Avec l’autorisation des quatre auteurs, nous publions cette tribune parue dans Le Monde, daté du 16 février.

A quatre mois de la première année de présidence hollandaise, quatre personnalités issues du monde politique et artistique tirent la sonnette d’alarme. Ils dénoncent la poudre de Perlimpinpin socialiste, notamment l’inaction gouvernementale dans l’éducation, l’égalité sociale et la lutte contre les discriminations.

Huit mois que « vous président », et déjà tant d’espérances nées du programme présidentiel restées lettre morte ! A l’époque, le candidat François Hollande n’avait cessé d’affirmer, pendant toute la campagne présidentielle, l’impérieuse nécessité de mettre fin au racisme et aux injustices, d’inscrire dans les faits l’égalité et la diversité, de lutter sans merci contre les discriminations qui marginalisent des pans entiers de la population, de promouvoir le vivre-ensemble garant de la cohésion sociale.

Il voulait que chaque enfant ait sa pleine place, dans la société, que chaque enfant reçoive une éducation d’excellence, que chaque enfant s’épanouisse dans ses potentialités singulières. Il voulait que chaque jeune ait un travail en rapport avec ses aptitudes particulières, que chaque jeune occupe un poste correspondant à ses compétences et à ses mérites, que chaque jeune apporte, en toute liberté et en toute responsabilité, sa contribution à l’intérêt général. Il voulait que chaque catégorie sociale soit équitablement représentée dans toutes les instances publiques, que les citoyens soient des acteurs à part entière, que chaque citoyen fasse vivre le pacte républicain.

Qu’en est-il aujourd’hui ? La diversité n’est, pour le pouvoir, qu’un arrière-plan folklorique d’une kermesse où les exclus reçoivent, de temps en temps, un lot de consolation. La vitrine est brisée, il ne reste rien sur les étals. Les jeunes diplômésde nos quartiers, soumis à vie à un examen perpétuel d’intégration, sont écartés des postes à responsabilité. L’élite ferme son cercle protégé à double tour.

Saupoudrages, mesurettes, poudre aux yeux, reniements

Pourquoi ce plafond de verre ? La campagne à peine remisée, les expressions « diversité », « vivre-ensemble », « lutte contre les discriminations » ont disparu du discours présidentiel et de l’action du gouvernement. Aux oubliettes, la réforme sur le droit de vote des étrangers, la lutte contre le contrôle au faciès. Ces thèmes sont désormais tabous. Les quartiers populaires, connus pour leur abstentionnisme protestataire, ont voté au second tour, sans véritable enthousiasme, à 85 % pour François Hollande. Aujourd’hui, ils ne voient rien venir, sinon saupoudrages et mesurettes, poudre aux yeux et reniements, ils déchantent…

Les citoyens ultramarins et ceux issus de l’immigration, dotés de toutes les compétences requises, sont méthodiquement écartés des recrutements et des nominations des cabinets ministériels, de la haute fonction publique, du corps préfectoral et de toutes les sphères du pouvoir, comme s’ils n’avaient aucune existence. Ils sont systématiquement mis au ban. Ils n’ont droit qu’au déni. Les distinctions officielles sont réservées aux personnalités en vue. Les nominations dans les grandes institutions, comme la désignation des nouveaux membres du Conseil supérieur de l’audiovisuel, ne concernent que les personnalités établies, exit la diversité que représentait l’engagement de Rachid Arhab.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ne fait-il pas ouvertement l’impasse sur la diversité ? Les belles promesses se sont évaporées au lendemain de la victoire électorale. Les quartiers populaires se désespèrent. Le plafond de verre refoule des millions de citoyens. Les jeunes et les moins jeunes, malgré leurs diplômes supérieurs, se retrouvent massivement au chômage. Ils sont abandonnés, traités avec indifférence ou mépris. Où sont les mesures de lutte contre les discriminations annoncées ? Où est le vivre-ensemble proclamé dans les meetings par François Hollande candidat ? Qu’attend-on en haut lieu ? Une nouvelle révolte ?

La diversité est trop souvent réduite, dans les discours politiques, aux citoyens venus d’ailleurs. Il n’en est rien. Le peuple français s’est constitué, depuis des millénaires, par des couches ethniques successives venues des quatre coins de la planète, qui ont fait souche et fertilisé la culture nationale. Il n’y a pas de minorités, il n’y a qu’un peuple français aux multiples facettes, uni dans sa pluralité.

La diversité est au coeur de la démocratie. Les lois républicaines établissent légalité absolue de tous les citoyens. Il ne peut y avoir plusieurs catégories, plusieurs qualités de citoyens. Comprenons-nous bien, toute mesure tendant àintroduire des différenciations entre les citoyens est frappée de nullité.

Faut-il rappeler cette phrase emblématique du Préambule de la Constitution : « Au lendemain de la victoire, remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaltérables et sacrés. »

Un changement radical des politiques publiques

Il ne peut y avoir de reconnaissance concrète de la diversité, de pratique réelle de l’égalité, de lutte efficace contre les discriminations que par un changement radical des politiques publiques. Les Français attendaient beaucoup de François Hollande dans ce domaine, la déception est à la mesure des engagements abandonnés. L’égalité et la diversité, formellement reconnues comme idéaux républicains, sont sans cesse reniées, ignorées, malmenées. Les citoyens attendent des actes et non des paroles démagogiques sans lendemain. Leur jugement se forge dans les injustices qu’ils subissent dans leur existence quotidienne.

A quoi a servi l’obscur Commissariat à la diversité et à l’égalité des chances créé, en grande pompe, par le précédent président ? Sinon à plonger la diversité dans le marécage des rapports et des promesses sans lendemain. Faut-il rappeler à François Hollande ses discours pendant le marathon des banlieues, quand il affirmait que les quartiers populaires n’attendaient pas un plan Marshall, « et pourquoi pas un plan Shérif ? », disait-il, quand il a assené, avec une forte détermination, que le vivre-ensemble, sur le territoire français, était la capacité d’être dans le même cadre républicain, d’avoir les mêmes valeurs, les mêmes principes et les mêmes chances de réussir. Les Commissariats et les commissions superflus qui ne servent qu’à anesthésier la galerie, ça suffit !

Les promesses électorales du président François Hollande ne pourront être tenues qu’avec la création d’un grand ministère de l’égalité, de la diversité et de la lutte contre les discriminations, qui dispose de toutes les prérogatives et de tous les moyens pour mettre en oeuvre un plan national de l’égalité et du vivre-ensemble pour endiguer définitivement toutes les formes de discrimination.

Qu’attendez-vous, « vous président », pour mettre en place ce ministère salutaire ?

Amirouche Laïdi, président du Club Averroes, Charles Aznavour, artiste, Saïd Taghmaoui, acteur, Fadila Mehal, présidente des Marianne de la diversité

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