Mercredi 7 décembre, dans son journal de 20h, France 2 consacrait un reportage à Sevran (Seine-Saint-Denis) dans un bar de la ville où la présence de femmes n’est pas la bienvenue. Voici ici la lettre ouverte d’un habitant de Sevran suite à la diffusion de ce reportage.

Mercredi soir, le 20 h de France 2 consacrait un reportage à Nadia Remadna et Aziza Sayah, militantes de l’association « La Brigade des mères », qui se battent pour la liberté des femmes dans les quartiers populaires. En caméra cachée, l’on voit ainsi un café de Sevran où les militantes ne sont clairement pas les bienvenues. Dès l’entrée, on leur demande ce qu’elles viennent faire dans l’établissement, puis un homme leur assure “Dans ce café, il n’y a pas de mixité”. Edifiant.

Ce reportage, au coeur du journal télévisé de France 2.
Ces slogans chocs, ces vérités assénées.
Les femmes n’ont pas le droit de cité en certains endroits de notre beau pays. La voix off nous parle d’un problème culturel, religieux.
Et aujourd’hui, un de ces endroits est un café, en banlieue parisienne, filmé en caméra cachée.
On entend des commentaires masculins, particulièrement irritants, désagréables, machistes, expliquant que les femmes n’ont rien à faire dans ce lieu.
Qu’ici c’est « comme au bled ».
Qu’ici ce n’est pas Paris.
Qu’ici c’est Sevran.

Ah bon?
Le Sevranais que je suis est en fait un très proche voisin de ce café.
Et certains aspects de ma ville, de cet endroit, ont été volontairement occultés.  
Factuellement, ce café est avant tout un bar PMU.
Un lieu de paris, un lieu de jeux.
Lorsque le reportage nous parle de problème religieux, en mettant l’accent sur des personnes typées arabes, des femmes voilées, on comprend bien que l’on parle d’islam.
Or, il me semble que les PMU ne sont pas vraiment des fiefs de radicaux prosélytes musulmans.
Par ailleurs, je suis de ceux qui aiment se balader à travers la France et qui apprécient particulièrement la campagne. Et j’ai croisé bon nombre de bars dans les villages, plein d’hommes, où rarement une femme se mêlait à ces échanges de turfistes sur fond de demie et d’expresso.
Cela n’excuse en rien ce machisme ordinaire, mais la récupération politique sur le dos des Sevranais, des banlieusards en général et des musulmans dans leur ensemble laisse un goût particulièrement amer.
Ce pays tout entier, cette société moderne est frappée du mal de la domination masculine.
Lorsque nos chers députés, dans cette Assemblée uniforme, si peu représentative du peuple, insultent les députés femmes prenant la parole, caquettent pendant leurs interventions, cela mériterait des reportages quotidiens pour dénoncer ces agissements.
Malheureusement, il est beaucoup plus simple d’enfoncer une porte ouverte, d’amalgamer des concepts en une bouillie insipide et produire des reportages toujours plus clivants et bourrés de demi-vérités.
Cette ville de Sevran, est aussi créatrice de lieux pour la jeunesse sans distinction de sexe. Les cafés chichas fleurissent, dont certains à quelques centaines de mètres à peine du PMU incriminé. Dans ces lieux, c’est la jeunesse qui s’exprime, des groupes d’amis, filles et garçons, avec pour seule ambition que de passer une bonne soirée, de rire, de s’amuser, d’échanger. La vérité est tellement plus complexe qu’un simple sujet télé de 3 minutes.
Ne soyons pas angéliques, ces problématiques machistes existent, elles peuvent être particulièrement oppressantes souvent.
Ce type de reportage est particulièrement contre-productif. On en ressort avec une impression d’acharnement gratuit, facile.
En tant que Sevranais, j’enjoins les reporters à passer un peu plus de temps dans notre commune, à prendre la mesure de toutes les problématiques sans se voiler la face, mais dans le même temps à savoir valoriser ce qui fonctionne, les initiatives populaires ou entrepreneuriales qui font progresser la cité.

A. Kachour, entrepreneur, Sevran.

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