Moi ou le chaos. Comme de Gaulle en 1965. Sauf que le contexte ici est bien différent. Le message d’Emmanuel Macron a le mérite d’être simple. Un peu trop simple. Lors de son dernier grand meeting de campagne au Paris Event Center, dans le XIXe arrondissement parisien, le candidat d’En Marche ! a lâché tous ses coups contre son adversaire, Marine Le Pen.

« Le 7 mai, ce sera elle ou nous », a-t-il lancé, grandiloquent. Objectif : opposer deux visions, deux projets pour le pays. Quitte à tomber dans une forme de manichéisme.

Il nous reste cinq jours pour battre le Front national

À partir de 15 heures, plus de 10 000 personnes – 12 000 selon les organisateurs du mouvement – prennent place dans l’immense salle Porte de la Villette. Dans une ambiance de boom colorée, voire de boîte de nuit, entre musique électro et tubes de Maître Gim’s et Khaled, les partisans, déjà bien enfiévrés, s’impatientent de voir leur champion. Les drapeaux européens côtoient les bannières bleu-blanc-rouge.

« Il nous reste cinq jours pour battre le Front national. Il nous reste cinq jours pour qu’Emmanuel Macron devienne notre président de la République », prévient le chauffeur de salle, Stanislas Guerini, tout en rappelant aux militants la nécessité de faire une procuration en vue du weekend férié du second tour.

Il y a des des intérêts électoraux dans tout ça, c’est ça la politique ! Les Insoumis veulent que Macron soit le plus mal élu

Odile Stanciu porte fièrement le tee-shirt du comité « En Marche » de Sarcelles, dont elle est l’animatrice. Celle qui est aussi syndicaliste CFDT Services ne pouvait pas manquer ce grand rendez-vous. « C’est important de soutenir Emmanuel Macron contre le danger de l’extrême droite, être à ses côtés pour cette dernière ligne droite, affirme-t-elle. On le voit, il est constamment attaqué de toutes parts. De notre côté, c’est pareil, quand on tracte sur le terrain, on le vit, c’est dur ». Pour autant, pas question de baisser les bras : « J’ai peur de l’abstention, mais je me battrai et militerai jusqu’à la fin ».

Alexandre Mamady, ingénieur automobile de 30 ans à Asnières-sur-Seine, s’en prend, lui, à ceux qui seraient tentés par l’abstention : « Ne pas voter, c’est favoriser Marine Le Pen. Je vous invite à aller voter pour ne pas vous plaindre plus tard. Quand elle sera élue, il sera trop tard. Il faudra assumer ». Autre sujet de discussion chez les militants : l’attitude de Jean-Luc Mélenchon. « Il y a des des intérêts électoraux dans tout ça, c’est ça la politique ! affirme Marc, militant à Porte de Saint-Ouen. Les Insoumis veulent que Macron soit le plus mal élu ».

Meeting d’Emmanuel Macron, au Paris Event Center, Porte de la Villette, à Paris.

Au premier rang, s’installent peu à peu des figures politiques, soutiens de la première heure ou depuis peu : le maire PS de Lyon, Gérard Collomb, le président du MoDem et maire de Pau, François Bayrou, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, les écologistes Daniel Cohn-Bendit et Corinne Lepage, les anciens ministres chiraquiens, Serge Lepeltier, Nicole Guedj et Jean-Jacques Aillagon.

La vieille garde du PS, elle aussi, a répondu présente dont deux des trois protagonistes du congrès de Reims de 2008 : Bertrand Delanoë et Ségolène Royal (qui n’était pas annoncée). D’autres figures de gauche ont voulu être sur la photo, à l’instar de l’ex-secrétaire national du PS, désormais secrétaire d’État, Harlem Désir. Une certaine idée du renouvellement prônée par Emmanuel Macron…

Projet contre projet

Aux alentours de 17 heures, Emmanuel Macron fait enfin son entrée dans l’enceinte parisienne. Il prend le temps de saluer ses partisans sur son chemin avant d’accéder à son pupitreLe candidat, qui ne veut pas se laisser enfermer dans une élection ordinaire, dramatise l’enjeu en faisant de son duel face à Marine Le Pen un combat pour « la démocratie libre ».

