Bondy Blog : Le titre de la nouvelle saison c’est « En infiltré·e·s », et ma question c’est en intiltré.e.s où ?

Océan : C’est « En infiltré·e·s » parce que finalement nous tous·tes, la communauté trans, on est à un certain point infiltré·e·s dans la société. Au départ j’ai hésité pour le titre. En commençant à penser au projet, j’imaginais faire une suite de la première saison, et donc faire « En infiltré » puisque ça allait être moi en infiltré dans le monde des hommes cis, et pas que des hommes cis mais dans le monde cisnormanitif.

Mais je me suis dit que cette partie-là ne pouvait marcher que dans un dispositif de fiction. Dispositif que j’ai un peu appliqué dans certaines scènes que j’ai reproduites pour cette saison, comme la scène chez le médecin qui s’est passée comme ça au mot près. C’était des moments où je n’avais pas de caméras et donc je ne pouvais pas filmer, et c’est presque les moments les plus documentaires même si c’est reproduit.


‘En infiltré·e·s’ raconte les aspects pluriels des identités trans, au cours de nombreux épisodes diffusés sur la chaîne de France TV Slash. 

Néanmoins très vite j’ai eu envie d’élargir, et de ne pas uniquement parler de moi. Aussi parce que je me suis rendu compte après la saison 1 qui a été pas mal vue, que les gens avaient tendance à dire : « Ah donc c’est ça être trans, ça y est j’ai compris ce que c’est maintenant ». Moi je voyais tellement de gens différents dans la communauté, avec des parcours très variés, et aussi avec parfois une colère du fait d’être totalement invisibilisé·e·s dans la société, que je me suis dit que je ne voulais pas qu’on croit que ce n’était que « ça » être trans.

Je voulais ouvrir, faire connaître d’autres gens et d’autres parcours, et j’ai rencontré tellement de personnes mortelles et tellement incroyables dans la communauté depuis ma transition que j’avais très envie de les filmer. Assez rapidement j’ai aimé l’idée d’écrire le titre « En infiltré·e·s », déjà pour le côté féministe de l’écriture inclusive, et aussi pour dire que c’est nous tous·tes qui sommes infiltré·e·s dans la société.

Dans la première saison vous parliez de votre transition, de votre rapport à votre corps, de comment on peut transitionner et quelles sont les difficultés dans ce parcours, et on a l’impression que la deuxième saison c’est un peu les lignes de partage à l’intérieure même de ce parcours et comment il peut être rendu compliqué, difficile, voire impossible selon qu’on soit Noir, gros, sourd, porteur d’un handicap physique. Vous vouliez montrer quelque chose de plus pluriel ?

Je voulais montrer la diversité des parcours. Et je voulais montrer qu’on ne se résume pas à être trans, c’est pour ça que j’ai monté, par exemple, ce passage de David qui est en situation de handicap et qui me dit que le plus dur pour lui c’est le validisme, alors que moi je pensais qu’il allait me dire la transphobie. Je voulais montrer qu’on peut être trans et plein d’autres choses aussi, et que la transition elle-même prend un chemin différent quand c’est rattaché à autre chose.

Il y a plein de cas de figure où les parcours sont encore plus complexes et ne se résument pas à ‘oui j’ai transitionné’. 

Par exemple ce que dit Louis dans l’épisode 2, c’est ce que tous les hommes trans noirs m’ont raconté : depuis qu’il a un cispassing il se heurte aux violences policières et il a peur de mourir étouffé par les flics, alors qu’avant il était hypersexualisé, comme une femme noire peut l’être, mais n’avait pas ces peurs là.

Si vous êtes blancs et que vous n’y avez jamais pensé, vous ne pouvez pas le deviner. Et des gens qui ont vu la saison 1 peuvent se dire que les hommes trans peuvent rentrer à 3h du matin dans la rue sans flipper. Ok, mais en fait si vous êtes noir ça se passe comment ? Ok mais en fait si vous êtes gros et que les médecins refusent de vous opérer, il se passe quoi ?

