Madame Jeanne est ma voisine depuis toujours. Elle a 89 ans et est veuve depuis quelques années. Malgré son âge je la vois tous les matins en partant au lycée en train d’ouvrir ses volets à 7h. A 10h elle est dans son jardin pour ramasser les feuilles mortes ou arroser ses fleurs selon la saison. De temps en temps, elle va chez le médecin à l’autre bout de la ville. Combien de fois ma mère lui a proposé de la déposer en voiture mais elle a toujours refusé : «Il faut que je marche pour mes jambes» répète-t-elle constamment.

Mais la plupart de son temps elle le passe dans son salon avec comme seule compagnie sa télévision, elle est au courant de toute l’actualité et connait toutes les séries. Ses enfants ont déménagé en province, elle ne les voit donc pas tous les jours. Quand j’ai un petit peu de temps libre, je traverse la rue pour lui tenir compagnie, ne serait-ce qu’une demi-heure.

Autour d’un café au lait pour moi et d’un thé pour elle, on discute de tout et de rien: elle me raconte sa journée, ses fêtes de Noël avec ses arrière-petits-enfants, me parle du nouveau Franprix qui a ouvert mais aussi des histoires de sa jeunesses, moi je lui raconte les dernières bêtises de mon petit frère, lui parle des cours, des profs… Ca lui change un petit peu de la télévision.

La dernière fois que j’y suis allée on a parlé politique. J’ai appris qu’elle a été une des premières femmes à voter en France, à 21 ans, lorsque le droit de vote a été accordé à la gente féminine. «Chez moi on ne parlait pas de politique à table, ah non! Mon père me disait même : «Vous les femmes, on vous a donné le droit de vote maintenant débrouillez vous ! J’ai donc toujours fait mon choix toute seule».

A l’époque elle travaillait comme coiffeuse. Elle a voté pour quelqu’un qui défendait ses idées mais c’est tellement vieux qu’elle ne s’en souvient plus. Je me suis permise de lui demander si elle allait voter cette année étant donné son âge avancé: «Bien sûr que je vais voter ! Tu crois quoi!? On a lutté pour avoir le droit de vote ce n’est pas pour rien. Par contre j’avoue que je ne sais vraiment pas pour qui voter cette fois-ci. Pourtant j’ai de l’expérience mais ils nous promettent tellement de choses. J’ai l’impression qu’ils sont tous autant menteurs les uns que les autres, à chaque élection c’est la même musique: tout va aller mieux mais au final il n’y a pas vraiment de changement. Mais ce n’est pas ça qui va me décourager à voter, bien au contraire!»

Elle poursuit inlassablement, oui quand elle commence à parler rien ne l’arrête : «Si je vais voter ce n’est plus pour moi, j’ai fait mon temps. Non si je vote c’est pour vous,  pour ces jeunes qui vont à l’école jusqu’à 28 ans et qui en sortant ne trouvent pas leur place sur le marché du travail. Parfois ils ont vraiment des raisonnements épouvantables… ils ont remarqué que les jeunes femmes avaient des enfants de plus en plus tard, mais faut être logique, si elles font de longues études elles ne vont pas aller à l’école avec un môme sur le dos quand même !! Mais dans quel monde on vit franchement?».

Elle n’a à priori plus rien à dire puisqu’elle me propose un autre café et se met à parler du violeur en série qui traine dans la région. Je refuse le café il faut que je rentre travailler. À la prochaine Madame Jeanne.

Sarah Ichou

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