Jean-Paul Gauzès est député européen UMP-PPE, également conseiller régional de Haute-Normandie. Il a pris part au débat pour la mise en place de l’Union bancaire. Partisan de la régulation des banques, il s’exprime sur les conséquences de la dérégulation, sur la fraude fiscale et sur le traité transatlantique.

« La finance a un rôle à tenir au sein de l’économie. À un moment donné, la finance est sortie de son rôle, et n’a plus été motivée que par une recherche maximale du profit. Sans création de richesses, et donc sans intérêt pour l’économie et encore moins pour les populations. Les investissements destinés aux entreprises ont laissé place à une forme de spéculation nuisible pour l’économie et pour les citoyens. Les membres du système financier ont peu à peu acquis des rémunérations énormes, qui les incitaient à prendre des risques, risques qui étaient ensuite assumés par les contribuables. » (Jean-Paul Gauzès)

Au niveau local, quel est l’impact de la dérégulation pour le citoyen ? Quels problèmes peuvent se poser lorsqu’on réduit les règles et les limites que la loi impose à la finance ?

En vérité, nous sommes actuellement dans un système de régulation, non de dérégulation. C’est-à-dire que l’activité des établissements financiers est encadrée. Des ratios, des pourcentages ont été établis pour assurer une meilleure solvabilité des établissements (capacité à faire face à leurs engagements), et une meilleure liquidité (qu’il y ait de la trésorerie disponible pour faire fonctionner la machine économique). Le but est de recentrer la finance sur son objectif réel, qui est le fonctionnement de l’économie et l’alimentation de l’économie en crédit.

Donc, pour vous, la dérégulation appartient à une période révolue ?

Oui. Je crois qu’on s’est aperçu des dégâts que pouvait causer l’absence de régulation, et la mise en place des dispositifs actuels me paraissent de nature  à permettre de fonctionner d’une façon plus sûre et plus confiante.

Est-ce que les avancées en termes de régulation sont vraiment assez abouties pour qu’on en perçoive les répercussions concrètes sur les conditions de vie des gens, sur le fonctionnement des services publics, pour les entrepreneurs?

Sur le mode de vie des personnes, l’effet direct est d’assurer une meilleure confiance dans le système bancaire, et surtout de préserver des crises à l’avenir, qui peuvent obliger les financements publics à renflouer les établissements en difficulté. Et donc, éviter que les contribuables ne soient mis à contribution pour une activité qui ne relève pas du service public. Mais concrètement, pour une entreprise, le dispositif mis en place ne devrait pas avoir de conséquences négatives. Sauf que, il est vrai, à partir du moment où l’on demande aux banques d’avoir des critères de solvabilité plus importants, cela peut aboutir mécaniquement à une réduction du crédit mis à disposition des entreprises. Il faut donc veiller à ce que la dose de crédit nécessaire pour l’économie existe réellement.

Vous disiez que nous avions progressé dans le sens de la régulation. Est-ce le fruit d’une volonté politique? Est-ce qu’il existe vraiment un pouvoir du politique sur le monde de la finance ?

Effectivement, je crois que c’est bien l’exemple que quand le politique veut, il peut. Et les mesures qui ont été prises en Europe sont la déclinaison des orientations qui ont été adoptées par le G20 (le rassemblement d’une vingtaine des plus grands pays), avec une volonté d’encadrer le monde de la finance. Les résultats qui ont été obtenus sont satisfaisants. On peut bien sûr toujours mieux faire, on peut souhaiter plus. Mais je pense qu’il y a cinq ans, personne ne pouvait penser qu’on arriverait à mettre au point de tels progrès dans la régulation financière.

Vous avez pris part au débat sur l’Union bancaire. Quelles en seront les répercussions palpables pour le citoyen lambda ?

En effet, nous sommes parvenus (là aussi, c’était presque inespéré) à mener à bien ce dossier de l’Union bancaire. Qu’est-ce que l’Union bancaire : c’est la mise en place de dispositifs qui assurent une plus grande efficacité des banques, une limitation des risques et la protection des épargnants et des créanciers des banques en cas de difficulté. Elle se compose de trois éléments essentiels :
1/ Une supervision européenne des banques. Le contrôle des banques ne sera plus fait au niveau national, mais européen, par la BCE, qui en déterminera les moyens.
2/ Très important pour les consommateurs : la garantie des dépôts. Les fonds déposés à la banques sont garantis jusqu’à hauteur de 100 000 euros par compte. Toute personne qui a jusqu’à 100 000 euros est sûre, en cas de crise, de récupérer son argent.
3/ La résolution de crise bancaire : un dispositif qui permet, sur le plan juridique, de traiter les banques qui seraient en difficulté. Ce dispositif est accompagné d’un fonds alimenté par les banques, par le profusion bancaire, pour éventuellement renflouer des banques qui seraient en difficulté.

Est-ce que l’Union bancaire va de pair avec la lutte contre les paradis fiscaux ?