Il y a plein de cas de figure où les parcours sont encore plus complexes et ne se résument pas à « oui j’ai transitionné ». Moi mon parcours est singulier aussi du fait de mes privilèges : blanc, bourgeois, médiatisé et quarantenaire.

Dans  cette saison on voit aussi comment le monde médical contrôle et dit ce qui peut être ou ne pas être au niveau du genre. Par exemple dans l’épisode 5 avec Mö, qui est intersexe [Les personnes intersexes sont nées avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins.] , et non-binaire, on voit comment le monde médical a décidé arbitrairement qu’iel serait une femme à la naissance…

Je vais vous dire la vérité, on a été obligé de couper des passages où on parlait de la S.O.F.E.C.T., qui est l’organisme qui a la main mise sur le parcours trans dans l’hôpital public, parce que la chaîne pensait que l’on risquait de se faire attaquer pour diffamation.

Il y avait une scène par exemple où un personnage racontait qu’à 16 ans quand il a fait son premier rendez-vous pour parler de sa transidentité et de son projet de faire une mammectomie, la médecin de la SOFECT a attendu que sa mère soit sortie de la pièce et lui a dit : « Vous savez que vous allez mourir sur la table d’opération », c’était pour lui faire peur. Malheureusement ces histoires sont banales, ce sont des pratiques courantes à la SOFECT. Il n’y a qu’un dixième des histoires dans la saison, on n’a même pas gardé le plus violent.


Mo a subi des maltraitances, des violences médicales et des viols, qu’iel raconte dans cet épisode. 

Dans la saison 1 j’avais montré le parcours d’une personne privilégiée matériellement : moi, j’ai pu passer dans un circuit privé où les choses avancent assez vite et j’ai vu le meilleur chirurgien, mais pour les gens qui passent par le public c’est beaucoup plus difficile. Il y aussi le non-respect du consentement, on ne l’a pas monté non plus mais il y a des personnes qu’on opère pas comme ils le voulaient. Là on en parle et je me rends compte qu’en effet la médecine est très présente mais en voulant filmer un panel de personnes assez large c’est ça qui revenait beaucoup.

Sur une autre institution qui dictait comment on devait être au niveau du genre c’est aussi la prison, Solenn qui est un homme trans, était dans une prison pour femmes, et disait : « J’avais un peu le droit d’être plus masculin en prison, mais on me disait que je devais être une bonne personne et pour être une bonne personne il fallait être une bonne femme ». 

Océan : C’est exactement ça, le lien est très juste entre la prison et la médecine même s’il n’est pas évident au premier regard, mais en effet ce sont des lieux de normalisation des corps et des genres où on décide ce qu’est un·e bon·ne « citoyen·ne », comment tu dois te comporter etc… Par exemple il y a Ravane, une femme trans qui se retrouve dans la prison des hommes en isolement, c’est quand même une double punition.

Non seulement tu es en prison, sans parler du fait que c’était complètement injuste parce que Ravane est travailleuse du sexe, et quand tu es travailleuse du sexe et que tu aides une copine travailleuse du sexe tu es considérée comme une proxénète j’en avais parlé dans mon podcast, mais même si c’était pour une autre raison, le résultat est qu’on les renvoie au fait qu’elles ne seraient pas de « vraies femmes », on les humilie. Et pour ce qui est de Solenn oui, pour pouvoir sortir il a du « bien présenter », à savoir être féminine au parloir…

Il y a une scène qui m’a beaucoup fait rire et touché, c’est cette où avec Solenn vous parlez de la découverte de la solidarité masculine, cette découverte que les mecs cis se soutiennent toujours entre eux. Est-ce que vous pouvez en parler ?

