Qu’avez-vous envie de faire de votre mandat de secrétaire d’Etat à la politique de la ville ? Je veux que ce soit un secrétariat d’Etat qui, très vite, saute du gouvernement. Je veux qu’il soit éphémère car cela voudrait dire que nous avons réussi le pari extraordinaire de changer la situation dans les banlieues. Qu’il s’agisse du bâti, avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, du chômage des jeunes, que nous espérons faire reculer, ou des conditions de vie en général. Le jour où mon secrétariat d’Etat n’aura plus lieu d’être, ce sera ma plus grande victoire.

Avez-vous la liberté d’agir comme vous l’entendez ?

J’ai connu Nicolas Sarkozy du temps où j’étais à Ni putes ni soumises. Il a son caractère, j’ai le mien. Les deux sont très chauds. Nous avons toujours eu des relations très honnêtes et très franches, un peu houleuses parfois. La première fois qu’il m’a demandé d’entrer dans le gouvernement, juste après la présidentielle de 2007, j’ai refusé, estimant qu’il était préférable de continuer la lutte au sein de Ni putes ni soumises. Je n’ai pas refusé sa seconde proposition, après les législatives. J’avais peur qu’on me traite de lâche. J’aurais détesté ça, je suis un peu kabyle, aussi… Ç’aurait été irresponsable de dire non, car, pour une fois, on me donnait la possibilité d’être aux manettes et plus seulement dans la posture de la dénonciation. J’ai donc accepté, mais Nicolas Sarkozy savait ce faisant que je n’allais pas me taire ni entrer à l’UMP.

Est-ce que vous avez un budget propre ?

Je dispose de 1,3 milliard d’euros affectés spécialement à la politique de la ville. D’autres ministères ont au total 8 milliards d’euros pouvant être dévolus à cette politique. Mais ce qui est intéressant, c’est la manière dont on utilise l’argent, c’est la pertinence des dispositifs mis en œuvre. Il faut faire exploser les mauvaises habitudes, les lobbies et les dysfonctionnements là où il y en a. C’est le plus difficile.

Par exemple ?

Les bailleurs sociaux. Lors de mes visites dans les quartiers, je trouve souvent des cages d’escalier qui puent, des boîtes aux lettres cassées, des tags sur les murs. Tous les petits trucs qui pourrissent la vie des gens. Tout ce qui provoque un sentiment d’abandon et d’insécurité. Les gens des quartiers ont le droit d’avoir un bel environnement, comme tout le monde. Plus les gens vivent dans du beau, plus ils le respectent, et je pense notamment aux jeunes. Avec Michel Delebarre, un des plus importants bailleurs sociaux, nous allons signer une convention nationale pour qu’à chaque fois qu’il y a dégradation du cadre de vie, les choses soient réparées dans les 48 heures.

A propos de budget, Azouz Begag, ministre délégué à l’égalité des chances dans le gouvernement Villepin, regrettait de ne pas avoir de budget. Ce n’est manifestement pas votre cas. Pouvez-vous décider librement de l’attribution de votre enveloppe budgétaire ?

Il faut quand même que je vous dise une chose: je ne suis pas l’Arabe de service, et encore moins la Beurette alibi. Effectivement, je peux prendre mon téléphone et décider de l’affectation d’une part de mon budget à telle ou telle initiative. Et cela sera le cas dans le cadre du plan banlieues.

Quelle est la teneur du plan banlieues ?

Je ne peux pas tout vous dévoiler à ce sujet pour le moment. Le plan sera annoncé fin décembre, début janvier. Mais je peux vous dire que ce plan comportera trois axes prioritaires: l’emploi des jeunes, le désenclavement des cités et la question de l’excellence éducative. S’ajoutera la problématique de la santé. Mon boulot sera de convaincre le président de la République et le premier ministre d’utiliser tous les moyens financiers à disposition, au-delà de mon budget de 1,3 milliard. Il faudra aligner le fric. Pour en avoir parlé avec le chef de l’Etat, je sais qu’il est déterminé à changer la situation dans les banlieues. Son soutien est total. Tous les ministres seront mobilisés pour cette cause. Ils iront sur le terrain. Le plan ne se limitera pas aux banlieues. Il touchera aussi les endroits plus reculés, en campagne, qui souffrent également d’enclavement. Il ne faut pas qu’il y ait de fracture dans notre peuple.

