Le 8 avril dernier, Claude Bartolone présente un budget en déséquilibre contrairement aux exigences légales. Il entend souligner la « défaillance de l’Etat » dans le transfert des financements accompagnant le transfert d’un certains nombres de compétences aux départements, prévu par lé réforme constitutionnelle de Jean-Pierre Raffarin du 28 mars 2003. D’après ses calculs, depuis 2004, l’Etat devrait près de 650 millions d’euros au département.

La Chambre régionale des comptes (CRC) a analysé ce budget et émis un avis défavorable : en effet, selon cette instance, le conseil général ne peut pas inscrire dans ses recettes l’argent que le département attend de l’Etat. Elle propose dès lors un nouveau budget reflétant les recettes réelles du département. Le conseil général devait décider vendredi soit de suivre la recommandation de la CRC, soit de l’ignorer.

La séance, ouverte à 9h, devait voter sur ce point central. La question du budget – et le choix de demeurer dans l’« illégalité » ou non – étant sensible, Claude Bartolone a mis l’accent sur le contexte et tenté de convaincre les conseillers généraux de voter contre l’avis de la CRC. Si, sur le fond, le Parti communiste soutient le « patron » du département, il a souhaité présenter un amendement : réserver 30 millions sur les 75 millions (somme que l’Etat « doit » à la Seine-Saint-Denis) au titre de la compensation des cartes de transport Améthyste et Imagine R.

L’opposition, toute heureuse de ne pas avoir à plonger les mains dans ce cambouis-là, souligne de son côté l’importance de « respecter la loi ». Elle tourne un instant Claude Bartolone en dérision en l’assimilant à un acteur de la Commedia dell’arte et lui rappelle les frais dépensés pour sa communication et son utilisation des panneaux de publicité et de la presse du conseil général pour faire sa « propagande ».

Avant de mettre ce point du jour en délibération, le président du conseil général répond de manière synthétique aux questions des élus, puis suspend la séance. Il est 12h30. Nous réussissons à l’interviewer à la sortie du conseil. Lorsqu’on lui demande s’il est prêt à prendre le risque d’une mise du département sous tutelle de l’Etat, il nous répond : « Je ne veux pas que les élus soient transformés en porteurs de mauvaises nouvelles. Nous en sommes là à cause de l’action de l’Etat et puisque c’est la conséquence de l’action de l’Etat, que le préfet l’annonce (le placement sous tutelle, ndlr) à ma place. »

Mais on fait remarquer alors à Claude Bartolone que les finances de l’Etat sont déjà dans une situation catastrophique. Dans ces circonstances, à quoi cela sert d’aller demander des financements qui n’existent pas. Le président du conseil général du 93 se lance dans une tirade : « Les finances sont dans un état catastrophique parce que l’Etat a amplifié la catastrophe. C’est lui qui a décidé le bouclier fiscal, les baisses d’impôts, la baisse de la TVA sur la restauration, la défiscalisation des heures supplémentaires. Nous ne sommes pas en cessation de paiement. C’est le Président de la République et le gouvernement qui ont fait le choix sur les sommes qu’il a eu l’occasion de distribuer à ceux qui sont les plus privilégiés amis du Fouquet’s et qui n’avaient pas forcément besoin de cette aide de l’Etat, alors que les collectivités locales, elles, en ont besoin. »

Claude Bartolone pointe les risques liés selon lui à la réforme des collectivités territoriales en cours de discussion à l’Assemblée nationale  : « Avec cette réforme, le département va se transformer en bureau d’aide sociale de la région. Si l’Etat décide de nous mettre sous tutelle, nous n’aurons plus de marge de manœuvre, puisque nous dépendrons en quasi-totalité des dotations étatiques. Nous n’aurons à la fois plus aucun moyen pour intervenir sur nos recettes, nous n’aurons plus qu’à entériner des décisions prises par le gouvernement. C’est la fin d’une politique départementale. »

Reprise de séance, il est 13h30. Claude Bartolone semble de très bonne humeur, au point de chanter quelques paroles dans son micro, mais nous n’avons pas reconnu l’air de la chanson. On passe au vote. L’amendement du Parti communiste est rejeté et le contre-budget de la CRC, sans grande surprise, est repoussé. En décidant de ne pas suivre l’avis de cet organe, la majorité de Claude Bartolone engage le département dans un processus de mise sous tutelle. Et c’est à donc à Christian Lambert, préfet de Seine-Saint-Denis fraîchement nommé, que reviendra l’« honneur » de gérer les finances du département.

L’UMP Ludovic Toro déplore l’attitude de la majorité du conseil général. « Un élu ne menace pas, un élu essaie de trouver une solution. Son premier rôle est de donner l’exemple, de rester dans la légalité. Ils ont voté le budget une première fois dans l’illégalité. Ils revotent aujourd’hui un budget dans l’illégalité. A un moment, il faut savoir s’arrêter. Il n’y a aucun motif à verser dans l’illégalité institutionnelle. » Et encore bonne chance, Monsieur le préfet !

Juliette Joachim et Imane Youssfi

Juliette Joachim

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