Meeting d’Emmanuel Macron, au Paris Event Center, Porte de la Villette, à Paris.

Entre les deux candidats, un fossé. C’est ce qu’il veut montrer : confronter « projet contre projet », France contre France. D’un côté, celle des « optimistes« , de l’autre la France « grimaçante » qui joue sur les peurs et « la colère ». D’un côté, la France « qui parle à tous » contre la France « pour quelques uns ». Dans son match à distance, l’ancien ministre de l’Économie cite un passage du discours de la candidate FN qu’elle a prononcé quelques heures plus tôt, à Villepinte. « Marine Le Pen l’a parfaitement résumé avec sa grossièreté bien connue, c’est « en marche ou crève ». Elle a raison : En marche, c’est nous ! » lâche-t-il, sous les rires, en désignant le FN comme « le parti de l’anti-France » ou en ironisant sur « le pauvre » Nicolas Dupont-Aignan, perdant « déshonoré« .

Il y aura un cocu dans l’histoire, parce qu’ils mentent

Pour illustrer son propos, Emmanuel Macron dézingue le programme de Marine Le Pen, surtout son pan économique en énumérant les conséquences de sa victoire : fin de l’Euro, « dévaluation de la monnaie », « appauvrissement des salariés », « abandon de nos alliances »… « Je pourrais continuer ainsi longtemps, vous expliquer que l’augmentation du Smic, la retraite à 60 ans, c’est un mensonge parce qu’ils ne la financent pas. Jamais ils n’expliquent comment ils le paieront. Soit ils augmenteront vos impôts, soit ils augmenteront votre dette… Mais il y aura un cocu dans l’histoire, parce qu’ils mentent ». « On n’en veut pas! », répondent les partisans d’En Marche, entre les traditionnels « Macron président » ou « On va gagner ». À chaque huée visant Marine Le Pen, Macron reprend la punchline d’Obama contre Trump : « Ne la sifflez pas, battez-la ! »

Grandiloquence, accents graves, tendance fin du monde. « La bataille sera violente, c’est maintenant que se joue l’héritage politique, intellectuel et moral de la République française », annonce le candidat, tel un télé-évangéliste. Dans ce schéma manichéen, Macron se pose en réconciliateur, en garant d’une République menacée par la poussée de l’extrême droite. « Jamais je n’accepterai la division du pays (…) Jamais, je n’accepterai que les Français qui croient en l’islam soient insultés » pour leur religion, promet-il. « Ce qui se joue n’est pas seulement la politique, c’est l’avenir de la société et du peuple français », clame-t-il, solennellement.

Un « oui mais non » adressé aux abstentionnistes et aux « Insoumis »

Emmanuel Macron le sait, le front républicain de 2002 n’existe plus. Il doit s’adresser à ceux qui ne l’ont pas choisi et tendre la main aux électeurs de Jean-Luc Mélenchon mais également aux abstentionnistes. Le chef de file d’En Marche ! a promis que son élection était aussi « un combat pour que vous puissiez exprimer demain vos désaccords », rejetant le slogan des « ni-ni », « la peste et le choléra » ; tout en disant son « respect » à ceux qui voteront pour lui pour battre le Front national. Autre belle promesse, celle de mener « la transformation du pays en respectant la part de responsabilité, la part de représentation qui est celle de nos organisations syndicales et patronales ». Un infléchissement dans le discours, Emmanuel Macron ayant eu des propos critiques sur les syndicats ces derniers mois.

Pour autant, il n’est pas prêt à aller plus loin dans les concessions. Jean-Luc Mélenchon, qui a refusé de dire s’il voterait blanc ou pour Emmanuel Macron, l’avait appelé dimanche dernier à faire « un geste » en direction des « Insoumis », lui suggérant de « retirer son idée de réforme du code du Travail ». Fin de non recevoir pour le candidat : « Changer mon programme ? Ce serait trahir les électeurs. Ces réformes sont efficaces. Nous les ferons ». Reste à savoir si cette tactique sera payante dimanche prochain.

Leïla KHOUIEL

Crédit photo : Mohammed Bensaber

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