Présent dans trois cantons pour ce scrutin, c’est la liste courneuvienne du mouvement ‘la Seine-Saint-denis au Cœur’ qui arrive en meilleure position. Avec 20.1% des suffrages exprimés, le binôme Aly Diouara et Mebrouka Hadjadj se place derrière la liste de Stéphane Troussel, président sortant du conseil départemental (43.60%). Quant à la liste du parti communiste, celle de la majorité municipale, elle termine à la dernière place avec 11%. Des résultats encourageants, qui poussent Aly Diouara, enfant de la Courneuve, à croire encore plus à un changement politique populaire par la base. 

BB :
Vous êtes le porte-parole d’un mouvement citoyen. Quel est votre parcours ? 

Aly Diouara : J’ai 34 ans et je suis courneuvien depuis toujours. Actuellement je travaille pour la mairie de Bobigny, en tant que cadre de la fonction publique territoriale. Avant cela j’étais chef de service chargé de la vie associative, toujours à Bobigny. J’ai aussi travaillé comme cadre pour la ville de la Courneuve. Parallèlement, je suis directeur bénévole de l’association Asad (actions de solidarité et pour l’autonomie durable), qui promeut la réussite scolaire et sociale. Je suis aussi président de l’amicale des locataires du quartier des 4000 sud. Enfin, j’ai monté une ONG pour contribuer au développement de mon pays d’origine, la Gambie.

Quel est l’objectif de Seine-Saint-Denis au Cœur ? 

On estime que les Françai·se·s et étranger·e·s se désintéressent de manière chronique à la vie publique. L’idée pour nous c’est de vulgariser la vie publique, afin que les citoyens prennent conscience que l’ensemble des décisions aujourd’hui prises par les politiques les concernent et peuvent avoir un impact significatif sur leur vie quotidienne.

On prend position aussi sur des sujets d’actualité ( la loi sur le séparatisme, l’opposition dans les villes de gauche…etc). Dernièrement on a décidé de participer aux élections départementales. Au départ c’était seulement sur le canton de La Courneuve, puisque symboliquement ça reste celui du président du conseil départemental, Stéphane Troussel (PS) mais finalement nous sommes présents sur trois cantons. Saint-Denis 2 sur lequel on a fait au premier tour 11.40%, Epinay-sur-Seine (14.26%) et celui de la Courneuve (20.1%).

Nous proposons à travers cette candidature des réponses et des propositions, adressées à l’ensemble de la population et également aux politiques. On ne cherche pas à avoir le pouvoir, mais on cherche à poser des questions et jouer notre rôle de vigilance en tant que citoyens.

On a pas vocation de faire des carrières politiques, c’est pas l’objectif mais si on doit le faire par défaut, on le fera.

De quelle manière votre mouvement est-il présent, dans la quinzaine de villes du département où sont présents vos référents ? 

Nos forces vives viennent du mouvement associatif et de la société civile. Elles aussi, dans leur secteur, ont à cœur de vulgariser la vie publique afin de la rendre plus accessible. On parle de démocratie mais on ne démocratise pas les actions citoyennes. On ne permet pas l’émancipation du mouvement associatif. Dans le 93, il y a quand même beaucoup de clientélisme, et nous on a envie d’y mettre fin. On sait que ça va prendre du temps mais c’est l’intérêt de tous, notamment des générations futures.

Nous n’avions pas d’ambition électorale au départ mais à un moment donné il a fallu envoyer un message à ces politiques. Ne parler que de vulgarisation de la vie politique sans montrer que l’on a les moyens de le faire… Les gens diront d’accord c’est des gens qui parlent mais concrètement ils ne pèsent rien. Malheureusement les politiques ne comprennent que le pouvoir du vote. Ils n’ont peur que de ça, de perdre leurs privilèges. Si on leur écrit des courriers, ils n’y prêtent pas attention. On a pas vocation de faire des carrières politiques, c’est pas l’objectif mais si on doit le faire par défaut, on le fera.

Comment vous présentez-vous à vos électeurs  ? Est-ce un avantage de ne pas avoir d’étiquette politique ? 

