C’est un bien triste feuilleton qui revient chaque année aux prémices de l’été. Alors que lundi dernier, le conseil municipal de Grenoble (dirigé par l’écologiste Eric Piolle) a adopté le 16 mai dernier l’autorisation pour les femmes d’avoir accès aux piscines de la ville en arborant un burkini, nous avons assisté à une levée de boucliers des élus de gauche, de droite et d’extrême droite. Un mouvement de refus, de volonté d’interdiction, auquel nous sommes tristement habitués depuis des années en France.

À l’instar du voile, le burkini suscite des réactions épidermiques empreintes d’islamophobie et de sexisme à l’égard de nos concitoyennes musulmanes. Alors même que l’idée d’une proposition de loi visant à interdire le port du burkini commence une nouvelle fois à émerger au sein de la classe politique, se pose forcément la question de la constitutionnalité d’un tel acte. Et à dire vrai, la proposition de loi semble davantage politique que juridique.

L’inutilité du déféré laïcité

Ce sera toujours la même rengaine. Comme une nouvelle saison de Fort Boyard, la polémique autour du burkini arrive généralement au cours du mois de juin. Mais comme le rapport du Giec l’avait prédit, l’accélération du changement climatique nous rapproche toujours un peu plus des mauvaises nouvelles. Cette année le débat enfle depuis le 16 mai, jour auquel la municipalité de Grenoble a autorisé le port du burkini dans les piscines de la ville.

L’issue du vote était attendue, tant par les associations locales, comme l’Alliance Citoyenne, qui portent cette revendication depuis plusieurs années, que par les responsables politiques. D’ailleurs à la veille du vote, le Préfet de l’Isère avait fait savoir par communiqué, qu’il saisirait le tribunal administratif pour un « déféré laïcité » à la demande de l’ancien ministre de l’intérieur, ce cher Gérald Darmanin :


Le Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a été prompt à utiliser une nouvelle fois les possibilités offertes par la loi Séparatisme. 

Cette procédure instaurée par la loi séparatisme d’août 2021 qui avait fait couler beaucoup d’encre, permet aux préfectures de demander la suspension de l’exécution d’un acte d’une collectivité qui pourrait porter « atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics » selon l’article 5 de ladite loi. Le message est limpide : qu’importe le vote démocratique du conseil municipal, seul le passage en force administratif prévaut.

Néanmoins, il est clair que la délibération du conseil municipal de Grenoble ne porte en aucun cas atteinte au principe de laïcité, car s’il est vrai que le principe de neutralité s’applique aux agents d’un service public, il ne concerne pas les usagers tels que les femmes musulmanes qui souhaitent nager en burkini. Il y a donc fort à parier que le tribunal administratif déboute le préfet et donc indirectement le Ministère de l’Intérieur.

Une nouvelle méthode du Ministère de l’intérieur, acquis grâce à la loi séparatisme, qui n’est pas sans rappeler le harcèlement préfectoral qu’ont subi les fidèles de la mosquée de Pessac en avril dernier. Le Tribunal Administratif de Bordeaux et le Conseil d’État avaient successivement invalidé la demande de fermeture du lieu de culte soupçonné de séparatisme par la Préfecture de Gironde.

Le burkini n’est en aucun cas contraire à la loi de 1905

Actuellement la loi n’interdit pas aux femmes de se vêtir du burkini. Les seules restrictions vestimentaires sont inscrites par la loi de 2004 qui interdit aux élèves des établissements du primaire et du secondaire de porter des signes ostensibles d’appartenance religieuse. Ainsi que celle de 2010, qui interdit le port du voile intégral dans l’espace public. Il faut rappeler et marteler que loi de 1905 permet à chacun d’exprimer ses convictions religieuses dès lors qu’elles ne provoquent pas de troubles à l’ordre public.

D’autant plus que le doux souhait de Marine Le Pen ou encore d’Éric Ciotti d’interdire le burkini dans toutes les piscines et les plages publiques, reviendrait tout simplement à bafouer la Constitution et la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. Les deux textes qui font partie des fondements de notre système juridique, protègent les citoyens d’une discrimination religieuse comme semble l’être la proposition de loi que porte le député des Alpes-Maritimes.


Interdire le burkini et tout autre vêtement religieux dans les piscines se heurterait également au principe de la Convention européenne des droits de l’Homme que la France a ratifié en 1974.

Une énième polémique vaine autour des femmes musulmanes

Alors pourquoi ce débat revient-t-il sur la table une nouvelle fois ? Pourquoi les femmes et plus particulièrement celles de confession musulmane, ne peuvent se vêtir, nager, prier, accompagner des enfants en sortie scolaire, sans que cela ne se termine en débat interminable sur les chaînes d’info en continu ? D’autant plus que le Conseil d’État s’était déjà prononcé sur la question à l’été 2016, et avait estimé à l’époque que le burkini ne constituait en aucun cas un trouble à l’ordre public.

Il est vrai que cette polémique s’imbrique dans la période électorale, et que de ce fait chacun essaie d’engranger quelques voix en y allant de sa petite déclaration en télévision ou sur Twitter. Certains usent même de ce parallèle pernicieux et nauséabond qui consiste à dire : « que les femmes au Moyen-Orient se battent pour enlever le voile face aux Talibans, et autoriser le voile/ burkini serait leur manquer de respect ». 


L’argument habituel de la liberté des femmes afghanes pour empêcher les femmes musulmanes qui portent le voile d’aller à la piscine. 

Alors bien sûr, le combat des femmes qui luttent partout dans le monde pour se vêtir comme bon leur semble est à défendre, relayer et plus encore. Mais est-ce réellement leur faire offense que de permettre aux musulmanes résidant en France de vivre et de pratiquer leur foi comme elles le souhaitent dans le respect de nos lois ?

Ne devons-nous pas permettre à toutes les femmes indépendamment de leur croyance de s’habiller comme elles le souhaitent ? Qu’elles puissent en semaine A mettre le voile pour ensuite le retirer en semaine B ? Qu’elles puissent aller aux calanques en doudoune et se rendre à un marché de noël avec un jean et un débardeur ?

Permettre à toutes les femmes de se vêtir comme elles le souhaitent est le seul moyen de combattre l’obscurantisme qu’il soit religieux ou islamophobe. Nos lois doivent soutenir toutes les femmes valeureuses qui se battent pour le droit de faire société. Chose qu’une classe politique française de plus en plus élargie cherche chaque année à anéantir.

Félix Mubenga

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