Ça a été un des premiers trucs qui m’a choqué quand j’ai eu un passing. J’attendais ma copine de l’époque, c’était un quartier animé, on ne se trouvait pas, je ne comprenais pas où elle était et je me mets plus ou moins sur le passage piéton avec mon scoot. Et là il y a un homme qui s’approche de moi, j’ai le réflexe de me dire « Oh putain je vais me faire emmerder », ce réflexe physique de peur que les femmes ressentent parce qu’elles se font embrouiller continuellement dans l’espace public. Mais en fait il était trop sympa, il me disait : « Fais gaffe, ne te mets pas là parce que tu sais que parfois les flics ils passent ». Moi j’hallucinais, il était vraiment sympa.

Je me suis rendu compte que des hommes qui m’oppressaient dans l’espace public quand j’étais perçu comme femme, deviennent très aimables avec moi quand ils me percevaient comme un homme cis.

Finalement ma copine arrive et elle était super énervée parce qu’elle avait fait deux fois le tour de la place sans me trouver et qu’elle s’était fait emmerder cinq fois notamment par ce mec. Donc vous voyez, ce n’est pas qu’il y a des mecs biens et de mecs mauvais, c’est que le même mec va être super sympa avec un homme et vraiment odieux avec une femme. Quand tu es un homme cis tu ne perçois pas ces choses là. Je me suis rendu compte que des hommes qui m’oppressaient dans l’espace public quand j’étais perçu comme femme, deviennent très aimables avec moi quand ils me percevaient comme un homme cis ; franchement c’est choquant à vivre !

Jusqu’au moment où ils découvrent que vous être trans ? 

Océan : Oui totalement, jusqu’au moment où ils découvrent que je suis trans. Moi je ne suis pas d’accord avec les mecs trans qui disent qu’on a « gagné en privilèges », je considère qu’on a pas gagné en privilèges. Le privilège c’est quelque chose qu’on ne peut pas t’enlever, comme le privilège blanc par exemple. Moi mon soi-disant privilège de passer pour un homme cis, à la seconde où les gens en face savent que je suis trans je me trouve exposé aux mêmes potentielles violences, et par ailleurs il y a plein de nouvelles situations où je me sens en danger que je ne vivais pas avant.

Je suis inquiet dès que je vais chez le médecin. Je me retrouve dans des situations d’hypervulnérabilité, que je ne traversais pas avant dans certaines situations.

Par exemple, on en parlait tout à l’heure, mais je suis inquiet dès que je vais chez le médecin. Je me retrouve dans des situations d’hypervulnérabilité, que je ne traversais pas avant dans certaines situations. Même si en effet quand je marche dans la rue avec ma meuf plus personne ne m’embête, et qu’il n’y a plus d’homme qui viennent se coller à nous quand on s’embrasse dans des bars. Je préfère dire que j’ai gagné en «confort » dans des situations précises comme l’espace public, mais ce confort disparaît immédiatement au moment où l’on découvre que je suis trans.

Dans la première interview que nous avons faite ensemble vous aviez dit que pour vous le fait d’avoir transitionné a été accompagné d’un déclassement professionnel, et dans cette deuxième saison il est beaucoup question du fait que vous ne trouvez pas de travail en tant que comédien. Qu’est-ce que c’est de travailler et de vivre dans le monde social quand on est trans ?

Je précise quand même que par rapport à la majorité des personnes trans je suis très privilégié, je travaille quand même, même si c’est surtout sur des films là-dessus jusqu’à présent, mais j’espère bien faire d’autres projets très prochainement. Mais c’est pour mon travail d’acteur, je vois bien que les directeurs de casting ne pensent jamais à moi pour un rôle de mec cis. Cet été je vais jouer un rôle dans un film d’une personne que je connais, et c’est parce qu’elle me connait et qu’elle a cette intelligence là qu’elle m’a proposé ce rôle de mec cis, mais si elle ne me connaissait pas elle n’aurait sans doute pas pensé à moi non plus.

