La rumeur était tenace, ancienne aussi. Si bien qu’avant même son élection, les bruits annonçaient déjà une démission précoce de Pascal Beaudet. Pendant la campagne municipale de 2014, les socialistes expliquaient à qui voulait l’entendre que l’élu communiste se présentait par devoir envers le parti, mais qu’il démissionnerait après quelques mois s’il devait être élu.
À intervalles réguliers, le bruit se faisait entendre à nouveau, comme ce soir où, en bureau politique, le maire d’Aubervilliers a lancé à ses élus : « Vous commencez à m’emmerder, avec vos histoires. Si ça continue, je vais me barrer et vous vous débrouillerez tout seuls. » Et puis, ces derniers jours, la rumeur, de plus en plus insistante. Confirmée lundi soir lorsque son directeur de cabinet, Pierre Quay-Thévenon, a annoncé à une poignée d’adjoints le départ imminent du maire. Très vite, la nouvelle s’est ébruitée, Le Parisien l’a révélée sur son site internet mercredi matin, obligeant le maire à communiquer (plus vite que prévu ?).
Raisons de santé… ou tensions internes à la majorité ?
Dans un communiqué publié sur sa page Facebook, l’édile explique que « des raisons de santé » l’ont « conduit à cette décision », « non sans émotion. » Partagée comme une traînée de poudre, la nouvelle a suscité des réactions mitigées à Aubervilliers. Humainement, la personne de Pascal Beaudet est unanimement saluée. « C’est quelqu’un d’honnête, qui se fiche complètement du pouvoir et sa décision le montre », glisse une ancienne collaboratrice de Jacques Salvator, maire (PS) de 2008 à 2014.
« C’est une bonne personne. Il est humain, sociable et il aime sa ville », confirme un élu de sa majorité. C’est sur la question de l’exercice du pouvoir que le bât blesse. À Aubervilliers, la démission de Pascal Beaudet serait-elle un non-évènement politique ? Depuis deux ans et demi qu’il siégeait à l’Hôtel de Ville, le maire n’apparaissait que très peu, déléguant à ses adjoints l’essentiel des tâches et disparaissant pour de longues périodes en raison de soucis de santé.
Récemment, en plein séminaire des cadres de la ville, il avait fait un malaise et avait dû être transporté à l’hôpital. Plusieurs fois, Beaudet a montré des signes de fatigue, physique et psychologique, durant ces derniers mois. À tel point que son directeur de cabinet et sa première adjointe étaient devenus les interlocuteurs privilégiés sur un certain nombre de dossiers.
Est-ce dans cette discrétion constante qu’il faut comprendre la relative indifférence à l’annonce de son départ ? Plus gestionnaire que visionnaire, Beaudet n’a pas su imprimer sa marque durant ces vingt-et-un mois passés à la mairie, six ans après son précédent mandat (2003-2008). Si bien que parmi les élus, le sentiment général est que cette démission « est une solution parmi tant d’autres », comme le résume un d’entre eux. « Il est fatigué, assez malade et n’est plus apte à prendre de grandes décisions », poursuit celui-ci.
Samir Maïzat, président du collectif citoyen 100 % Aubervilliers, s’était présenté à l’élection de 2014. Il avait recueilli 7,12 % des suffrages, mais refusé de s’allier, dans l’entre-deux tours, au PS ou au Front de Gauche qui lui faisaient les yeux doux. « Depuis deux ans, on ne savait pas où Auber allait, regrette-t-il. Malheureusement, Beaudet n’avait pas la carrure et s’est laissé engluer dans ses problèmes de parti. »
« Si ça peut redonner une impulsion… »
Pour beaucoup, c’est précisément là qu’il faut comprendre les raisons de la démission du maire. Sa majorité comprenait des « purs produits » du PCF, des personnalités de la société civile, des membres du Parti de Gauche, des partisans de l’aile gauche du parti communiste… La fresque composite occasionnait souvent des querelles internes qui auraient fini par faire craquer Beaudet. Sans compter les tensions – classiques – entre les élus et l’administration, nommée pour partie pendant le mandat de Jacques Salvator.
