Jeudi 17 décembre, 8h du mat. L’alarme de mon mobile m’arrache douloureusement au sommeil. Je le fais taire en fronçant les sourcils. J’aurai pu dormir encore longtemps, longtemps… Il m’a cueillie alors que j’étais bien, enveloppée dans un espace cotonneux à souhait. Et du coton, ce matin-là, il y en a ! Il y en a partout ! Mes pieds gèlent littéralement sur les lattes de mon plancher alors que j’observe la neige abondante recouvrir Paris d’un manteau blanc. Et c’est aujourd’hui que nous allons tourner le pilote de notre émission.

Il fallait que ça tombe le jour des plus grosses intempéries. Déjà que lorsqu’il pleut un peu trop fort, Paris s’affole, les automobilistes conduisant comme s’ils pouvaient passer entre les gouttes… Là, ça caille, ça neige, ça glisse, bref, c’est le pompon ! Je commence à tout voir en noir : la fragile Elisabeth va vouloir reporter, ou alors nous allons rester kéblo dans le RER, partie tunnel pour faire bien glauque… Et puis d’ailleurs, qui nous dit que le RER E fonctionnera ? Le RER A, lui, est en grève depuis déjà une semaine…

Une fois mes pieds réfugiés bien au chaud, mes lèvres posées sur le bord d’une tasse de thé brûlant, mon esprit se prend à planer bien au-dessus de ces considérations qui apparaissent brusquement presque triviales. Waouh ! C’est beau la neige ! Je redeviens une gamine et cette fois, dans un excès inverse, je nous imagine, l’ancienne Garde des Sceaux et moi, en train de s’amuser à fabriquer un bonhomme de neige dans la forêt de Bondy. Ouh la la, ça s’arrange pas, la Fred ! Vaut mieux piquer une tête vite fait sous la douche.

10h du mat. Jusqu’ici tout va bien. Une silhouette informe passe la porte des bureaux de CAPA avec soulagement. En sortant de ma douche, j’ai pris le taureau par les cornes : j’ai enfilé deux pantalons, deux paires de chaussettes et j’ai sorti du fond de mon placard mes moonboots des sports d’hiver. J’ai la sensation d’enfiler mes bottes de sept lieues, et des lieues je vais en parcourir durant toute cette journée, car je vais en banlieue.

Une fois harnachée, je me prends un coup de surchauffe. Vite ! Sortir de l’appart avant de transpirer. Bon, ok, j’ai l’air d’un bibendum, ok, mon image de journaliste-présentatrice glamour en prend un coup, mais dès la première rafale de vent glacial, je me félicite. Si tout le monde doit flancher sur ce tournage et s’il ne devait en rester qu’un : ce sera moi.

Bureaux de CAPA, 10h30. L’équipe Capa-BondyBlog est enfin au complet. Chacun a pris le temps de s’ébrouer, de se réchauffer avec un petit café par-ci, un petit choco par-là. Au distrib, c’est la valse des petites pièces jaunes (eh non, elles ne sont pas à l’usage exclusif de Dame Chirac)…

Mine de rien, notre petite prod ressemble déjà à une belle tribu : on est une petite quinzaine. Antoine Menusier, notre rédac-chef Bondy Blog, Djamel Hamidi qui s’occupe de la régie, Dèdess qu’on ne présente plus… Et voilà que Chou (Chou Sin) vient nous faire la surprise d’arriver en renfort. Ça tombe bien car les doigts de nos cameramen-bloggeurs, en l’occurrence Leïla Haddouche et Aladine Zaïane, risquent bien de se retrouver régulièrement congelés. Les deux cameras du Bondy Blog tourneront et ce sera une partition à six mains.

Quant à la caméra CAPA, tenue par le journaliste Vincent Lebrun, ce sont des professionnels après tout… Si pro d’ailleurs que, outre Alexis Marant, le réalisateur, Jean-Marie Michel, rédac-chef CAPA et Claire Leproust, directrice CAPA développement numérique, tous engagés dans ce projet depuis sa genèse, c’est le président fondateur de l’agence, Hérve Chabalier lui-même qui vient nous honorer de sa présence et nous adresser quelques mots d’encouragement : simple et sympathique, un vrai Monsieur.

