Maire PCF de Fontenay-sous-Bois depuis mai 2016, Jean-Philippe Gautrais, tout juste 40 ans, est à la fois un jeune élu et un habitué du costume politique. Enfant du quartier des Larris et de la ZUP (Zone à Urbaniser en priorité), Fontenaysien depuis toujours, engagé depuis 2008 comme conseiller municipal, adjoint puis maire, les rencontres avec ses concitoyens occupent son quotidien.

Avec une liste de rassemblement de la gauche plébiscitée dès le premier tour des élections municipales à 57% des suffrages, Jean-Philippe Gautrais a placé la démocratie, la solidarité et la transition écologique au coeur de son programme. Alors, forcément, la réduction des échanges humains engendre de la frustration.

 Tout d’un coup, tu ne vois plus personne. Les débats publics me manquent.

« Pendant la campagne électorale, on a fait des rencontres de voisinage. J’ai vu 600 personnes chez elles », partage Jean-Philippe Gautrais. « Tout d’un coup, tu ne vois plus personne. Et encore je suis un privilégié car je suis au contact des agents. Les débats publiques me manquent. J’ai appris à utiliser plus les visioconférences mais la politique, c’est aussi du relationnel, du corporel. Il faut écouter, sentir des choses qui ne sont pas dites et pour ça, il faut vivre ensemble« , explique l’élu communiste.

Il ne faudrait pas que, sous prétexte de crise sanitaire, on n’écoute que le chef.

Les différentes dispositions prises par l’Etat lui semblent mettre à mal l’exercice démocratique. « Il faudrait pas que, sous prétexte de crise sanitaire, on n’écoute que le chef» , analyse le maire réélu. «Le premier confinement était dur car toutes les décisions passaient par moi, les adjoints n’étaient pas encore élus. L’état d’urgence sanitaire donnait les pleins pouvoirs aux maires. Si j’avais envie de limiter l’information aux seuls conseillers municipaux, je le pouvais. Lors du premier confinement, on avait des dérogations pour obtenir des délais supplémentaires dans le traitement des dossiers. Là ce n’est plus le cas», constate l’élu de Fontenay-sous-Bois.

Les travaux et les projets doivent avancer mais la communication avec la population fait les frais de l’omniprésence de l’épidémie dans l’esprit de la population. Conscients de l’importance du numérique, Jean-Philippe Gautrais et son équipe ont digitalisé la communication municipale il y a quelques années. Depuis plusieurs mois, l’utilisation des plateformes en ligne et des réseaux sociaux a été décuplée.

Dans cette période, tu es obligé de surcommuniquer.

« Dans cette période, tu es obligé de surcommuniquer», résume Julien Menuel, directeur de la communication de la mairie. « Ces derniers mois, les Fontenaysiens regardaient les allocutions de Macron au niveau national puis le discours du maire sur Facebook. » 

Dans ses vidéos, depuis son bureau avec Nelson Mandela en arrière-plan, Jean-Philippe Gautrais revient sur les applications locales des différentes mesures. Les vidéos sont vues en moyenne 6000 fois. Pas si mal pour une commune de 53 000 âmes. L’objectif est aussi de développer une communication à l’adresse des plus jeunes sur d’autres supports que Facebook, Twitter ou Linkedin.

Le maire sur TikTok

Le réseau Instagram est utilisé pour s’adresser à la jeunesse mais l’équipe du maire comprend aussi que les utilisateurs de la plateforme vieillissent. Pour toucher les moins de 25 ans, un compte TikTok est créé. « C’est dur de mettre en avant un fond politique en 11 secondes mais pour la rentrée scolaire, on a filmé Jean-Philippe avec les enfants dans les écoles avec la musique qui va bien» , poursuit Julien Menuel.

@villedefontenayLe Maire JP Gautrais et les centres de loisirs check ✅ ##fontenaysousbois ##vacances ##pourtoi♬ Sousou – JUL

Le maire de la ville de Fontenay-sous-Bois s’est essayé à la communication version TikTok.

« Tu crées un lien. Je me suis rendu compte que cela fonctionnait quand nous sommes allés voir les colos de la ville un été. Les adolescents reconnaissaient le maire et lui demandaient qui allaient venir chanter aux vœux de la jeunesse. Dans d’autres villes, le maire est moins identifié », argumente le directeur de la communication pour qui toutes les plateformes sont bonnes pour s’exprimer.

S’il permet de passer des messages et de les amplifier, de populariser le maire et ses élus, de jouer sur la proximité, le digital ne fait pas tout. L’espace numérique a également ses propres problématiques. Les nombreux messages reçus sur les réseaux sociaux demandent une réponse rapide, sous peine d’insultes, ou de commentaires désobligeants.

La politique ne marche pas qu’avec les réseaux sociaux. 

« La politique ne marche pas qu’avec les réseaux sociaux », précise Jean-Philippe Gautrais. « Par contre, tu ne peux plus faire sans. C’est une vraie stratégie que l’on réfléchit. Souvent les homme politique rebutent mais, comme je suis devenu un média, les gens peuvent être contents d’être identifiés sur mes publications. Mon barbier a apprécié qu’on le mette en valeur sur Instagram ce qui lui a permis ensuite de toucher de nombreuses personnes et un public différent. »

Je ne voyais pas comme ça le début du
mandat…

À Ivry-sur-Seine, pour la conseillère municipale Nawel Hallaf-Isambert, 33 ans, la crise sanitaire complique la découverte du monde politique :  « J’ai été élue lors d’une élection qui s’est déroulée de manière inhabituelle. On n’est pas passé loin d’être élus directement au premier tour (NDLR 48,65% des suffrages exprimés). Il y a eu ensuite une période transitoire inédite. L’entre deux tours de plusieurs semaines nous a laissé le temps de nous préparer mais la dynamique est aussi retombée. » 

La candidature de Nawel Hallaf-Isambert n’a pas été portée par un parti politique mais a été le fruit d’une concertation de la population. Un rassemblement qui a été appelé « le tiers-citoyen » dans cette ville de banlieue aux portes de la capitale. Le tiers-citoyen a finalement intégré la coallition de gauche et communiste, portée par le maire Philippe Bouyssou.

