« Voile ». Ce mot, qui apparaît à cinquante-neuf reprises, est le plus cité dans les avis Google de ce bowling mosellan. Étrange lorsque l’on parle d’un lieu de distraction. Ordinaire quand précise la localisation.

Situé dans la Cité des Loisirs, sur les hauteurs d’Amnéville, l’Atomic Bowl vous accueille avec l’odeur des gaufres au rez-de-chaussée. À l’étage, des bornes d’arcade placées de part et d’autre du chemin conduisent à la dizaine de pistes de bowling. À moins que vous ne portiez le foulard. Car l’établissement se donne le droit de refuser l’entrée aux femmes qui le mettent. « C’était un dimanche après-midi, il y a deux ans. Avec mon mari et mes enfants, on avait prévu de faire un bowling puis de prendre un goûter. À l’entrée, le vigile m’a montré une pancarte et demandé d’enlever mon foulard pour pouvoir entrer », relate Bouchra, 38 ans.

J’avais juste envie de passer une soirée entre potes. Tu te dis que tu viens de gâcher la soirée…

Même constat pour Feryel, qui connaissait déjà la réputation de l’établissement avant de se présenter face au vigile. « C’était à l’anniversaire d’une amie, en novembre 2022. J’étais la seule personne voilée du groupe », témoigne l’étudiante qui avait prévenu ses amis qu’elle allait « se faire refouler ». Ces derniers n’y croyaient pas. Pourtant, les craintes de l’étudiante de 23 ans se sont avérées. « J’avais juste envie de passer une soirée entre potes. Tu te dis que tu viens de gâcher la soirée… », déplore-t-elle, dépitée.

Une interdiction placardée dès l’entrée

L’écriteau sur fond jaune est affiché sur deux des quatre portes vitrées de l’enseigne. En lettre capitale, l’Atomic Bowl pose l’interdiction : « Le port de la coiffe (casquette, chapeau, foulard, etc.) est interdit à l’intérieur de notre établissement pour des raisons de sécurité ». Entendez par là, une volonté pour le bowling d’identifier les visages des personnes par vidéosurveillance.

« Le gars de la sécurité avait montré la pancarte pour justifier le fait qu’il ait dégagé ma mère », se souvient Salma, 23 ans. Ce geste, en direction du règlement intérieur, est méthodiquement reproduit par le vigile, à chaque fois qu’une cliente voilée se présente à l’entrée. « Les règles viendraient d’en haut et l’agent de sécurité nous a dit qu’il ne pouvait rien faire », témoigne Leïla, qui a vu son amie voilée se faire recaler.

Avec le bouche-à-oreille, les gens ont compris qu’il ne fallait plus y aller 

Nombreuses sont les Mosellanes du secteur d’Amnéville qui négligent ce bowling pour aller ailleurs. Célia s’interdit de fréquenter l’établissement qu’elle qualifie de « raciste »« Je ne vois pas pourquoi j’irai dans ce genre d’endroit alors que certaines de mes copines sont voilées », ajoute l’étudiante de 20 ans.

« Avec le bouche-à-oreille, les gens ont compris qu’il ne fallait plus y aller », assure Bouchra, qui se reporte vers le Kinébowl de Saint-Julien-lès-Metz comme beaucoup d’autres personnes qui boycottent l’endroit. Ces dernières sont obligées de faire une vingtaine de kilomètres pour pouvoir jouer au bowling.

Un cas similaire épinglé par le défenseur des droits en 2015

Feryel et Bouchra n’ont pas souhaité saisir la justice après coup. Mais une affaire en tout point similaire a déjà été portée devant les tribunaux. En 2013, une certaine « Madame H. » décide de porter plainte contre un autre bowling qui interdit le port du voile dans son établissement. Alors qu’elle accompagne son fils à un anniversaire, cette dernière est refusée à l’entrée « pour des raisons de sécurité », toujours dans un souci d’identification par vidéosurveillance.

À la suite de cette plainte, le Défenseur des droits sera saisi, en 2014, par le Procureur de la République en charge de l’affaire. Dans sa décision du 13 mai 2015, cet organe, non coercitif, recommande au bowling en question de « modifier son règlement intérieur afin de remédier à ses effets discriminatoires à l’encontre des femmes musulmanes ».

Chose faite deux mois plus tard par cet établissement qui interdit, à présent, « tous les couvre-chefs, à l’exception de ceux fondés sur l’expression d’une religion, à condition que le visage ne soit pas dissimulé ».

Le défenseur des droits s’était appuyé sur les articles 225-1 et 225-2 du Code pénal qui prohibent, selon les termes de sa décision, « les discriminations fondées sur le sexe ainsi que l’appartenance ou la non-appartenance, réelle ou supposée, à une religion, notamment lorsqu’elles consistent » à « refuser la fourniture d’un bien ou d’un service » ou à « subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition fondée sur le critère de discrimination visé ».

Au cours de cette année 2015, l’Atomic Bowl avait aussi fait parler de lui, dans le Républicain Lorrain, en recalant une femme, atteinte d’un cancer, qui camouflait la perte de ses cheveux avec un foulard. Huit ans plus tard, le règlement intérieur du bowling d’Amnéville n’a toujours pas été corrigé. Une situation exaspérante pour Feryel, qui ne comprend pas comment « ce genre de choses continue d’arriver en 2023… ».

Adel Miliani 

Contacté par le Bondy blog, l’Atomic Bowl n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.

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