Un à un, les prénoms des Courneuviennes et Courneuviens décédés du Covid-19 sont égrenés. C’est ainsi que s’ouvre l’événement organisé par la mairie ce mardi soir pour dénoncer les discriminations. À l’image du département, la ville a particulièrement été touchée par l’épidémie, comme l’a rappelé Gilles Poux, le maire communiste de la ville.

Département le plus jeune, la Seine-Saint-Denis est paradoxalement celui qui enregistre le plus de décès dus au Covid-19 en Île-de-France. Une surmortalité de l’ordre de 128 % entre le 1er mars et le 27 avril 2020, comme le rappelle l’affiche surplombant la place, qui s’explique directement par les inégalités sociales, territoriales, sanitaires que subissent les habitants de ces territoires.

Prises de parole, chants, poèmes… La mairie a souhaité se saisir de l’élan de mobilisation mondiale contre les violences policières et le racisme et la fin du confinement pour alerter sur les inégalités et les discriminations qui gangrènent la ville du 93. « Les mobilisations qui ont eu lieu dans le monde ont joué sur la manière de voir les choses. Ça a délié les langues, et on a souhaité profiter de l’émulsion autour de ces sujets pour prendre la parole », explique Betty Saint-Ubert, adjointe au maire à la lutte contre les discriminations.

Si les inégalités existent déjà depuis des années, la crise sanitaire et le confinement qui s’en est suivi les ont exacerbées. Liées à l’emploi, au logement, ou à la santé, elles exposent davantage les habitants du département au risque de contamination. « Il est plus facile de respecter le confinement quand on a une maison secondaire que lorsque l’on vit à plusieurs dans un petit appartement », souligne, de son côté, Stéphane Troussel, président socialiste du conseil départemental et conseiller municipal courneuvien.

La Seine-Saint-Denis est le département où réside le plus grand nombre de travailleurs-clés. Ainsi, 16,2 % des agents hospitaliers de la région, 18,7 % des caissiers et des vendeurs ou encore 21,6 % des livreurs habitent dans le 93 et placent le département en première ligne face à la précarité, y compris la signature.

Pour les jeunes, c’est toujours la même chose ici

Éducation, santé, violences policières… Courneuviennes et Courneuviens se relaient pour témoigner des situations d’inégalités qu’ils vivent quotidiennement. Lycéen en classe de Première, Jeroen raconte : « Beaucoup de lycéens n’ont pas d’ordinateur chez eux et ne peuvent avoir accès à une continuité pédagogique. Ce qui entraîne des situations de décrochage scolaire. » Le jeune homme dénonce l’inégalité des chances dont pâtissent de nombreux élèves et étudiants en situation de précarité.

Sur un tableau mis à la disposition du public, « mur de réflexion participatif », les habitant.e.s rapportent à l’écrit les injustices dont ils sont victimes. « Personnellement, je ne me sens pas protégée par la police car je suis noire et que j’ai des frères et un père noir », peut-on lire sur l’un des post-its.

Dans la foule, des mères de familles arborent leurs pancartes. Mère de quatre enfants, Aïssatou, 60 ans, fait partie de ces femmes qui se réunissent chaque semaine pour débattre et trouver des solutions aux inégalités qui minent le quotidien de leur famille. « Quand on habite dans le 93,  l’adresse postale est un frein dans l’orientation scolaire puis professionnelle, déplore-t-elle. Mes enfants ont été épargnés, mais ce n’est pas le cas de la majorité des habitants du 93. On ne va pas au-delà pour voir si les élèves ont les capacités. »

Samira, elle aussi mère de famille, dénonce le chômage systématique des jeunes Courneuviens et les contrôles au faciès à répétition : « C’est toujours la même chose ici. Les jeunes n’arrivent pas à trouver de travail. Ils sont soit au chômage soit au RSA. Il n’y a aucune possibilité. Il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des jeunes dans la rue. Nos enfants se font tout le temps contrôler, simplement parce qu’ils vivent à la Courneuve. »

En Seine-Saint-Denis, durant les premiers temps du confinement, le taux de verbalisation a été trois fois plus élevé que la moyenne nationale selon les données collectées par Libération. Dans un rapport, intitulé « Ils nous parlent comme à des chiens », rendu public le 18 juin, l’ONG Human Rights Watch dénonce le fait que « la police française fait usage de ses larges pouvoirs de contrôle et de fouille à l’encontre de jeunes Noirs et Arabes même en l’absence de signe ou de preuve d’infraction à la loi. »

Un constat également mis en lumière dans la foulée, par le rapport du Défenseur des droits, rendu public lundi, et intitulé « Discriminations et origines : l’urgence d’agir », dans lequel il affirme que : « Les discriminations ne sont pas le résultat de logiques individuelles, de quelques DRH qui refusent d’embaucher des personnes noires ou arabes […] c’est tout le système qui est en cause. »

« En tant que mère j’essaie de ne pas montrer ma colère à mes enfants, car je ne veux pas susciter de haine en eux. Le fait de se rassembler toutes les semaines avec les autres mamans qui partagent le même sentiment nous fait vraiment du bien », ajoute Samira.

La quadragénaire se félicite de l’action du maire : « Tout ce que fait le maire, c’est magnifique, mais ce n’est pas suffisant. Il nous faut des moyens. »

Manque d’actions,  manque de moyens

La prise de parole de ce mardi vise avant tout à interpeller le gouvernement et à demander des ressources financières à la hauteur des discriminations et des inégalités subies. Dans une lettre ouverte au président de la République, la mairie, rejointe par les habitants et des personnalités signataires comme Rokhaya Diallo ou Stomy Bugsy, formulent 6 mesures d’urgence pour rétablir l’égalité républicaine dans les territoires, notamment pour l’éducation, la lutte contre les violences policières ou encore la remise à niveau des services publics.

« Nous souhaitons, par cette événement, relayer les discriminations et les inégalités de notre territoire, et rappeler au Président ses promesses », précise Betty Saint-Ubert. En octobre 2019, le gouvernement a annoncé une batterie de 23 mesures visant à rattraper les carences et les inégalités du département, jugé insuffisant par Stéphane Troussel.

Le département reste le plus pauvre et cumule les indicateurs sociaux : 27% de taux de chômage pour une moyenne nationale de 10% et 43% de taux de pauvreté, pour 14% au niveau national. Avec près de 30% de la population âgée de moins de 20 ans, le 93 est aussi le département le plus jeune de France. Gilles Poux conclut : « L’avenir de notre pays se joue ici, nos vies comptent et elles doivent être respectées. »

Soraya BOUBAYA

Crédit photo : SB / Bondy Blog

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