Nous publions une tribune parue sur le Huffington Post de Nacer Kettane, président fondateur de Beur FM, Beur TV et élu de Paris 20ème. 

Lorsque François Mitterrand lance Radio Riposte, il sait contre quoi il se bat, et il a pris la mesure de la violence de la réaction qu’il est susceptible de déclencher. Le monopole – forme ultime et consacrée de la concentration – bat son plein: radios, télévisions, et leur cohorte de journalistes sont au garde à vous. François Mitterrand bouscule alors l’état de fait, provoque un mini tremblement de terre et l’ire de ceux qui jusque-là, géraient le ronronnement immuable de l’ORTF. Pensée unique à la clé, les coups de boutoirs de mai 68 n’avaient pas encore totalement porté leurs fruits et les barons du PAF d’alors faisaient et défaisaient l’opinion.

Quoi de plus naturel alors qu’avec l’avènement de la gauche au pouvoir en 1981, le ton et le signal soient donnés pour « libérer » les ondes. Nous sommes alors un certain nombre à nous engouffrer dans la brèche, nous lancer dans une véritable aventure et contribuer à façonner une nouvelle histoire des médias en France. A côté des Jean Paul Baudecroux, Pierre Bellanger, Marcel Trillat, Michel Fisbin, Jean-François Bizot et autres Super Nana, surgissent une « race » de radioteurs hors pair brisant alors le mur du silence imposé jusque-là à ceux qui incarnaient une France marginalisée, stigmatisée, reléguée à la périphérie sociale, culturelle, et politique.

Sortis des bas-fonds et du ventre de la Terre, venus d’horizons variés et multiples, ces créateurs « d’agitation », ces animateurs de la « vie réelle », ces journalistes de la proximité avant l’heure portent le nom de Saïd Bouziri, Mouloud Challah, Mohamed Nemmiche, Madgid Daboussi, Saleha Amara, Mokhtar, Saïd Boudaoud, Rachid Khimoune …la liste serait trop longue ! A côté des Carbone 14, Radiotomate, Gilda, Ados enfants j’écoute, Lorraine Cœur d’acier, Radio Nova, éclosent les Radio Beur, Radio Soleil, Radio Afrique, Radio Ask , Transitalia FM, et bientôt Orient, Maghreb, Fréquence Paris Plurielle, Aligre, et autres Radio Zinzine et Radio Pays…

Tous ces acteurs sont d’abord mus par l’amour de la radio, média hors-pair s’il en est, alliant la magie du verbe, l’évasion musicale, offrant une émotion constamment renouvelée et restituant en permanence l’image d’une France de tous les jours. La plupart de ces joyeux drilles et trublions du PAF partagent aussi les mêmes sentiments, engagements, idéaux et un amour inconsidéré de la République, de la Laïcité. La démocratie locale, la cohésion sociale, partout, ici et maintenant, relèvent du leitmotiv chez beaucoup d’entre eux.

Armés jusqu’aux dents grâce à leurs micros, ces radioteurs ont mené la vie dure aux extrémismes, aux dictatures, aux intégrismes de toutes sortes durant les années 80, 90 et 2000. Des mouvements Radio Against Racism des années 80 aux coordinations contre le racisme et l’antisémitisme orchestrées notamment par le couple BEUR FM / Radio Shalom, l’ensemble de ces radios appelées thématiques ou communautaires ont été aux avant-postes de la lutte contre le Front National en France, prônant le mieux vivre ensemble. Ces radios ont constamment tracé une ligne rouge à ne pas franchir: celle de la laïcité républicaine sous laquelle la devise Liberté, Egalité, Fraternité sonnerait creux.

Aussi, pour l’ensemble de ces radios, la démocratie n’a jamais été à géométrie variable. Bien que ces périodes fassent la part belle à la raison d’Etat, nous avons été un certain nombre à dénoncer les dictatures du Maghreb et d’Afrique avec leurs cortèges d’exactions : bagne de Tazmamart au Maroc, répression et prisonniers politiques en Algérie, tortures et violation des libertés en Tunisie.