Pour moi ce n’est ni un avantage ni un désavantage, c’est simplement ce que nous sommes. On a créé ce mouvement avec l’idée que l’on refusait l’antagonisme gauche droite en passant par le centre. Tous ces politiques, on estime qu’ils jouent un jeu, celui de dire qu’ils sont opposés alors qu’en réalité ils prennent des décisions ensemble, dînent ensemble, s’auto-arrangent ensemble… Il y a énormément de connivence. Ce qui fait qu’aujourd’hui ces personnes-là n’ont aucune raison de vouloir le système en place changer. Et nous on est contre ça. Nous sommes là pour les mettre face à leurs contradictions, ne serait-ce qu’en termes de valeurs.

Vous vous présentez tout de même comme une alternative de gauche. Comment faire pour éviter de créer la confusion chez vos électeurs, qu’est ce que vous leur dites ? 

On leur dit simplement que toutes les décisions actuelles sont prises sans leur consentement, sans même qu’ils soient avertis, sans même qu’ils soient informés. Ces élections l’ont prouvé. Les gens ne savaient même pas qu’il y avait des élections. Aujourd’hui on fait des grands projets de rénovation urbaine, qui vont avoir un impact sur les habitants et les générations futures, sans même les concerter.

On souhaite porter la voix des personnes silencieuses, des personnes résignées et faire en sorte que cette résignation recule.

Je vais prendre un exemple, ils sont en train de construire à La Courneuve, un data center. Un projet à plus d’un milliard d’euros. Ce projet là, quasiment aucun Courneuvien n’est au courant. Est-ce que c’est normal en France, dans une ville qui a été précurseur de la démocratie participative, que l’on fasse un projet d’une telle ampleur sans même en informer les Courneuviens ? Sans même qu’il puisse se prononcer là dessus ?

Nous on souhaite porter la voix des personnes silencieuses, des personnes résignées et faire en sorte que cette résignation recule et soit substituée par de l’intérêt et de la mobilisation. Il est grand temps que les citoyens des quartiers populaires fassent entendre leur voix pour un mieux vivre ensemble.

Quelle méthode proposez-vous pour y arriver ? 

Nous sommes déjà sur le terrain en tant qu’acteurs associatifs. En termes de projets, sur la réussite scolaire par exemple, nous proposons déjà un certain nombre d’actions qui vont et s’inscrivent en complémentarité avec l’éducation nationale d’ailleurs. Mais d’un autre côté qui viennent aussi faire état des lacunes, criantes et inhérentes liées à l’école. C’est une réalité.

On ne permet pas aux citoyens des quartiers de jouir de leurs pleins droits. On fait des propositions à travers cette candidature (instaurer un Revenu minimum jeûne, lutter contre les passoires thermiques, créer 10 Maisons départementales des Personnes Handicapées…) et d’un autre côté nos engagements associatifs font que l’on propose aussi beaucoup de choses au quotidien. On est au côté de la population, de manière authentique et sincère.

Un exemple concret ?

On a mis en place un dispositif avec l’association Asad pour accompagner les terminales à la sortie du Bac, puisque que l’on a remarqué que beaucoup d’élèves après avoir obtenu leur diplôme ne réussissent pas leurs études secondaires. Certains trouvent un petit boulot et ça les fatigue beaucoup, quand d’autres se concentrent sur le permis de conduire.

Notre dispositif “Bac permis bafa” permet de passer l’ensemble de ces trois diplômes en 10 mois. Depuis, les candidats ont 100% de réussite au bac. Tout le monde a le permis à la fin de l’année. On a fait de l’excellence. Et ce n’est pas un tabou. Dans nos villes, l’excellence est perçue comme capitaliste. Non, il y a des gens qui ont envie de réussir et de faire des métiers dans la finance ou autres. C’est leur choix. Venir imposer une vision de la société à toute une jeunesse, parce que soit disant on porte un projet politique qui s’inscrit à gauche ce n’est pas ce que nous voulons.

Concernant les élections locales, l’abstention est quasiment une bénédiction pour
les élus sortants.

