Rendez-vous est pris au téléphone à 16h avec Adama. Je me retrouve devant un grand bâtiment blanc connu pour accueillir de nombreux travailleurs africains. L’interphone est cassé et la porte aussi. Elle est grande ouverte et débouche dans un hall sombre, froid et jonché des restes de neige tombée récemment. Je cherche Adama un peu à tâtons à chaque étage, honteux de traîner ainsi, la fleur au fusil, chez des gens que je n’ai même pas prévenus.

A chaque étage, il y a de la vie, des enfants jouent dans les étroits couloirs de l’établissement et me saluent. Puis, il y a les adultes occupés aux tâches ménagères dans les salles communes… Finalement, je trouve mon contact qui m’attendait dans un des couloirs de la résidence. Les présentations sont assez rapides dans ce hall imprégné d’une forte odeur de nourriture. Il me sert la main chaleureusement et me fait entrer dans son petit appartement (à peine 10m² à vue d’œil).

A l’intérieur, sur la droite, un canapé où il s’assied et où je prends place à mon tour. Face à moi, une grande armoire et au milieu de la pièce, un ordinateur portable posé sur une chaise pliante. Avant même que j’aie commencé à sortir mes questions et des feuilles pour noter, mon hôte me présente l’homme qui est sur l’ordinateur et son histoire : le shérif de Nioro (près de la frontière mauritanienne). C’est un homme influant, qui était, au commencement, contre l’intervention des français au Mali. Aujourd’hui, comprenant la menace qui plane sur son pays,  il aide financièrement des organismes contre les rebelles. Il me montre aussi une photo de la principale figure de la rébellion : Lyad Ag Ghaly, ancien conseiller consulaire du Mali en Arabie Saoudite, qui s’occupait des négociations avec les rebelles du pays.

Cependant, mon but principal, en allant interviewer Adama, était d’obtenir le ressenti d’un Malien qui réside en France sur le conflit qui secoue actuellement son pays. Adama est malien, a 41 ans et réside depuis 12 ans en France. Réceptionniste et serveur dans un hôtel, il me précise qu’il vit avec son fils de 13 ans dans ce petit appartement. Il me montre un second fauteuil dans le fond de la pièce, sur lequel est entreposé des jeans, des sacs…

Adama se sent particulièrement concerné par la guerre qui touche son pays car sa famille vit encore dans son pays d’origine, dans la région de Sikasso (au sud du pays). Adama me dit que sa famille n’est pas au cœur des tensions car la zone en crise se situe à 1800km de leur village : « en plus, ils commencent à y être habitués, dit-il en rigolant, depuis l’indépendance du Mali, en 1960, il y a toujours eu des rébellions ».

Il fait la moue et ajoute « cependant, c’est la première fois que les tensions au sein de notre pays ont pris une ampleur internationale ». Je sens que malgré une certaine fierté, Adama est inquiet de ce qui se passe dans son pays. Il m’explique aussi que ce qui est paradoxal, c’est que c’est lui, en France, qui possède le plus d’informations sur le conflit, grâce à la télé, à la radio, aux journaux, à internet… Et qu’il divulgue ces nouvelles à sa famille, sur place.

Il commence alors à me raconter l’histoire de ce conflit qui, selon lui, a débuté en 2006, lorsque le Mali a signé des accords en Algérie pour assurer la sécurité des ethnies qui vivent au nord de leur pays. Cependant, en signant ces accords, selon Adama, son gouvernement n’avait pas anticipé ce qui allait suivre : toutes les milices algériennes refusées en Algérie ont fui vers le nord du Mali : territoire vaste, que les accords avaient désigné comme zone où la sécurité devait être confiée aux occupants de cette région.

Les milices algériennes (regroupées sous le nom de GSPC, Groupe salafiste pour la prédication et le combat) ont profité de ce large territoire où la sécurité leur était laissée, pour s’enrichir grâce au trafic de drogue, aux enlèvements… Le gouvernement malien n’avait pas assez d’influence pour les désarmer. Ces accords signent donc, selon lui, le commencement de la situation actuelle.

Durant cet historique d’une vingtaine de minutes, j’ai pu remarquer, au fond de la pièce, une table où étaient entreposés de nombreux objets : livres, nourriture, médicaments, journaux… Cette dernière vision m’a amené à lui poser la question suivante : comment ressentez-vous ce qu’il se passe actuellement dans votre pays ? Adama réfléchit puis me dit, assez embarrassé : « actuellement, nous les maliens, nous possédons un sentiment d’impuissance, de frustration, mais surtout d’humiliation de voir que notre armée, en 48 heures, a été complètement défaite par une armée non officielle ».

