« ET SI ON PASSAIT L’ETE EN ALGERIE ? » 3/4. Après 21 ans sans retourner en Algérie, Faïza, encouragée par ses proches, a opté pour un vol Paris-Alger. Premiers pas sur une terre pleine de promesses.

Je ne suis pas une aventurière. J’appartiens plutôt à la catégorie des gens qui développent des Toc avant de partir en voyage et vérifient douze fois qu’ils ont bien leur billet et leur passeport dans la poche intérieure de leur sac. Puis qu’ils sont au bon endroit pour récupérer leurs bagages sur le carrousel. Bien entendu, ma valise arrive toujours en dernier. Mais au moins je suis sûre d’être au bon endroit puisqu’ici tous les panneaux sont écrits en français et en arabe. Et comme ce n’est pas avec mes six mois de cours d’arabe que je vais m’en sortir la traduction systématique me plaît.

carreAlg2Je ne vais pas faire ma savante et ressortir mes cours d’histoire, mais il est drôle de constater que les Algériens 51 ans après l’indépendance ont conservé leur « butin de guerre », la langue française comme l’écrivait joliment Kateb Yacine. Sans le savoir, j’étais une disciple de l’écrivain puisque je pensais, à 5 ans, que toute l’Algérie avait appliqué cette maxime et parlait français. Je faisais ma rebelle, je déambulais dans le village et voulais discuter avec tout le monde dans le village dans ma langue maternelle. La gamine capricieuse que j’étais ne comprenait pas pourquoi les Algériens ne répondaient pas tous dans un français parfait.

Dans la vraie vie aujourd’hui, en dehors des panneaux et des douaniers, la maîtrise du français est disons fluctuante. Tous les Algériens l’ont étudié dès l’école primaire, mais visiblement les enseignants ne sont pas très compétents ou les habitants sont frappés d’une amnésie collective. La première chose qui m’a frappée c’est leur appétence pour le vouvoiement. Pendant tout mon séjour, l’un de mes cousins m’a demandé chaque matin « comment allez-vous ? » avec fierté. Je n’ai pas eu le cœur et la patience de le reprendre. Soit il m’a vraiment prise pour Kate Middleton ou bien c’est tout ce qu’il a retenu de son apprentissage de la langue de Molière.

Je penche pour la deuxième option, car il n’est pas le seul à avoir usé de cette spécificité linguistique. La plupart sont très lucides sur leur maîtrise du français. Ma famille avoue volontiers parler « un français cassé »(en français dans le texte justement). Moi mon arabe il n’est pas cassé il est tétraplégique. J’ai fait du freestyle en conjugaison tout le long de mon séjour et ai décidé de parler malgré mon accent 100% gaulois et mon incapacité à rouler les r. En Italie ceux qui ne roulent pas les r sont considérés comme des bourgeois, moi avec mes r à l’arrêt je suis une grande aristocrate (désargentée) donc. Heureusement que l’arabe algérien est truffé de mots français comme « supérette, liquette, chargeur ou normal ». Ça rassure sur ses capacités cognitives.

 « Il fait chaud aujourd’hui ? Normal »

J’ai aussi découvert que « normal » est un mot de liaison en Algérie. À se demander si François Hollande n’est pas algérien en réalité. En fait, c’est même plus que cela, chaque fin de phrase ou presque est achevée par un normal. « Il fait chaud aujourd’hui ? Normal ». « Si je sors habillée comme ça, ça passe ? Normal ». « Tu t’amuses bien pendant les vacances ? Normal ». « Est-ce que c’est cher ? Normal ». Tout est normal tout le temps et partout. C’est génial et en plus ils n’ont même pas eu besoin de drogue pour avoir le sentiment de vivre dans la normalité. Et cette béquille langagière est transgénérationnelle puisque de ma cousine qui a 5 ans à mon grand-père de 82 ans tout le monde utilise à outrance le mot « normal ».

L’arabe dialectal algérien ne se résume pas à des mots de français. Parfois des mots m’échappent. Bien entendu, à plusieurs reprises j’ai du demander une traduction expresse d’un mot à ma mère qui elle-même a mélangé son français à l’arabe. Tant et si bien qu’en un mois elle est devenue une sorte de Jean-Claude Van Damme du bled. Moi-même à la fin du séjour j’ai presque contracté ce syndrome, à force d’être immergée dans la langue j’ai commencé à penser en arabe. L’Algérie a colonisé mon esprit, ça fait bizarre.

Avant d’arriver, j’étais persuadée que je trouverais des gens pour parler en français avec moi, histoire de mettre mon cerveau au repos. Il faut dire que lorsque j’étais petite, la télévision crachait toute la journée les programmes français du Club Dorothée aux pubs pour le poisson pané, l’Algérie vivait par procuration en France. Aujourd’hui ils ne connaissent même pas Nabilla, c’est dire. On m’a même demandé si Chirac était encore président. J’étais restée coincée dans mes souvenirs. Mais 20 ans plus tard, les paraboles ont attrapé un torticolis et ont tourné leur tête vers l’Est. C’est désormais les télés du Golfe qui font l’éducation religieuse des masses par écran interposé et les séries turques qui font l’éducation sentimentale des foules grâce à leurs feuilletons perfusés à l’eau de rose.