C’est un peu frustrant de voir que non seulement on nous prend pas toujours pour les rôles de mecs trans, mais que pour les rôles de mecs cis ce n’est même pas envisagé 99,9% du temps. Quand après on râle parce qu’on ne peut pas jouer les rôles de mecs trans, ou co-écrire les scénarios, ou être conseiller sur les films qui parlent de transidentité, bah on a envie de dire : « donnez-nous des rôles, laissez nous écrire/réaliser ces films ! ». À part dans les films indépendants comme ceux d’Alexis Langlois, par exemple, où on existe, il reste beaucoup de boulot à faire dans les films plus mainstream.


‘En inflitré·e·s’ raconte aussi Comment se nouent les relations amoureuses lorsque l’on est trans, notamment avec l’épisode autour des dates. 

Et pour le reste, je vois bien que la majorité des personnes trans est précaire. Je ne pourrais pas vous citer de personnes trans chef·fes d’entreprise, ou bien à des hauts postes, parce qu’on vit des discriminations de partout. Un garçon trans que je connais, et qui veut rentrer dans la marine pour être pilote de sous-marin, a passé tous ses examens qu’il a réussi, il a eu de super notes dans l’ensemble mais pour l’instant il n’est pas admis parce qu’il doit être expertisé par un psychiatre et un endocrinologue.

Il est scruté comme un animal, on lui demande s’il a été opéré, si ça n’aurait pas des conséquences pour son quotidien dans le sous marin s’il est à cours de testostérone etc. Quand on est trans, il faut déjà réussir à s’accrocher pour continuer ses études, il y a plein de jeunes qui décrochent, parce qu’ils vivent de la transphobie quotidienne, sont mégenré·e·s dans l’amphi devant 400 personnes etc.

Il y a une phrase de Lexie, militante qui a créé le compte Agressivly trans, qui m’a beaucoup touché, elle a dit : « C’est pas l’État mais Acceptess-T qui a créé le Fond d’Action Trans ». Qu’est-ce que cette phrase dit de notre société sur les questions de transphobie ?

Océan : Déjà le fait qu’on n’ait pas les mêmes droits que les autres : commençons déjà par ça. On est par exemple exclu de la PMA, et ça a été revoté très clairement. À partir du moment où des gens n’ont pas les mêmes droits que les autres, comme c’était le cas pour le mariage jusqu’à peu pour les LGB, c’est qu’on vous considère comme un sous-citoyen, comme quelqu’un qui ne mérite pas la même attention.

La société bouge un peu certes, mais parce qu’on est plus bruyant. Il y a encore beaucoup de personnes trans qui se suicident et ça me brise le cœur.

Quand vous voyez à quel point c’est compliqué pour les femmes trans quand tu ne passes pas par cet endroit de contrôle qu’est la SOFECT, quand aussi tu n’es pas remboursé pour les épilations définitives par exemple. Quand vous allez à la SOFECT vous pouvez attendre 6 mois pour juste avoir un rendez-vous avec un psy, donc vous pouvez attendre deux ans pour avoir la moindre opération.

Deux ans vous avez bien le temps de vous flinguer quand vous êtes dysphorique et que c’est très compliqué pour vous. Quand vous ne passez pas par le parcours privé vous n’avez pas accès aux soins dont vous avez besoin de manière urgente.

La société bouge un peu certes, mais parce qu’on est plus bruyant. Il y a encore beaucoup de personnes trans qui se suicident et ça me brise le cœur, mais ces personnes se suicident non pas parce qu’elles se sentent mal d’être trans mais parce qu’elles subissent une domination constante. Moi tous les jours je reçois des messages de jeunes qui ne savent pas vers qui se tourner et qui ne connaissent pas forcément les associations ; parce qu’à l’école tous leurs camarades sont d’accord pour les appeler par leur prénom choisi sauf la directrice de l’école et qui interdit aux professeurs de le faire. Il reste encore beaucoup de chemin à faire.

Propos recueillis par Miguel Shema 

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