C’est historique. Les Lions de l’Atlas sont devenus mardi soir, la quatrième sélection africaine à passer le couperet des huitièmes de finale de la Coupe du monde. Ils se sont imposés face à l’Espagne, arrachant la victoire aux tirs au but. Dernier pays d’Afrique encore en lice au Qatar, le Maroc pourrait devenir la première nation du continent à atteindre le dernier carré s’ils venaient à réitérer l’exploit face au Portugal, samedi.

Jusqu’à aujourd’hui, « les sélections africaines ont réalisé de beaux exploits en Coupe du monde, mais cela n’a pas débouché sur le résultat escompté : monter sur le podium et gagner la compétition ». Historien spécialisé dans le football africain, Paul Dietschy résume ainsi le parcours des sélections africaines au Mondial.

En accédant aux quarts de finale de la Coupe du monde 1990 en Italie, le Cameroun avait établi une performance qui n’a pas encore été dépassée : « Le parcours du Cameroun en 1990 restera le plus beau souvenir d’une équipe africaine en Coupe du monde. On a eu une très large palette d’émotions », se souvient Patrick Juillard, journaliste spécialiste du football africain.

En Afrique, vous avez au moins 15 à 17 équipes capables de se qualifier au mondial

Le football africain a dû batailler pour obtenir plus de reconnaissance sur la scène internationale. Sitôt leur indépendance acquise, les nouveaux États ont rejoint la FIFA, mais ils se sont heurtés à une institution conservatrice qui a tardé à leur accorder une place.

Depuis le passage de la compétition à 32 équipes, en 1998 (France), l’Afrique est représentée par 5 nations contre 13 pour l’Europe. « Il ne faut pas être super fort en mathématiques pour comprendre que plus on est nombreux plus on a de chances d’arriver au bout … En Afrique, vous avez au moins 15, 17 équipes capables de se qualifier au mondial, alors qu’à la fin, nous ne sommes que 5 ! C’est-à-dire que les modes de qualifications sont à revoir », analyse Aliou Cissé, le sélectionneur du Sénégal, au micro de France 24.

L’exemple de l’Égypte est en ce sens révélateur : l’équipe a remporté trois Coupes d’Afriques des Nations (CAN) consécutives sans pour autant parvenir à se qualifier pour la Coupe du Monde, ni en 2006 ni en 2010.

Cependant, la FIFA semble avoir pris acte du problème. Le prochain Mondial 2026 verra le nombre de nations engagées augmenter à 48. L’Afrique passera ainsi de 5 à 9 places pour devenir le deuxième continent le plus représenté derrière l’Europe (qui passera à 16 places).

Chronologie de la représentation africaine dans les précédentes Mondiaux

 

Ingérences politiques

Selon l’historien du football Paul Dietschy, « il existe d’autres raisons que le nombre de places qui serait trop limité ». Il explique : « On retrouve dans un certain nombre de fédérations de football les maux classiques de l’Afrique ». Paul Dietschy voit dans le football le miroir des problèmes du continent. Comme pour d’autres secteurs, l’ingérence politique affecte le potentiel footballistique du continent, en limitant le développement, en favorisant la corruption et en entravant le professionnalisme.

L’Afrique n’a pas le monopole de l’instrumentalisation politique du football

Enseignant en histoire contemporaine, Paul Dietschy explique que le lien étroit entre le football et la politique en Afrique remonte au lendemain des indépendances. Les États naissants ont trouvé dans le football un moyen d’affirmer leur identité nationale. « L’Afrique n’a pas le monopole de l’instrumentalisation politique du football. Mais pour les pays africains, il s’agit de construire la nation, et le football est un lieu où les couleurs du pays sont portées et l’hymne chanté », souligne-t-il.

L’historien insiste sur le poids de l’héritage colonial dans la structuration du football en Afrique : « Dans les anciennes colonies françaises, le sport était administré par l’État, un peu sur le modèle français. Il existe toujours une proximité entre le pouvoir administratif, politique et le sport », observe-t-il. « L’État finance le développement du football, car la société civile n’est pas extrêmement développée », ajoute-t-il.

De multiples exemples peuvent être cités pour illustrer la continuité de l’intervention politique dans le domaine du football en Afrique. « Au début de l’année 2000, après l’élimination de la Côte-d’Ivoire de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), le général Guéï enferme les joueurs dans un camp militaire », rappelle Paul Dietschy. Pas très simple pour les joueurs ivoiriens d’aborder sereinement de nouvelles compétitions.

Des problèmes d’argent

Le football, c’est aussi une question d’argent. Les moyens financiers mis à disposition des sélections sont un élément déterminant dans l’optimisation des résultats sportifs : « Les problèmes financiers sont liés à la pauvreté relative de certaines fédérations, à une mauvaise gestion ou à une mise en avant de l’intérêt financier au détriment de l’intérêt sportif. Cela empêche les équipes de bénéficier de bonnes conditions avant une grande compétition », explique Patrick Juillard.

Les participations africaines en Coupe du monde ont souvent été émaillées de scandales. En 2002 et 2014, les joueurs camerounais ont fait une grève de l’entraînement à la veille de la Coupe du monde au Brésil. La cause ? Des conflits autour de primes avec leur fédération. Lors de ces deux éditions, les Lions indomptables avaient été éliminés dès le premier tour.

Ce qu’il faut pour l’Afrique, c’est une première fois

Régulièrement, la Fédération internationale de football sort le carnet de chèques pour aider au développement du football en Afrique. Les projets Goal et l’initiative Gagner en Afrique avec l’Afrique font partie des actions de la FIFA : « Dans beaucoup de pays africains, l’argent donné par la FIFA n’est pas réellement employé pour l’amélioration des infrastructures. Les dirigeants piquent dans la caisse alors que l’argent devrait aller dans la formation », pointe Paul Dietschy.

Sur l’avenir l’historien estime que l’Afrique a besoin d’un modèle qui montre la voie : « Ce qu’il faut pour l’Afrique, c’est une première fois. Cela fait partie des facteurs inhérents au sport de haut niveau. Avant leur victoire en Coupe du monde 1998, les Français étaient considérés comme des Beautiful losers ». Et si l’heure était venue pour le Maroc de montrer la voie ? La réponse samedi !

Mokrane Smaili

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