« Nos salutations »

Le tout en arabe syro-libanais, susceptible d’être compris par le plus grand nombre. Mais le français n’a pas tout perdu. Il gagne à l’écrit et sur la plupart des enseignes de magasin. Parfois massacré. J’ai vu un « fleure d’oranger », un centre « isthitique » et un « magasin de bonheur ». Bonjour, je voudrais 5 kilos de bonheur, merci, au revoir. Parfois le français est manié de manière étrange. À la Poste j’ai vu un écriteau « salle climatisée SVP ». Je ne sais pas trop ce que faisait le « s’il vous plaît » dans l’histoire, mais j’ai trouvé ça mignon. Sinon j’ai vu une affichette aussi à la sortie du téléphérique à Alger. Une histoire d’appareil « de type numérique » retrouvé. L’annonce est si alambiquée que ça en devient drôle. Le mot s’achève sur « nos salutations ». Tant de politesse ça réchauffe le cœur, et ça rendrait dépressif un prof de français.

Pendant mes vacances, j’ai hélas vécu une tromperie qui m’a meurtrie au plus profond de mon âme. Je me réjouissais de boire du soda tellement sucré qu’il ne peut-être que le résultat d’une entente illégale et cynique entre les fabricants de boissons et l’industrie pharmaceutique, en particulier ceux qui commercialisent les antidiabétiques. Bref je pensais naïvement que le soda acheté, rose fluo à faire péter la rétine, était bien aromatisé à la framboise, ma passion dans la vie. Et bien non après dégustation attentive, c’était de la mûre, qu’ils traduisent par framboise. Ça a fichu en l’air ma soirée. Mais blague à part les traductions sont en règle générale fidèles.

« Que d’heures passées à écraser les absinthes… »

Alg1À Tipaza, je suis allée visiter le sublime site de nécropoles romaines, l’un des plus beaux endroits que j’ai vu de ma vie, auquel Albert Camus a rendu hommage dans « Noces ». Si j’avais une micropoussière de son talent j’aurais pu écrire ça : « Que d’heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d’accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d’insectes somnolents, j’ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. »

Mais Camus a eu l’idée avant moi. D’ailleurs, je suis passée devant un restaurant portant son nom. Ça m’a fait chaud au cœur de savoir qu’un auteur que j’aime autant, malgré les polémiques, a laissé une trace ici. Ce qui m’attriste c’est que mes cousins et cousines n’aient pas entendu parler de lui pas même à l’école. J’ai profité d’une escapade algéroise pour acheter des livres d’auteurs que j’aime comme Malek Haddad ou Rachid Boujedra. Ils étaient là poussiéreux, attendant un achat providentiel et salvateur. J’ai l’impression que la francophonie recule, c’est fort dommage.

Alg5Heureusement il reste les bâtiments officiels comme les musées. Lors de mon pèlerinage sur les terres algériennes ma famille a jugé opportun de le faire visiter le musée national du moudjahid, car après tout je suis historienne de formation. Situé sous le mémorial du martyr, le Maqam El shahid, cet endroit est une glorification pure de l’histoire algérienne depuis 1830. Durant la visite, un chant patriotique est diffusé. C’est sympa, mais au bout d’un moment c’est un poil lassant. Mes cousins sont très fiers de me montrer les vraies armes de l’Emir Abdelkader et autres trésors.

Je suis de mauvaise foi, en fait c’était intéressant. Si on fait abstraction des légendes, un peu vindicatives, dirons-nous. Le coup de l’éventail de 1827 est qualifié de « faux prétexte à l’invasion française ». Au moins pas de circonvolutions langagières chez les Algériens. Les martyrs sont qualifiés de « héros » ainsi que les combattants. Tout le monde est héroïque ici. J’ai l’impression qu’il est plus facile d’obtenir un titre de héros national qu’un passeport algérien. Toutes les notules explicatives sont en français et en arabe. Rien en anglais. Ouais je suis une folle j’ai envie de titiller ma schizophrénie langagière. Imaginez le bonheur, avec mes cousins on aurait pu tous massacrer allègrement une autre langue que la nôtre . Mais en fait si on veut être à la page il vaudrait mieux qu’on se mette tous au mandarin.

Ce n’est pas un mythe, de nombreux Chinois viennent en Algérie pour travailler sur les chantiers en majorité. Parce que la passion numéro 1 dans ce pays après les ragots ce sont les travaux. Donc il y a besoin de main-d’œuvre. En plus ces immigrés aux yeux bridés maîtrisent l’arabe. Du coup j’attends les unions mixtes. Dans le village de mes grands-parents, ça a déjà commencé, une petite sino-algérienne vient de naître. Hourra, elle aussi va pouvoir traîner le boulet, ou la richesse c’est selon, de la double culture. J’espère que par égard pour moi, elle sera nulle en mandarin. Normal.

Faïza Zerouala

 

Lien sur les précédents billets :

Le bled retrouvé

Mes préjugés, le douanier algérien et moi

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