On reçoit des injonctions du gouvernement, parfois très contradictoires, et au dernier moment, souvent du jeudi pour le lundi.

D’après celle qui est également directrice d’une crèche départementale, au lieu de s’investir pleinement dans des commissions de travail et d’appliquer le programme électoral, la gestion de la crise sanitaire occupe une grande partie l’espace. « D’un point de vue relationnel, les contacts sont insuffisants, juge Nawel Hallaf-Isambert. Tout est dématérialisé, en distanciel. Les dossiers du quotidien prennent plus de temps car il y a d’autres priorités à gérer. Je ne voyais pas comme ça le début du mandat… Mais ce n’est la faute de personne, la situation est inédite ».

L’élue Nawel Hallaf-Isambert en télé-travail. © Nawel Hallaf-Isambert.

Pour la jeune représentante, les décisions en haut lieu ne facilitent pas forcément la tâche des élus locaux. « On reçoit des injonctions du gouvernement, parfois très contradictoires, et au dernier moment, souvent du jeudi pour le lundi. C’est très chronophage. Par exemple, quand on a appris que les enfants de plus de six ans devaient porter des masques. Automatiquement, les gens se sont retournés vers la mairie pour en obtenir », précise Nawel Hallaf-Isambert.  

Ce deuxième confinement est une catastrophe, on nous refile le bébé trop facilement.

Le lien social, associatif à Ivry est fort et mais se détériore. « Je suis présidente de la section hip-hop de l’Union Sportive d’Ivry (USI). D’habitude, on tourne autour de 80 adhérents et là j’ai seulement 55 licences, regrette Nawel Hallaf-Isambert. C’est encore pire pour Génération 3, pour les séniors, qui a perdu la moitié de ses adhérents. Ce deuxième confinement est une catastrophe. On est dans la gestion au jour le jour avec une population très en attente. On nous refile le bébé trop facilement. Il y a de la frustration et de l’incompréhension», déplore l’élue de la ville qui a débloqué 500 000 euros de subventions exceptionnelles aux associations.

 

Shéhérazade Bouslah a adopté le masque pour son premier mandat. © Arcueil 2020 Ensemble la ville de demain

Pour Shéhérazade Bouslah, à Arcueil, la situation n’a rien d’évident non plus. L’élue écologiste s’est engagée pour la première fois en politique lors des dernières élections,  dans un esprit de vivre ensemble. « On me connait surtout pour mon engagement à l’association Femmes Solidaire. J’ai eu peur au début de cet engagement, j’ai essayé de mesurer l’impact de ce que voulais dire ‘devenir quelqu’un de public’. J’étais également fière d’avoir suscité de la confiance. » 

Je vois bien qu’en visioconférence, on ne dégage pas la même densité de lien qu’en face à face.

Aujourd’hui, Shéhérazade Bouslah se questionne. « Que peut-on développer pour s’adapter à cette situation ? C’est une vraie question. C’est difficile finalement d’innover. Il y a tellement de contraintes. Je vois bien qu’en visioconférence, on ne dégage pas la même densité de lien qu’en face à face. Je suis partisane, en tenant compte des précautions sanitaires, d’être au plus proches des agents de la ville. Quand on demande à des agents ou à des personnes d’assurer une certaine continuité des services publics, je ne vois pas comment, nous élus, on peut s’extraire de cette présence. On ne doit pas se surprotéger, se cacher mais être à peu près dans les mêmes conditions que les agents et les habitants», argumente Shéhérazade Bouslah.

Les personnes âgées, priorité des élus

Conseillère municipale déléguée aux retraités et liens intergénérationnels, Shéhérazade Bouslah sait que le numérique ne peut pas être l’unique solution pour un public potentiellement éloigné des réseaux sociaux et des smartphones. « Parmi les retraités, il y a des personnes fragilisées avant même la Covid, en prise avec l’isolement. Si les agents municipaux ou des partenaires s’arrêtent, cela les coupent de toute vie extérieure », constate-t-elle.

« Nous sommes en veille sociale continue, en appelant ces personnes, en nous déplaçant. On a maintenu tout ce qui relève du portage de repas, tout comme l’ensemble des services vitaux. On prend des nouvelles des acteurs associatifs qui jouent un rôle de relais dans leur quartier et les liens avec le voisinage. On a aussi mis en exergue les numéros d’urgence » , complète l’élue.

La présence d’un Centre Municipal de Santé (CMS), soit un équipement public de proximité et de santé, permet à la ville de ne pas être totalement dépassée. « Dans la période, c’est très précieux. Cela nous permet de prendre immédiatement la température sur la commune. Grâce aux professionnels de santé, on a une certaine réactivité.»

En attendant la fin officielle du confinement, prévue au 15 décembre, les élus locaux semblent accuser le coup malgré les recours à la technologie pour communiquer. Alors que la sortie de crise semble loin de se profiler, ces nouveaux élus devront encore patienter avant de retrouver une vie municipale normale.

Photographie à la Une © Ville de Fontenay 

Mejdaline Mhiri

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