Les joueuses de rugby de l’AC Bobigny arrivent au compte-goutte sur la pelouse du Stade de la Motte. Elles prennent rapidement possession des lieux. Des éclats de rires se font entendre, des regards complices sont échangés. Il n’y a pas photo, la bonne humeur règne au sein de l’équipe. Protèges-dents installés, casques de protection sur la tête de certaines, « les Louves » sont parées pour l’entraînement et s’élancent sur le terrain. Elles se retrouvent trois fois par semaine pour préparer les matchs du week-end.

Créée en 2003, la section féminine sénior de l’AC Bobigny est en quelque sorte la vitrine du club. De nombreuses internationales y sont passées, comme la vice-championne du monde et olympique de rugby à sept, Anne-Cécile Ciofani. Madoussou Fall et certaines comme Yllana Brosseau jouent en équipe nationale de rugby à XV.

L’équipe évolue en Élite 1 qui est le plus haut championnat français de rugby à XV amateur féminin. Et son palmarès parle de lui-même : finalistes de la Coupe de France de rugby à XV en 2022 et en 2023, championne de France de rugby à sept en 2013 et 2015 et finaliste en 2016. Quant à l’équipe masculine sénior de l’AC Bobigny, elle évolue en Fédéral 3. La section féminine rassemble au total 70 licenciées.

L’école, une porte d’entrée au rugby

Crampons aux pieds et survêtement rouge et noir aux couleurs de l’AC Bobigny, Aby se prépare au bord du terrain pour l’entraînement du jour. La jeune femme de 19 ans a commencé le rugby à 11 ans, au collège, après quatre ans de gymnastique artistique. « Je l’ai découvert avec mes copines et ça m’a directement plu. Quand je suis sur le terrain, j’ai toujours cette volonté de gagner et j’ai ce sentiment de liberté », confie la talonneuse. « Mes parents étaient hyper réticents. Ils trouvaient ce sport violent et ont m’y du temps à s’y faire », ajoute-t-elle

On est comme des sœurs, on est toutes unies

Quelques centimètres plus loin, on trouve Aya avec son sourire contagieux et ses longues tresses. Surnommée « La star » par l’une de ses coéquipières, la jeune femme découvre, elle aussi, cette passion pour le ballon ovale au collège. « J’ai eu de la chance puisqu’au collège Iqbal Masih (Saint-Denis), la section féminine de rugby était très développée ! Notre professeur venait du sud-ouest de la France, qui est une terre de rugby, et il nous a transmis sa passion pour le ballon ovale », indique la joueuse. « Ici, je me sens comme dans une grande famille. On est comme des sœurs, on est toutes unies », déclare la jeune femme de 21 ans.

Comme Aby et Aya, la plupart des joueuses de l’AC Bobigny sont rentrées dans la mêlée dès le collège. Ce premier contact avec le ballon ovale emmène les filles à faire du rugby en club. La présence de professeurs d’EPS dans les clubs du département favorise cette passerelle entre la pratique à l’école et celle en club.

C’est le cas de Sébastien Souquet, entraîneur des avants des Louves et prof de sport au collège Gérard Philippe (Paris 18ᵉ) dans lequel il est également le coordinateur de la section rugby mixte (U14). Au sein de son établissement, le trentenaire originaire de Toulouse œuvre pour encourager les jeunes filles à faire du rugby. « Je suis un forceur, plaisante Sébastien. Je pousse pour convaincre les filles de pratiquer ce sport. Je montre aux parents les vidéos des ateliers pour leur prouver que les entraînements ne sont pas aussi physiques que chez les pros. J’organise aussi des initiations dans les classes de CM et CM2 », explique l’ancien joueur de rugby.

Le 93 une nouvelle terre de rugby ?

Le ballon ovale défile de main en main sur le terrain du Stade de la Motte. Bien qu’elles soient complices en dehors du terrain, les Louves n’y vont pas de main morte dans les nombreux placages et n’hésitent pas à se rentrer dedans lors des mêlées qu’elles travaillent ce soir. « On va se bagarrer ! », lance une joueuse pour motiver ses troupes. En les regardant jouer avec cette passion pour l’ovalie, difficile de croire que le rugby ne soit pas le sport le plus populaire du département.

En Seine-Saint-Denis, c’est plutôt le football qui est roi. Cependant, cela n’a pas empêché certaines filles de pratiquer le rugby. « Quand j’étais plus petite, on ne me parlait que de football, mais je n’ai jamais été intéressée. Même si j’ai grandi en banlieue, j’ai toujours été attirée par le rugby », raconte Daphné, qui s’échauffe à l’écart par précaution en raison d’un protocole commotion.

Ils pensaient que le rugby était seulement pour les hommes

Les remarques sexistes de la part des garçons, ne l’ont pas empêché de pratiquer ce sport. « Ils pensaient que le rugby était seulement pour les hommes. Certains mecs à l’école disaient “Elle ne peut pas me battre”, “Je suis plus fort qu’elle”», relate la joueuse de 22 ans.  Pour elle, le rugby est une histoire de famille. Ses deux petites sœurs jouent au rugby et son père, Dorian Martel, est ancien rugbyman et l’actuel coprésident de l’AC Bobigny.

Si le rugby semble gagner du terrain face au football en Seine-Saint-Denis, le nombre de licenciés reste faible comparé à certains départements voisins. D’après une étude de l’INSEE publiée début septembre, en 2021, 3 510 personnes sont licenciées de rugby dans le 93 (40 000 licenciés pour le football en 2019) contre 5 060 personnes dans l’Essonne. Mais parmi les licenciés de la Seine-Saint-Denis, 17,4 % d’entre eux sont des femmes, soit la part la plus élevée d’Ile-de-France.

« Chez les filles, il y a un gros travail qui est fait à tous les niveaux dans les écoles afin de les amener vers le rugby. Les garçons sont plus attirés par le ballon rond parce que culturellement, c’est comme une distinction sociale pour eux. Dans les départements comme l’Essonne ou les Yvelines, le rugby est davantage populaire chez les mecs », analyse par téléphone, Marc-Henri Kugler, manager de la section féminine depuis sa création. « Pour moi, en Seine-Saint-Denis, l’avenir du rugby passe par les femmes », s’exclame-t-il.

Émeline Odi et Diakoumba Diaby  

 

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