Ils sont taxieurs, chômeurs, techniciens, handballeurs, éducateurs de quartier. Ils ont entre 25 et 45 ans. Ils habitent une cité de l’Essonne. L’identité nationale, ça ne leur parle pas. Ou ça leur parle mal. Je les ai tous rencontrés autour d’une bagnole qui ne voulait pas démarrer, et comme dit Fellag : « Le moteur d’une voiture est le seul endroit du pays (l’Algérie en l’occurrence) où la démocratie s’exerce en toute liberté, égalité, fraternité. » Alors, entre un tournevis et une bougie, le débat est lancé.

« Encore un gadget électoral pour désigner les immigrés ! Vas-y ! » s’insurge Reda, Français de parents marocains. « Quoi, l’identité nationale ? Avec un ministre de l’intérieur aux idées racistes et un ministre de l’identité nationale au cynisme sans bornes », soupire Denis, un Blanc.

Denis n’en a rien à faire de l’identité nationale, ce qui l’intéresse, ce sont ses fins de mois difficiles : « Est-ce que le gouvernement n’a pas mieux à faire ? J’ai peur de perdre mon travail, j’en ai marre de choisir à chaque fois que je fais les courses, entre tomates ou courgettes, viande ou produits laitiers, j’en ai marre de choisir entre acheter des chaussettes ou acheter à manger, le mot « vacances », je ne sais plus ce que ça veut dire, j’en ai marre à 33 ans de squatter chez ma mère. Qu’Eric Besson règle ses problèmes, au lieu de nous proposer un débat qui ne mène à rien. »

Mourad, éducateur de quartier, d’origine marocaine, se pose des questions : « Qu’est ce que l’identité nationale ? Qu’est-ce que c’est, être français ? Pour moi, être français, c’est aimer la France comme son pays d’origine, respecter ses lois, être dans le respect de l’histoire de chacun. C’est être ouvert d’esprit, démocrate et encourager l’égalité. Je sais ce n’est pas une mince affaire. »

En pleine cité, Mourad doit faire face au scepticisme : « Mais bon, comment transmettre cela à des jeunes qui sont persuadés d’être discriminés avant même de venir au monde ? T’es noir et tu aimes danser, eh bien va faire ça à l’entrée de ton immeuble (il fait allusion aux boîtes de nuit). T’es arabe ? Dur de te faire confiance, c’est peut être cliché, mais c’est la réalité. Dans mon métier, c’est comme ça à longueur de journée. Ils sont noirs, arabes, ils galèrent pour trouver des stages, ils sont bac + 4 et ils font les rayons chez Carrefour. Égalité, fraternité ils ne pensent pas que c’est pour eux. »

Mehdi, les mains plein de cambouis, est en colère contre les Français : « Avant, j’étais dans le BTP. Le travail était dur mais c’était quand même plaisant avec les potes. Lors de ma dernière mission, je me suis retrouvé le seul d’origine algérienne, parmi des Français. L’ambiance était très bien, jusqu’au moment où je me suis rendu compte que les autres n’arrêtaient pas de me chambrer, sur mes origines, mon histoire, du genre : « Alors Mémé, c’est du travail d’Arabe ça ! » ; ou : « Mais Mémé, si on te balance toi et un Noir du haut d’une tour, tu sais que c’est ton copain noir qui arrivera en premier ? Toi, tu t’arrêteras en plein chemin pour taguer « nique ta mère » ; ou encore « Hé Mémé, comment dit-on Alice au pays des merveilles en arabe ? Allez, tu dois le savoir ? Eh bien c’est Fatima chez Tati » .»

Un jour, Mehdi en a eu assez et il a dit, haut et fort : « Eh bien Bernard, tu ne sait plus quoi inventer ce matin ? Ha mais oui, il te manque ta bouteille, mais montre au patron comment tu bois tout en travaillant, il serait fier de toi. » Mehdi a sorti la bouteille de sa cachette devant le patron. Une semaine après, Bernard était sanctionné et Mehdi renvoyé. « Donc, qu’on m’emmerde pas avec ces questions à la con. »

Des amis réunis autour de la voiture, Reda est peut-être le plus révolté : « L’identité ? Et lui, son identité ? Un type qui change de camp comme s’il changeait de slip ? Vas-y… Je ne ressemble pas à ces gens-là. On parle la même langue, c’est tout. Et encore, j’ai l’impression que certains mots n’ont pas la même définition. Comme honneur, éthique, honnêteté. On ne vit pas dans le même monde. »

Reda, à 37 ans, est plein d’aigreur. La vie ne lui a pas apporté ce qu’il en attendait : « Toute ma vie j’ai été dans une cité. Et eux ? Toute ma vie j’ai été au Smic. Et eux ? Les politiciens français sont de la pire race. Baise leurs femmes mais ne touche pas à leur pouvoir. Si tu te convertis à l’islam, que tu portes le voile, ils vont te traiter d’imbécile et te mettre à la une. Où est le respect des uns et des autres ? »

» A cause de l’erreur d’un fonctionnaire français, sur un procès verbal, je galère depuis des mois pour avoir mon permis de conduire pour pouvoir travailler, raconte-t-il. Alors que si j’étais blanc aux yeux bleus, ça ne se passerait pas comme ça. Mais putain, j’ai ma CNI, merde ! Eric Besson dit qu’il est fier. Eh bien moi, je ne suis pas fier. J’aime la France, je hais les Français. »

Didier, prof d’histoire, se glisse dans la conversation : « Ils sortent l’identité nationale pour titiller la fibre patriotique de chacun de nous. Dans l’histoire, à chaque fois qu’un gouvernement fait appel à la fierté d’être français, c’est pour nous envoyer deux pieds sous terre. » Didier est persuadé que nous sommes manipulés : « Militer pour des fondements abstraits comme « appartenir au même sol, à la même histoire, au même arbre généalogique », tout ça pour prouver sa primauté sur les autres ? Non. Hitler est déjà passé par là. »

» Beaucoup ont sacrifié leur vie au nom d’un hypothétique devoir patrotique, ajoute Didier. Ils sont devenus de la chair à canon, au service du pouvoir et de la richesse de quelques-uns. Sortir ce débat aujourd’hui, c’est pour dissimuler de vrais problèmes. Dans l’antiquité, les Romains amusaient le peuple avec le théatre, eh bien, à ce que je constate, cela dure toujours. »

Nicolas Fassouli

Nicolas Fassouli

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