Notre reporter Idir Hocini a passé une partie de la nuit de vendredi en compagnie de deux militantes pro Juppé en opération collage d’affiches dans les rues de Saint-Denis. Reportage.

François Fillon est arrivé largement en tête du premier tour de la primaire de la droite, mais dans la nuit noire, ce vendredi soir, à Saint-Denis, deux militantes de l’outsider y croient encore : Milisa, la quarantaine, employée dans une boite de marketing digital, et Nathalie fonctionnaire. Cette dernière a mobilisé son fils de 20 ans qui colle des affiches au lieu d’aller s’éclater avec ses potes, ce premier soir de week-end. Un bon garçon.

Tout en collant la carte des bureaux de vote du secteur, badge « AJ! » sur le cœur, Nathalie est tout à fait confiante en la victoire de son poulain car elle ne croit pas aux pronostics. « Les sondages, vous savez, depuis Trump… » Sauf que là, il ne s’agit plus que de sondages. Le score de François Fillon au premeir tour était de 44,09% contre 28,56% pour Alain Juppé. Milisa, elle, place tous ses espoirs dans « un rassemblement des fonctionnaires. Vu ce que leur prépare Fillon, ils feraient mieux de se bouger dimanche ». Pourtant, l’ancien premier ministre du précédent quinquennat n’est pas le seul à vouloir tailler dans les effectifs de la fonction publique : Alain Juppé souhaite la suppression des 300 000 postes de fonctionnaires, François Fillon veut, lui, 500 000 postes en moins dans la fonction publique.

Milisa est une vétérane du collage d‘affiches. Elle sillonnait déjà les allées nocturnes du 18e arrondissement de Paris du temps du RPR, au début des années 1990. « L’important, quand on colle une affiche, c’est les coins et une météo clémente. Un temps humide ce n’est pas bon ». Dans sa façon de parler, de s’habiller, de rires à mes vannes pourries, cette militante fait complétement couleur locale. « Je suis une Gavroche de droite », une auto description qui colle aussi bien au personnage que ses affiches sur les panneaux (je suis rigolo).

« Les militants de Fillon sont un peu déconnectés de la réalité »

Parlons de choses qui fâchent. Si Fillon gagne la primaire, vont-elles aussi coller des affiches pour le vainqueur ? « Je ne me rallierai pas tout de suite, confie Milisa. Le style des militants de Fillon n’est pas le même que le mien. Je les trouve un peu déconnectés et loin de la réalité. A ce propos, ces derniers temps, bien sûr, leurs rangs ont grossi. J’ai vu des militants Les Républicains qu’on n’a pas entendu pendant toute la campagne rejoindre Fillon au lendemain du premier tour aussi vite que le vent. On se demande bien pourquoi « .

Voila une heure que Milisa, Nathalie et son fils s’affairent à arborer les murs des rues de Saint-Denis d’affiches pro-Juppé. Quand soudain, au détour d’un bistrot kabyle, un poivrot à la toison rousse. En prenant un tract de la main de Milisa, il avoue, tout titubant, qu’il est homosexuel. Il était bourré, il a embrassé un mec, cette belle histoire d’amour fut intense mais bref. Des moments, des échanges, des rencontres rares et précieuses, qui nourrissent la foi de ces deux militantes. « Je n’éprouve aucun danger à tracter sur Saint-Denis, affirme Milisa. Dans les années 1990, j’avais peur par contre de tomber sur des fachos quand j’étais à Paris ».

Pendant que le collage d’affiches se poursuit, les deux femmes commentent le débat de la veille, notamment les propos de François Fillon sur la France qui n’est pas un pays multiculturel. « Il n’est pas venu dans nos quartiers, dans le 18ème, à Saint-Denis, Black, Blanc, Beur », raconte Milisa. Tout d’un coup elle peste. « A Saint-Denis, ce sont les communistes eux qui tiennent la mairie. Ils ont sucré presque tous les panneaux où on pouvait coller ! »

« Le social, la lutte, l’écologie ce n’est pas que pour la gauche »

Une coco ! Voila à quoi elle me fait penser Milisa ! Depuis tout à l’heure je cherchais. Elle me rappelle les militants PC que j’ai croisés à la fête de l’humanité, entre deux sandwichs merguez. La remarque l’a fait sourire. « Tu sais, le social, la lutte, l’écologie ce n’est pas que pour la gauche. C’est des questions qui intéressent aussi notre mouvement ». Franchement, avec son look très local, ses convictions et ses positions sur la discrimination à l’embauche qu’elle a connue en mettant Saint-Denis sur son CV, on n’a du mal à croire que cette femme du peuple a coller des affiches pour Nicolas Sarkozy en 2012. Elle le défend. « Il est comme moi, des fois il parle sans réfléchir ».

Pourquoi tracter pour Alain Juppé plutôt que pour François Fillon ? « Je crois au modèle social français. Je crois qu’il est réparable. Je pense qu’Alain Juppé peut le faire », répond Nathalie, oubliant visiblement au passage la baisse de 100 milliards d’euros de la dépense publique en 5 ans proposée par Alain Juppé.  Soutenait-elle l’ancien Premier ministre en 1995, quand il avait lancé la reforme des retraites, envoyant la moitié du pays dans la rue ? « Non, je soutenais les grévistes, avoue Nathalie. Mais cette reforme, avec le recul, il fallait la faire. Il avait raison ».

Il est bientôt 23h00 quand je quitte Milisa, Nathalie et son fils. Toutes les personnes qu’ils ont rencontrées leur ont assuré qu’ils voteront pour leur poulain. Logique : Alain Juppé est arrivé en tête du premier tour de la primaire en Seine-Saint-Denis. Une exception en Ile-de-France voire en France hormis les départements de l’Aquitaine. Restent deux questions : la mobilisation sera-t-elle aussi forte lors du second tour et le report des voix notamment celles de Nicolas Sarkozy qui a apporté son soutien à François Fillon. Milisa et Nathalie, colle et affiches à la main elles, continuent à y croire.

Idir HOCINI

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