Le plan sera-t-il annoncé de l’Elysée ou d’ailleurs, en banlieue par exemple, pour en accroître le côté symbolique ?

J’aimerais que le plan soit annoncé à la fois de l’Elysée, parce que c’est l’endroit qui parle à toute la France, et d’ailleurs. Mais je ne veux pas vous en dire plus pour l’instant.

Qu’allez-vous faire jusqu’à l’annonce du plan ?

Je travaille à l’établissement d’une concertation qui ne se limite pas aux habituelles prises de contacts entre les maires et les associations de quartiers. Moi, je vais voir les mecs et les nanas qui sont dans les cages d’escaliers et qui ont aussi des choses à dire, même si parfois je ne partage pas leurs propos et leurs manières d’être. Il faut créer des espaces démocratiques dans lesquels les jeunes prennent la parole et s’expriment. C’est notamment ce que j’ai entrepris en créant deux blogs dédiés à cela (www.fadela-amara.net et www.pourmaville.skyblog.com). Il faut aussi discuter avec la grand-mère et le grand-père de ces quartiers, il faut mobiliser les médias. S’ils ont des choses à dire, c’est le moment pour eux de cracher le morceau. De la même manière, je vais convoquer les intellectuels. Car dans ce milieu tout le monde écrit sur la banlieue et se fait du fric sur le dos des mecs et des nanas de quartiers. Le monde économique est également concerné. J’ai rencontré à ce sujet Madame Parisot, la présidente du Medef. Les entreprises du CAC 40 iront dans les cités. Il y aura partout des débats territoriaux. Et c’est seulement à l’issue de ces débats, qui donneront lieu à une synthèse établie par le sociologue Sébastien Roché, que le plan sera divulgué par le président de la République.

Vous avez créé l’association Ni putes ni soumises suite à des faits gravissimes, et plus généralement en réaction à un certain machisme que vous situez en banlieue, plutôt chez les Maghrébins, qui est aussi votre origine. Comment comptez-vous pouvoir coopérer avec tous les acteurs de banlieues, alors que parmi eux, certains vous accusent d’avoir stigmatisé les « Arabes » ?

C’est vous qui le dites. En posant ce type de question, vous participez à la réduction d’un combat que j’estime extraordinaire et qui dépasse tous les clivages. Le combat contre l’obscurantisme et l’intégrisme religieux de tout bord ne doit pas être ramené à un combat contre le « machisme arabe ». Ceux qui pensent ça sont dans une logique de victimisation à outrance ou d’instrumentalisation politique. D’abord, Ni putes ni soumises n’a pas été créée seulement en réaction au drame barbare dont Sohane a été la victime (jeune femme brûlée vive en 2002 à Vitry-sur-Seine, ndlr). Nous sommes partis de loin.

D’où ?

Moi qui suis issue des quartiers et de l’immigration, je peux vous dire que la question de l’égalité entre hommes et femmes dans les quartiers n’est pas neuve. Nous l’avions posée durant la marche des Beurs, en 1983. Nous n’avions pas été entendues des hommes, qui nous disaient: « On réclame déjà l’égalité des droits avec les Français de souche, alors vous, les femmes, faut pas pousser. » Nous avons quand même, nous les femmes, pu obtenir des droits, mais ensuite, il y a eu une régression sur ce plan-là. Je n’accepte pas que le relativisme culturel – ce qu’on appelle le droit à la différence mais qui amène à la différence des droits – s’installe dans les quartiers. Les mariages forcés, la polygamie et l’excision ne sont pas admissibles dans notre pays. L’évolution des mentalités est difficile. Elle s’est peu à peu faite sur des points comme l’habillement ou les sorties. Mais elle achoppe toujours sur la sexualité.

De quelle façon ?