Ce sont deux aspects différents. Ça n’est pas parce qu’on est une banque qu’on est un paradis fiscal. Mais c’est vrai qu’une partie des fonds peut être placée par les uns et les autres dans ce qu’on appelle des paradis fiscaux, c’est-à-dire en fait des pays dans lesquels la fiscalité est inférieure à celle qui est pratiquée habituellement.
La question sur la fiscalité n’est pas très simple, dans la mesure où il ne faut pas confondre l’évasion et la fraude fiscale. Fraude fiscale, c’est la violation des règles de droits et la ruade est punie pénalement. L’évasion, c’est le fait que des contribuables recherchent, de façon légale, le moyen de payer moins d’impôts. Et là, la réponse à l’évasion fiscale, c’est à mon avis une meilleure harmonisation des règles fiscales entre les États, notamment les États membres de l’UE, de façon à éviter les distorsions de concurrence, et à éviter les différences qui peuvent inciter à rechercher l’optimisation fiscale.
Mais là, c’est aux États de faire le nécessaire, pour mettre en place les dispositions fiscales qui n’incitent pas les contribuables à aller voir ailleurs ce qui se passe.

Mais est-ce que l’Europe peut sensément appliquer l’Union bancaire tout en tolérant l’évasion fiscale, dont profitent certaines banques au détriment du budget des États ?

L’Union bancaire, c’est une chose, l’évasion fiscale en est une autre. Sur l’évasion fiscale, le Parlement européen a voté plusieurs résolutions pour une amélioration du dispositif fiscal. Et maintenant, c’est aux États membres de faire le nécessaire. Mais, en matière de fiscalité, il faut l’unanimité ; et les États ont tendance à protéger chacun leurs propres intérêts. C’est leur responsabilité que de mettre en place des règles fiscales qui ne permettent pas l’évasion ou qui la limite. Dans le cas présent, la responsabilité est donc dans le camp des États.

Pour votre prochain mandat, quelles mesures pourriez-vous mettre en place pour y inciter les États ?

La réponse à la question que vous posez, c’est l’harmonisation fiscale, le rapprochement des législations des divers pays membres de l’UE, de manière à éviter les distorsions qui peuvent inciter à l’évasion. Je crois que, sur la régulation financière, on a bien travaillé. Tout n’est pas parfait, mais on ne va pas réguler pendant des siècles. Il faut maintenant mettre en application ces mesures, et c’est en cours d’exécution. Je pense que dans le mandat prochain sera marqué par une volonté de promouvoir la croissance et de lutter contre le chômage. Ce qui n’est pas très facile parce que, contrairement à ce qui se dit souvent, l’Europe n’a pas dans ce domaine beaucoup de compétences. Les politiques de l’emploi sont des politiques nationales. Il y a donc certainement un effort d’esprit européen à faire pour améliorer les possibilités d’agir face au fléau du chômage.

Comme député européen, vous serez amené à désigner indirectement le président de la Commission européenne. Pensez-vous que cette harmonisation fiscale verrait le jour facilement si M. Juncker devenait président de la Commission, alors qu’il a été premier ministre du Luxembourg ?

Je connais personnellement Jean-Claude Juncker, c’est quelqu’un de tout à fait compétent, avec un esprit social réel. Je pense que, de toute façon, quel que soit le président de la Commission, celle-ci reste un organe collégial, et d’autre part le PE jouera pleinement son rôle. Je pense que des progrès significatifs peuvent être faits dans ce domaine mais, je le répète, c’est surtout la responsabilité des États. Par exemple, actuellement, nous avons voté au PE des dispositions pour avoir une base identique de calcul sur l’impôt sur les sociétés en Europe – non pas du taux mais de la base – et il se trouve que certains États n’en veulent pas. Le problème, ça n’est pas celui de l’Europe, mais celui de la position prise par tel ou tel État, qui ne souhaite pas l’harmonisation fiscale. Vous parliez du Luxembourg, mais l’Irlande a des taux d’impôt sur les sociétés qui sont très faibles.

Le traité transatlantique, qui promet d’être voté dans les mois ou les années à venir, implique une remise en cause de la législation au profit de la finance. Le traité transatlantique serait-il un pas en arrière ? 

Je ne pense pas, d’autant que la finance est très peu incluse dans le traité. J’ai eu des contacts avec les autorités américaines il n’y a pas très longtemps. Ils ont une volonté de régulation qui est au moins égale à celle que nous avons en Europe, de ce point de vue. Quant à ce traité, qui est utilisé pour effrayer, il faut savoir deux choses : le mandat qui a été donné à la CE pour négocier a été contrôlé par le PE et, une fois que les négociations seront terminées, le résultat de cette négociation sera soumis au PE.
Donc, dans l’hypothèse où les solutions trouvées ne seraient pas correctes et cohérentes avec ce que nous attendons en matière, par exemple, de normes agro-alimentaires, ou d’intérêts agricoles, le PE sera tout à fait en droit de rejeter le traité. D’ailleurs, on vient d’avoir l’exemple d’un échec de telles négociations : le Japon n’a pas accepté le traité qui était en discussion entre ce pays et les États-Unis. La liberté reste entière, et la décision européenne est totalement libre et indépendante. Il ne faut pas effrayer les citoyens avec des spectres qui, pour l’instant, ne sont pas avérés. En tout état de cause, ce sont les représentants des citoyens d’Europe qui auront le dernier mot, au niveau du PE.

Propos recueillis par Louis Gohin

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