Un projet de données informatiques sur les enfants, très peu relayé par les médias et dont très peu de parents ont entendu parler, fait l’objet d’un déploiement généralisé en France. Ce projet s’appelle Base élève*. Le ministère de l’éducation nationale a décidé de mettre en place un nouveau système de fichier informatique centralisé qui contiendra des renseignements confidentiels à hauteur de 60 champs d’informations sur les enfants de la maternelle et de l’école primaire.

Chaque enfant aura son numéro identifiant. Les données le concernant seront conservées 15 ans. Base élève relevant dorénavant de l’obligation scolaire, les parents ne pourront pas exiger que le nom et les données sur leur enfant soient retirés du fichier puisque celui-ci appartient à l’administration. L’accord des parents est demandé uniquement lorsqu’il s’agit de diffuser la photo de leur enfant.

Tous les directeurs d’école et les enseignants des secteurs public et privé auront l’obligation de retenir toutes les informations possibles et nécessaires à la création de ce fichier. Ils contribueront ainsi à sa bonne évolution et à sa pérennité. Même les enfants qui suivent les cours par correspondance depuis un lit d’hôpital, ou de chez eux, seront recensés.

Différentes administrations y auront accès, telles que les mairies, les préfectures, les académies, les ministères (de l’immigration, entres autres). Cette réserve d’informations sur les enfants et leurs familles, qui ne sortaient pas de l’école, dira tout ou presque de leur vie scolaire et privée. La FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves), association classée à gauche, s’en alarme et le présent article se fait l’écho de cette inquiétude.

Voici quelques-unes des informations qui seront conservées sur 15 années : l’identification civile totale : date et lieu de naissance de l’enfant et de sa famille, photo, année d’arrivée en France, pays d’origine, police d’assurance, adresse et téléphone du domicile. Dénomination et coordonnées du lieu de travail des parents, code socioprofessionnel, situation familiale précise, langue et culture d’origine, absentéisme, décision de passage de classe ou de maintien, informations périscolaires, restaurant scolaire, déplacement domicile-école.

Ce n’est pas tout : études surveillées, garderie matin-soir, niveau scolaire, difficultés scolaires, déficiences ou atteintes, la maitrise des techniques usuelles de l’information et de communication, l’acquisition des connaissances sociales et civiques, la possession d’une culture humaniste, aptitudes sportives, suivi pédagogique particulier, temps d’intégration scolaire, historique de la fratrie…

Sous la pression d’un mouvement de protestation de parents d’élèves, d’enseignants et d’organisations de défense des droits de l’Homme, le ministère a annoncé le 5 octobre 2007 la suppression des champs relatifs à la nationalité – tout en maintenant le lieu de naissance.

L’une des utilisations de ce système se trouve dans la loi de prévention de la délinquance du 5 mars 2007, alors que le ministère de l’éducation nationale argumente que l’objectif de ce projet est d’apporter une aide à la gestion locale des élèves, d’assurer un suivi statistique des effectifs afin d’adapter des méthodes pédagogiques et un suivi des parcours scolaires.

Voici l’avis de deux parents d’élèves:

Charlotte Marin, maman de deux élèves de CP et cours élémentaire dans le 19e arrondissement de Paris : « Ce que je trouve inquiétant, c’est qu’il est question que les maires aient accès à la base et aussi que les infos soient conservées depuis la maternelle, alors que tu peux avoir eu une enfance ou une scolarité difficile sans que tu soies obligé que ça te suive jusqu’à l’âge adulte. Tu as le droit, en tant qu’adulte, d’avoir envie d’oublier ou de ne pas te référer à ce que tu as vécu dans ton enfance. Là, c’est comme si tu n’avais pas droit à l’erreur, dès l’enfance. »

Yasmina Bénhelal, maman de deux enfants et présidente de l’association des parents d’élèves à l’école primaire Jean Jaurès dans le 19e arrondissement de Paris : « Toute difficulté liée à la scolarité sera mise au passif de l’intéressé. Un enfant qui aura reçu un avertissement dès le cp, le portera dans son dossier scolaire et, pourquoi pas, dans sa vie professionnelle. Il devra se justifier sur un moment qui a été difficile. Plus de notion de deuxième chance et on ne sait pas jusqu’à quel point ce sera public.

» Pour une bêtise en cp, les mômes seront désignés comme prédélinquant. A quand la carte nationale d’identité et le casier judiciaire pour inscrire son gosse de 3 ans à l’école? Des problèmes de violence existent et doivent être sanctionnés mais la solution n’est pas d’inscrire les enfants à vie dans un casier judiciaire scolaire. Le nivellement par le haut serait plus porteur que le fichage. Cette loi sur le projet Base élève est la preuve de la mise en place d’une politique d’inégalité des chances. »

La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), comme le rapportait Le Canard enchaîné en 2007, a déjà dû rappeler à l’ordre le ministère de l’éducation nationale. Il semblerait en effet que des fichiers de centaines d’écoles aient été déjà consultables sur Internet. Il suffisait de donner comme nom d’utilisateur le numéro de l’établissement (un renseignement public) et comme mot de passe le même numéro. On ignore si des personnes ont accédé à ces données ou si des modifications y ont été apportées. En tout cas, l’accès à ces fichiers a été provisoirement fermé.

Nadia Méhouri

*Une journée d’action nationale organisée par la FCPE et différents syndicats est prévue le 2 avril 2008.

Nadia Mehouri

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