Sur le terrain on y est. Je vous ai donné l’exemple d’Asad mais il y en a d’autres. Pendant la crise sanitaire, nous avons quand même distribué du gel hydroalcoolique à l’ensemble de la population. On sait que la Seine Saint Denis a payé un lourd tribut. La fracture numérique aussi. Tout ça on le dénonce, mais on propose des actions concrètes pour essayer d’impulser auprès des politiques un virage.

Il y a une désillusion politique à l’origine de l’abstention. Comment vous présentez-vous à ceux qui n’y croient plus et notamment à la jeunesse  ? 

Il faut les accompagner et les informer. Concernant les élections locales, l’abstention est quasiment une bénédiction pour les élus sortants. Ils n’ont pas pour intérêt à ce que les gens votent. Si les gens devaient aller voter ils voteraient par colère. La résignation laisserait place à la colère, les élus sortants seraient sanctionnés. C’est aussi ce qu’il s’est passé à cette élection d’ailleurs, puisque la liste du Parti communiste et de la France Insoumise arrive en dernière place.

Nous sommes allés voir les gens et nous leur avons dit que nous étions pour le changement. Et pour cela nous avons besoin de tout le monde. Paradoxalement nous au bureau des 4000 sud on a vu beaucoup de jeunes aller voter. Le constat est là. Au bout d’un moment, il faut laisser la place aux jeunes.

Vous ne pouvez pas parler au nom de la jeunesse sans qu’elle soit représentée. Oui il y a un tout petit peu plus de diversité mais elle ne tient pas le pouvoir aujourd’hui. Les gens croient aux personnes. Vous voyez les gens qui passent, me saluent. Pourtant je ne suis pas dans mon quartier. Mais parce qu’ils ont vu en moi, en Mebrouka Hadjadj, en Omar Nkrumah Penaque, etc, des citoyens qui leur ressemblent.

Comment avez-vous élaboré votre programme politique ? 

Nous nous sommes réunis avec plusieurs citoyens dans tous les quartiers. On est parti à la rencontre des uns et des autres, des salariés en lutte au H&M du Bourget, du personnel de santé, des infirmiers, des représentants syndicaux, etc. Ces rencontres sont venues confirmer notre analyse du département et de ses problématiques structurelles en termes d’emploi, de santé ou de sécurité. Avec cela on a proposé un programme.

Je crois que demain il faut changer ce système démocratique. Si il ne permet pas l’expression d’au moins 50% des inscrits et bien l’élection est caduque.

Dans vos communiqués, vous pointez du doigt la défaillance de l’Etat en Seine-Saint-Denis. Que pouvez-vous faire à l’échelle du département ? 

Je n’ai pas besoin d’aller dans un hémicycle. Pour porter une voix, oui, mais je crois que la démocratie est malade. La démocratie c’est le pouvoir au peuple. Je ne crois pas que les élus ont aujourd’hui une légitimité politique pour représenter telle ou telle personne. Quand on est élu avec 73% d’abstention on ne peut pas dire que l’on représente qui que ce soit. Je crois que demain il faut changer ce système démocratique. Si il ne permet pas l’expression d’au moins 50% des inscrits et bien l’élection est caduque. Oui ça va bloquer le système mais au moins ça va motiver les politiques à jouer véritablement leur rôle.

Cette élection est donc symbolique pour Seine Saint-Denis au Cœur ? 

Je pense que nos élus ont besoin d’un rappel à l’ordre, d’une sanction. Ça fait soixante ans qu’ils se partagent le pouvoir alors qu’il y a une abstention en constante progression. Cette élection à travers notre engagement fera des émules. Quand des villes comme Aubervilliers ou Montreuil viennent nous apporter leur soutien à travers des listes citoyennes, on se dit, il y a peut être une convergence des luttes à opérer.

Je n’ai pas vocation à m’allier à tel ou tel parti, après je parle pour La Courneuve. Chaque ville a ses particularités. Je n’inspire pas à avoir le pouvoir mais créer une émulation citoyenne et redonner intérêt à la citoyenneté afin que les citoyens jouissent pleinement et entièrement de leurs droits. Notre projet veut s’inscrire dans la durée.

Propos recueillis par Louise Aurat

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