Ainsi, Abraham Sarfaty, Gilles Perrault, Nicolas Beau, Hocine Aït-Ahmed, Abdenour Ali Yahia, Moncef Marzouki….ne pouvaient s’exprimer que sur nos ondes sans censure et sans langue de bois ! Véritables bastions républicains, ces radios n’ont jamais complètement été encouragées ou aidées par une classe politique de droite comme de gauche qui a choisi, par paresse, bêtise et inconscience, en particulier à partir des années 2002-2003 d’avoir comme interlocuteurs les imams autoproclamés des quartiers qui leur promettaient la paix sociale.

En ce sens, la classe politique a largement contribué à développer le salafisme en France et elle fait bien triste figure dans le rôle de l’arroseur-arrosé. Il est temps que tous ces politiques se ressaisissent en revalorisant les valeurs dans lesquelles les jeunes se reconnaissent en partageant l’unique communauté d’expérience et de destin qui existe pour eux: la France. L’écroulement du mur de Berlin, le tsunami planétaire du 11 septembre 2001, le développement d’internet et l’explosion des réseaux sociaux ont modifié durablement la façon de penser le monde. La mondialisation s’est invitée dans nos foyers et mon voisin de palier peut vivre à des milliers de kilomètres.

C’est pourquoi, plus que jamais nos radios ont une responsabilité historique dans ce qu’elles contribuent à faire vivre la diversité, la démocratie locale, la proximité, la transmission des valeurs de la République. Il faut permettre à ces radios de se développer en leur octroyant d’autres fréquences sur la bande FM (qui n’est pas prête de mourir). La radio numérique terrestre offre aussi une opportunité extraordinaire pour renforcer les radios existantes et développer de nouveaux projets; d’autant plus qu’elles font vivre la francophonie de part et d’autre de la méditerranée grâce aux flux incessants et va-et-vient permanents.

Cette francophonie que l’audiovisuel extérieur de la France a abandonnée depuis maintenant près d’un quart de siècle. Le gouvernement Raffarin ayant porté l’estocade finale pour toute aide à la diffusion des chaînes francophones à l’étranger. Au Maghreb en particulier, c’est le règne d’Al Jazeera et des chaînes d’infos locales en Arabe. Les satellites Nile Sat et Arabsat dominent le marché. Que nos responsables arrêtent de s’égosiller, la francophonie est en voie de disparition au Maghreb !

Marie-Christine Saragosse, la toute jeune et nouvelle responsable de France Médias Monde a du pain sur la planche! Elle peut compter sur nous pour l’aider à réussir dans sa reconquête de la francophonie à l’extérieur de la France. Aussi forts de nos atouts, nos radios font battre le cœur de la République. Nous sommes les voix de la France, quand d’autres à l’extérieur, portent la voix de la France. Nous sommes la France qui a des idées quand d’autres incarnent une certaine idée de la France hors de l’hexagone.

Issus des entrailles de la République, nous sommes les héritiers des fédérés, du groupe Manouchian; des manifestants d’octobre 61, de Frantz Fanon, d’Henri Curiel, d’Ali Mecili et de Stéphane Hessel !

A l’heure où l’on voit un Président du CSA inaugurer une télévision lancée par un dictateur africain; où des responsables audiovisuels prennent les monarchies du Moyen-Orient comme un nouvel eldorado; où les grands patrons de radios veulent imposer leur diktat, où l’on tente de fragiliser les radios indépendantes et de la diversité par des accusations infondées, où l’on menace la liberté audiovisuelle arrachée bec et ongles dans les années 80; il est temps et urgent de réaffirmer haut et fort les principes de pluralité inhérents à la loi sur l’audiovisuel et mettre en harmonie les paroles et les actes.

Vive la radio.

Nacer Kettane

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