Quand je dis aux jeunes hommes des quartiers que la femme doit pouvoir disposer de son corps, certains rétorquent: « Attendez, là, faut discuter. » La présence des islamistes favorise la constitution d’un ghetto mental dans la tête de nos gamins. J’en parle d’autant plus facilement que mon frère avait basculé là-dedans dans les années 90. On a été le repêcher. La question de la virginité n’est pas obsolète. Dans les cités, on en parle: aujourd’hui, il y a des nanas qui portent le voile – je ne parle pas de celles qui le portent par conviction religieuse – parce que c’est un moyen pour elles de restaurer leur réputation et de se racheter une virginité de façon à pouvoir rentrer dans le marché du mariage. Est-ce qu’on accepterait cela des autres, des Blancs ? Pourquoi devrait-on le tolérer au prétexte que les jeunes femmes des quartiers sont issues de l’immigration ? Au nom de quoi ? Il n’y a de ma part aucune stigmatisation de qui que ce soit. Et l’accueil que me réservent les gens que je rencontre dans les cités ne me fait pas dire que j’ai des jours difficiles devant moi. Au contraire.

Le collectif AC-Le Feu a réagi au terme « glandouille » que vous avez employé à propos des jeunes désoeuvrés dans les banlieues. Ils trouve ce mot stigmatisant et vous invite à parler français. Que lui répondez-vous ?

AC-Le Feu est le bienvenu pour m’apprendre à parler français. Je trouverais plus intéressant que les membres de ce collectif deviennent acteurs du plan banlieues plutôt que de réagir de cette façon. Après la mort de Zyed et Bouna, à Clichy-sous-Bois, en octobre 2005, l’un des faits déclencheurs des émeutes urbaines, j’ai participé au rassemblement en leur mémoire. Mais je n’étais pas la bienvenue. AC-Le Feu a toujours combattu Ni putes ni soumises.

Pourquoi ?

Selon eux, je stigmatise les quartiers. Je ne veux pas être méchante, mais je crois qu’à un moment donné, la liberté et l’indépendance, ça coûte très cher. AC-Le Feu s’honorerait à devenir plus indépendant vis-à-vis du Parti socialiste et en particulier vis-à-vis du président du Mouvement des jeunes socialistes, Razzye Hammadi, chez qui il va chercher ses ordres. Je trouve dommage que ce soit un Beur qui dise à une Beurette qu’elle doit parler français. J’aime la confrontation des idées, mais ce que je n’admets pas, c’est l’instrumentalisation. Moi, j’ai payé cash ma liberté.

Les doléances des quartiers recueillies par AC-Le Feu ne sont pourtant pas une initiative négative.

Non, bien sûr. Toute initiative démocratique et républicaine qui émane des quartiers est positive.

Vous dites assumer votre positionnement de femme de gauche dans un gouvernement de droite. Mais comment réagissez-vous quand le ministre de l’immigration et de l’identité nationale, Brice Hortefeux, exige des préfets qu’ils remplissent les quotas de renvois de sans-papiers ?

Mon père et ma mère, pour des raisons liées à la guerre d’indépendance de l’Algérie, ont encore une carte de séjour. Ils n’ont pas souhaité devenir français. J’ai manifesté sous la gauche et sous la droite parce qu’on expulsait trop et parce qu’on ne parlait pas assez de la question des flux migratoires, qui a toujours été un sujet tabou. Ce n’est pas un problème de droite ou de gauche. Il faut cesser d’être hypocrite. C’est à l’échelle de l’Europe que ce problème doit être traité, dans une perspective de co-développement. Je suis pour la régularisation au cas par cas des sans-papiers, sous conditions.

Vous semblez un peu gênée pour réagir à la démarche de Brice Hortefeux.

Non, pas du tout. Je vais être claire. La question du chiffre d’expulsions à atteindre n’a aucun sens. C’est n’importe quoi. Je suis contre l’instrumentalisation politique de l’immigration.

Qu’est-ce qui pourrait vous amener à démissionner du gouvernement ?

Vous le saurez le jour où je déciderai de partir, parce que j’estimerai alors que les choses sont devenues insupportables pour moi.

Propos recueillis par Antoine Menusier

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