Dans ce cadre, sa démission peut-elle ouvrir une crise politique à Aubervilliers ? La perspective d’une place vacante nourrit, il est vrai, quelques ambitions au sein de la majorité. Pascal Beaudet a tenté d’endiguer toute forme de guerre interne en adoubant sa première adjointe, Meriem Derkaoui, comme « héritière ». En 2003, c’est par un même procédé qu’il avait été promu maire sous l’impulsion de son beau-père démissionnaire, l’ancien ministre Jack Ralite.
Là encore, la méthode interpelle. À gauche comme à droite, certains appellent à la convocation de nouvelles élections. Sans y croire un instant. La majorité choisira, en son sein, le nom du nouveau maire d’Aubervilliers. Jeudi, selon nos informations, la tendance était à une union derrière la candidature de Meriem Derkaoui. « Mais il faut se méfier de Jean-Jacques Karman », souffle un élu.
L’élu de 69 ans, fils de l’ancien maire de la ville (1957-1984) André Karman, a toujours rêvé d’exercer la fonction. « Je ne suis plus tenu par aucun accord », a-t-il prévenu dans Le Parisien. Manière de signifier qu’il n’exclut pas de présenter, une fois encore, sa candidature. Mais sa personnalité et sa ligne politique en font un élu assez largement isolé au sein du conseil municipal.
À l’inverse, le nom de Meriem Derkaoui paraît comme le moins clivant de tous. « C’est la personne la plus crédible à ce poste, affirme Samir Maïzat, le président de 100 % Aubervilliers. Lors de nos actions, c’est souvent elle qui nous écoute, tente de trouver des solutions… » Même son de cloche au PS. « Elle fait plus consensus que Beaudet, c’est indéniable », glisse-t-on parmi les militants socialistes.
Derkaoui peut rassembler autour d’elle
Née en Algérie, ancienne militante associative pour le droit des femmes, Meriem Derkaoui est arrivée en France à la fin des années 1990. En plus de son poste à la mairie, elle occupe celui de vice-présidente du conseil départemental et de conseillère communautaire. Signe de l’importance qu’elle a prise, ces derniers temps, dans les cercles politiques locaux. À Aubervilliers, beaucoup saluent son volontarisme et sa connaissance des dossiers.
Sans pour autant mettre de côté les interrogations sur l’avenir. « Quelle vision de la ville va-t-elle porter ? Sera-t-elle assez forte pour gérer sa majorité ?», résume Maïzat. Et l’enseignant de poursuivre : « De toute façon, ça ne pourra pas être pire. C’est comme lorsqu’un club de football change d’entraîneur : si ça peut créer un électrochoc, redonner une impulsion…». L’urgence, quant à elle, pourrait avoir des conséquences politiques. Un fin observateur de la politique locale résume : « Soit ils profitent du départ de Beaudet pour se mettre au travail ensemble, soit le chaos fait émerger les ambitions et les guéguerres ».
En pleine reconstruction depuis le retrait de Jacques Salvator, son emblématique leader, le PS n’excluait pas, mercredi, de choisir la voie de l’opposition passive. Cela pourrait commencer par ne pas présenter de candidat face à elle, pour le symbole. Dans une ville où la droite et l’extrême droite progressent, et où le personnel politique manque cruellement de leaders charismatiques, l’idée d’une union des gauches fait son chemin, au PS comme au Front de Gauche.
L’urgence, toutefois, sera ailleurs pour le successeur de Pascal Beaudet. Il s’agira d’abord de rassembler la majorité municipale, de proposer une vision d’avenir pour Aubervilliers et de nouer un lien avec les habitants. Contactés, ni Pascal Beaudet ni Meriem Derkaoui n’ont donné suite à nos appels, mercredi.
Ilyes Ramdani

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