Douze euros le jus de pomme dans un vieux rade de campagne, c’est un signe qui ne trompe pas : je suis dans un bordel. Les fesses qui se promènent à l’air, ça aurait dû m’alerter aussi, mais les films français m’ont tellement habitué à ce genre de plans où un postérieur se perd dans le champ que j’y fais même plus attention. Votre temps est précieux, le mien aussi, je ne vais pas perdre dix lignes à vous raconter comment j’ai atterri dans cette maison close à la frontière espagnole au retour d’une petite embardée sur Barcelone. Je dirais sens de l’orientation d’huitre et conducteur fatigué, pour faire court.

A la frontière il y a beaucoup de bordels, normal la clientèle est française : « Chez nous ça ce passe dans le bois, tu avoueras que ca craint », confie un jeune Narbonnais. On trouve des clients de tous âges, célibataires, mariés – ça c’est vraiment pas un souci –, venus se payer du bon temps. Selon un principe unanimement respecté dans le monde de la prostitution qui veut qu’on ne fasse pas le tapin en bas de chez soi, rares sont les filles du cru qui vendent du plaisir dans le lieu susnommé, du coup on reste dans le cliché : les filles de l’est.

Je suppose qu’elles ont dû se manger de bonnes grosses baffes avant d’atterrir là, mais d’après le témoignage d’une des intéressées, les conditions « d’emploi » sont correctes : « L’été tu me trouves sur la plage, pas de rythmes imposés, on passe chez le médecin une fois par semaine. » On fixe les tarifs à la tête du client, à celles des filles surtout, entre 80 et 120 euros la demi-heure. Le patron du bordel rafle 50 % de commission (comme dans les sociétés de soutien scolaire), contre 90 % pour un proxénète qui opère en France selon un rapport de l’Assemblée nationale paru en 2001.

De la baraque qui fait bistrot à la boîte de grand standing avec spectacles coquins et grands écrans, on trouve de tout à la frontière. Certains de ces établissements distribuent même des prospectus. Avec un jus de pomme, les poches vides et une morale irréprochable je n’ai pas pu pousser trop loin ma petite enquête. Un videur de deux mètres qui vous regarde en biais ça bloque également un peu vos aspirations journalistiques. A la frontière, la prostitution est donc devenue un business comme un autre, qui semble s’être affranchi de son image mafieuse, même si un client affirme qu’« il faut arroser la police de temps en temps ».

Idir Hocini

Idir Hocini

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