de télévisions, et une maman coiffeuse.

Une école de commerce, mais pas de diplôme de journalisme

Son bac en poche, le jeune Franck Annese file vers Strasbourg pour une classe préparatoire HEC, que ses parents ne comprenaient pas forcément, avant de décrocher son diplôme de l’Essec en 1991. Un système scolaire que le patron de presse regarde aujourd’hui avec du recul, pas sans amertume.

Mon frère est carrossier, faut voir ce qu’il fait avec ses mains, c’est de l’or. Il faudrait vraiment valoriser les filières techniques.

« Le système français est élitiste, il y a les voies royales et le reste. On considère que les CAP / BEP sont pour les cancres alors que c’est absolument faux. Mon frère est carrossier, faut voir ce qu’il fait avec ses mains, c’est de l’or. Il faudrait vraiment valoriser les filières techniques et aussi mieux payer les profs », s’exclame celui qui au sein de ses rédactions valorisera le savoir-faire plutôt que les diplômes obtenus.

« Si t’as pas fait d’école de journalisme, on s’en branle, tu progresses en faisant, il n’y a rien de plus formateur que d’apprendre en faisant. Moi par exemple, je ne vois pas ce qu’on aurait pu m’enseigner que je n’ai pas appris », ajoute celui qui a créé Sofa, un an avant avoir été diplômé, loin des écoles de journalisme.

Je serais pas contre racheter un club de foot mais on en est loin, surtout aussi nul que le FC Nantes même si c’est mon club de cœur. 

Parler de ce qu’on aime, pour en parler bien

Le risque, les amis, et la passion pour moteurs. C’est avec ces trois éléments qu’on peut décortiquer le parcours de Franck Annese, rythmé par le rock mais surtout par le football, lui le supporter des Canaries. « Je serais pas contre racheter un club de foot mais on en est loin, surtout aussi nul que le FC Nantes même si c’est mon club de cœur ».

« Pour SoPress, on a commencé à parler de nos centres d’intérêt. On a toujours fait des magazines sur des choses qu’on connaissait sans être spécialistes comme le foot, le vélo, puis la vie de parents. Puis on s’est dit que l’on était assez légitimes pour parler de société », avance le patron de presse qui assume un ton différent, une temporalité différente elle aussi, notamment pour Society, quinzomadaire lancé en 2015.

On essaie de faire les papiers le mieux possible et après tu pries pour que ça marche parce qu’on est jamais sûr.

« Society, c’est trois redchef qui décident des sujets. On privilégie les CDI et les pigistes permanents. On essaie de ne pas trop donner de calibrage, on ne fait pas de pré-maquette et surtout, on est jamais en fonction de ce que font les autres. On produit beaucoup. On a jamais calculé le prix du papier, on essaie de faire les papiers le mieux possible et après tu pries pour que ça marche parce qu’on est jamais sûr ».

Pari gagnant, 6 ans plus tard, le magazine s’est imposé comme l’un des titres incontournables de la presse magazine avec des coups réussis comme l’enquête sur la traque du tueur présumé Xavier Dupont De Ligonnès, dont les deux volumes se sont vendus à plus de 400 000 exemplaires, finalement regroupés en un livre.

Et quand on interroge Frank sur l’adaptation à venir, l’intéressé certifie que les faits resteront au cœur de l’intrigue. « J’ai des petites idées si je devais l’écrire mais ce n’est pas moi qui vais le faire. Il y a besoin de beaucoup de finesse psychologique dans la manière de rendre compte des faits, de la réalité car elle concerne des gens encore vivants. En tout cas, on sera fidèle aux faits ». 

On essaie de faire en sorte que l’argent revienne dans la machine.

So Press : du canapé aux studios

Du petit fanzine qu’était Sofa aux studios, le chemin parcouru par le gamin de Bourges laisse songeur. Mais la réalité économique, des bilans comptables et autres discussions rasoirs, rattrape toujours le songe éveillé. « Je m’occupe aussi du financier parce que je compte vite. On a un directeur financier qui n’a jamais fait ça de sa vie, il est techniquement nul mais très intelligent et surtout honnête et droit. L’amitié et le respect des uns et des autres, c’est très important, il y a aussi un truc assez solidaire chez nous », glisse Franck Annese qui révèle un salaire de 8000 euros brut (le plus haut) dans une entreprise où le plus bas est à 2300 euros brut. « On essaie de faire en sorte que l’argent revienne dans la machine, et par exemple, on a investi, les plus anciens sont propriétaires de 38% des bureaux ».

C’est qu’en peu de temps la machine s’est vite développée avec plus d’une dizaine de titres, qui profitent des ventes des deux locomotives So Foot et Society, et des contenus publicitaires produits par la maison de production Sovage. « C’est économiquement difficile à gérer, SoPress, c’est environ 120 personnes dont 70 journalistes. Society et SoFoot réalisent de bonnes ventes, c’est ce qui permet à d’autres titres de vivre mais c’est SoFoot qui a permis de lancer tout le reste. Pour Society, il a fallu emprunter à deux banques et aller chercher de l’argent auprès d’actionnaires soit des personnes que j’avais croisées dans ma vie d’avant. Ça s’est fait assez simplement. Il n’y a pas eu de versement de dividendes pour le moment ».

Niveau représentativité, on a démarré avec 45 mecs dont on est loin du compte mais la tendance s’inverse.


Mais parmi tout ce beau monde, quid de la diversité dans les bureaux de So Press. À la question, Franck Annese répond qu’il y a du travail à faire, avec humilité et honnêteté, loin des discours creux. « La diversité, on gère ça de manière assez basique. On recrute peu déjà, 2-3 personnes par an maximum et on recrute à l’ancienne, les gens qu’on connaît. Niveau représentativité, on a démarré avec 45 mecs dont on est loin du compte mais la tendance s’inverse, ça se transforme petit à petit mais on n’a pas mis en place de quotas ». 

En moins de deux décennies, Franck Annese et son équipe se sont imposés dans le paysage médiatique à force d’audace, de créativité, et surtout de travail. Une valeur à laquelle croit le patron du groupe, mais qu’il n’hérite pas pourtant en étalon principal. « J’ai pas l’impression de travailler, je me lève en me disant que j’ai de la chance. J’ai choisi les gens avec lesquels je travaille, il y a ma meuf, son cousin, c’est hyper précieux et c’est ce qui fait que je n’ai pas beaucoup de vie en dehors car tout est là. Et j’ai une femme et une fille qui comprennent ça et les nombreux sacrifices ». Solide.

Latifa Oulkhouir
Jalal Kahlioui

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