J’allais lui poser une question lorsqu’il ajoute, après avoir regardé dans la direction du couloir : « ce sentiment d’humiliation est renforcé par le fait que tout s’est passé très vite : l’armée a organisé un putsch contre notre chef d’état qui assurait un régime faisant preuve d’un semblant de démocratie. Puis, une semaine après, les rebelles ont commencé à attaquer. Contrairement à ce que la télévision française raconte, les rebelles n’ont pas gagné ville par ville. Il y avait 4 groupes qui, chacun de leur côté, ont concentré leur force sur une région de notre pays. L’armée était donc impuissante ! ».

« Et comment avez-vous perçu l’intervention de la France au Mali ? ». A cette question, Adama affiche un large sourire. Il me dit que paradoxalement, les seules personnes qui s’opposent à cette intervention ne sont pas des maliens (qui, dans l’ensemble, ont très bien accueilli la nouvelle, faisant face à la menace). Selon lui, ce sont certains français qui s’opposent le plus à cette guerre ! Il s’en prend notamment à Noël Mamère, qui s’affiche aux cotés de maliens qui abondent dans son sens et « qui ne veulent aucune aide extérieure ! Coupés du monde quoi ! », précise Adama qui trouve cette position aberrante.

« Vous savez, quand je regarde la télé française, je suis horrifié de voir que certains experts utilisent l’histoire malienne comme argument contre l’aide française. Notamment sur la période de la colonisation. Mais nous les maliens, nous connaissons très bien l’histoire de nos propres ancêtres ! Pour qui nous prennent-ils ? ». Il ponctue son impression, « si l’opinion nationale a soutenu Hollande, ce n’est pas anodin. Il a fait preuve de bon sens et de beaucoup de courage en intervenant ! ».

Lorsque j’aborde l’issue du conflit, Adama me dit que la guerre ne sera pas courte et qu’il pense que l’armée française va préparer le terrain pour une victoire de l’armée malienne, « histoire de redorer le blason ». Mais, il n’est pas sans espoir sur l’après : « l’armée française a envoyée 400 instructeurs au Mali. J’espère qu’ils formeront une armée malienne assez forte pour pouvoir réprimer une future révolte dans ce genre. J’espère aussi que les puissances occidentales ne partiront pas sans organiser le pays. Notamment, mettre en place des élections libres et démocratiques ».

Pour finir, je lui ai demandé, lorsqu’il parlait avec ses amis et ses collègues des pays frontaliers avec le Mali, quelles étaient les réflexions qui lui revenaient le plus souvent à propos de cette guerre. Moi qui m’attendais à une solidarité africaine, je me suis trompé de A à Z. Il me dit que ses fréquentations africaines sont assez sévères avec lui et que dès le début de ce conflit : « C’est quoi ce pays indépendant incapable de mater une révolution ? ». Je comprends alors pourquoi, aux questions précédentes, Adama a insisté sur le fait qu’il se sentait honteux vis-à-vis de l’opinion publique, n’étant même pas aidé par ses camarades transfrontaliers.

Je remercie Adama pour l’accueil et l’heure passée ensemble. J’ouvre la porte de sortie lorsqu’il me retient par le bras. « Cependant, à propos du conflit au Mali, j’aimerai faire part de la rancune de certains de mes compatriotes vis-à-vis du gouvernement précédent ». Je suis alors interloqué par cette phrase et m’assied à nouveau. « A l’époque, M. Juppé était ministre des affaires étrangères. Le MLNA (Mouvement national pour la libération de l’Azawad), groupe rebelle, avait littéralement égorgé 100 des soldats de l’armée officielle du Mali. Au lieu de nous soutenir, l’ancien ministre avait déclaré que les rebelles avaient obtenu une victoire significative sur l’armée malienne et qu’il fallait songer à engager des négociations.Ce groupuscule terroriste a alors profité de l’occasion pour revendiquer leurs idées à la télé, se faisant passer pour une minorité persécutée. Cependant, je tiens à dire que c’était faux puisque le Mali est un des seuls pays africains qui n’a jamais fait parler de lui pour des persécutions ethniques contrairement au Rwanda, à la Côte d’Ivoire, au Sénégal… ».

Je suis donc sorti songeur après cette déclaration, avec une question en tête. La France a permis aux rebelles d’avoir une plateforme de communication pour atteindre l’opinion publique. L’action menée aujourd’hui auprès des populations maliennes, n’est-elle donc pas une sorte de dédommagement ?

Tom Lanneau

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