D’après les livres saints, tout aurait commencé avec Abraham, le père du monothéisme, qui, à la demande de sa seconde et légitime épouse Sarah, mère de son fils Isaac, a dû chasser son autre fils, Ismaël. Celui qu’il avait eu avec sa servante Agar. C’est ainsi qu’Isaac et Ismaël devinrent des frères ennemis. Depuis ils n’ont toujours pas fait la paix. Chez les musulmans, le père est celui qui transmet la religion, alors que chez les juifs, c’est la mère qui est porteuse de la transmission. Cette différence a-t-elle joué un rôle important dans les cultures des deux « peuples » et influe-t-elle sur le comportement de leurs pratiquants ? Dieu seul le sait, comme qui dirait.

3000 ans et des poussières plus tard, un rabbin français, Michel Serfaty, se trouve sur le parvis de la mairie du 19e arrondissement de Paris en compagnie d’un imam de la grande Mosquée de Paris, Azizi Mohammed, pour faire passer ce message : « On se ressemble plus qu’il ne semble. » Ils ont achevé cette semaine leur tour de la région Ile-de-France. Ils l’ont traversée de Saint-Denis à La Courneuve en passant par Saint-Ouen et bien d’autres villes encore, où ils ont tenté de faire partager aux habitants leur démarche de paix entre les religions juive et musulmane.

Mardi dernier, près du bus, un stand animé par Richard Chomuny, de confession juive. Pour lui, les juifs et les musulmans ont une histoire commune : « Nous devons réapprendre à vivre ensemble pour rejeter les haines et les préjugés de toutes parts. » Greg, un Noir de 34 ans natif du 19e, considère que pour faire baisser les tensions, les « grands frères » devraient prendre les choses en main : « Il faudrait que les grands des cités et les grands chez les juifs se rassemblent et organisent des activités communes comme le sport ou des sorties culturelles. La plupart des préjugés qu’ont les gosses, ça vient de leurs parents et de l’entourage. Ils ne peuvent pas inventer ça tous seuls. » Greg estime que la municipalité de l’arrondissement ne propose pas grand-chose pour remédier à cet état de fait.

« Préjugés », un mot qui revient dans toutes les bouches, l’une des plaies de ce début de 21e siècle, dirait-on. Ce sont ces satanés préjugés que combattent le rabbin Serfaty et l’imam Mohammed, ainsi que des gens comme Myriam, 30 ans, qui porte un étoile de David autour du cou. Elle nous raconte que depuis la dernière intifada, l’antisémitisme est allé crescendo. Et lorsque l’armée israélienne, dernièrement, a lancé son offensive à Gaza, le phénomène s’est encore amplifié, en particulier sur le net. « Il y a eu une explosion de haine et d’affrontements virtuels. » Myriam, à cette occasion, a créé un groupe sur Facebook avec ses amis : « Juifs, musulmans, faisons la paix ». Plus de 8000 membres à ce jour.

Myriam reconnaît qu’il y a de la haine des deux cotés. « Une maman juive m’a raconté que son fils s’est fait rouer de coups dans une école publique par une bande d’Arabes. Elle m’a dit que c’est beau, ce que nous faisons, mais qu’il est vain et utopiste d’essayer de rassembler nos deux peuples. Il n’y a, selon cette maman, aucun espoir de paix. Je lui ai répondu, comme me l’ont inculqué mes grands-parents, qu’il ne faut jamais être haineux, quel que soit le prétexte. »

Nathan, 22 ans, et Yossi, 21 ans, sont montés dans le bus pour faire le tour du 19e. Ils sont jeunes et aiment les filles. Nathan avoue n’être sorti qu’avec des musulmanes. Tous deux se sent très proches d’elles et les « kiffe ».

Le bus fait une halte à la station de métro Stalingrad, les passants curieux s’arrêtent et écoutent. « Il arrive parfois que certains aient la haine qui sorte des yeux lorsqu’ils nous voient passer, affirme l’imam Mohammed. A ceux-là, je dis : « Ne tiens pas ce genre de propos devant moi ! » Il y en a, ils nous frapperaient presque et il y en a d’autres qui pleurent en disant « c’est beau, ce que vous faites ». »

Au mois de juin, le rabbin Serfaty avec quelques-uns de ses coreligionnaires et ses amis imams partiront à travers toute la France, dans leur vieux bus fatigué des années 70, tels ces prophètes qui traversaient les désert à dos de mulet afin d’apporter leur message pacifique. Ils commenceront par Lille, Metz et descendront ensuite jusqu’à Nice, où s’achèvera leur périple, le 3 juillet. Comme le dit Imed, un jeune habitant du 19e, à Richard Chomuny : « Tout ce que j’espère, c’est l’amour et la paix. »

Nadia Méhouri

Légendes photos :
Haut : au centre, dans le bus, le rabbin Michel Serfaty.
Bas : à gauche, l’imam Azizi Mohammed.

Nadia Méhouri

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