Les heures passent alors que nous finissons tous d’accorder nos violons et nous constatons avec soulagement que nous n’avons pas reçu le coup de fil tant redouté : celui de l’attaché parlementaire annonçant l’annulation de la participation d’Elisabeth Guigou. Pourtant, dehors, la tempête de neige s’intensifie. D’ores et déjà, nous en déduisons que l’ancienne ministre est une battante, il faut plus que quelques flocons pour l’abattre.

13h. Il est temps de se séparer en plusieurs teams. Certains partent direct à Bondy, préparer les voitures et faire les derniers repérages, d’autres partent nous attendre à la Gare Saint-Lazare. Nous : c’est moi, le réalisateur Alexis et Akim Rezgui, notre ingénieur du son. À peine le temps d’avaler un petit quelque chose sur un coin de table que déjà nous renfilons nos multiples pelures. Nous grimpons tous les trois dans un taxi : direction l’Assemblée nationale, où nous allons chercher l’invitée de ce premier tournage.

14h, devant l’Assemblée nationale. Jusqu’ici tout va bien. Le chauffeur du taxi est bonhomme et vu l’humeur des CRS aux abords de l’Assemblée (ils ont tout de même tordu le petit doigt d’Olivier Besancenot la veille!), il décide de ne pas se garer et de faire des rondes autour du monument. Juste le temps de faire quelques plans de coupe, comme on dit dans notre jargon, et voici Mme Guigou qui s’avance vers nous. Elle est toute petite, paraît si frêle sous son grand manteau. Je remarque immédiatement ses bottines en daim, elles me semblent bien légères. Je lève les yeux au ciel : toujours pas d’anticyclone en vue…

Elisabeth Guigou nous salue chacun notre tour avec chaleur et douceur et nous découvrons sa voix, si fluette qu’Akim se précipite sur ses instruments afin d’augmenter le volume d’enregistrement au maximum. En comparaison, je dois avoir une voix de Stentor. Converser avec Mme Guigou demande une énorme attention, il faut bien se pencher, tendre l’oreille afin de récolter mot à mot ses propos : c’est une espèce de perfusion au goutte-à-goutte. Et des mots, dans ses tiroirs d’énarque de la République, il y en a à foison. Pas facile alors de tous les attraper au vol.

Je me ferai presque l’effet d’un chasseur de papillon qui malgré ses efforts et son précieux filet laisse s’échapper certains de ces mots volatiles vers d’autres cieux. Le taxi s’approche et me ramène à la réalité. Nous laissons poliment la place de devant à notre invitée alors que nous nous tassons sur la banquette arrière, trois énergumènes trop couverts, pêle-mêle avec le matériel.

14h30, Gare Saint-Lazare. La sensation de froid est intense. Sur le sol, la neige est à moitié fondue et nous pataugeons dans une boue grisâtre. Je couve Elisabeth Guigou du regard, mon sixième sens me dit que c’est une après-midi à se casser une jambe. Et hop ! La voilà qui plonge le pied gauche dans une flaque et cela jusqu’à la cheville (ça porte bonheur, ça ?). Le pas suivant la voit basculer. Les réflexes en alerte, je l’attrape par le bras et lui évite d’avoir à écrire ici même, « la chronique d’une chute annoncée ».

C’est décidé, je ne la lâche plus. Il ne sera pas dit que le Bondy Blog « casse du politique »… C’est donc bras-dessus bras-dessous que l’équipe de tournage nous voit arriver à la bouche du métro. J’esquive les regards goguenards et maintient fermement mon attitude de bodyguard. Jusqu’ici tout va bien et je tiens à ce que ça continue…

Commence alors notre virée en banlieue. Le RER comme sas de décompression. On passe d’un monde à un autre, d’un rythme à un autre. Le paysage défile et j’espère à chaque mètre parcouru que des pans de masque tombent, que la parole se libère et reflète la pensée profonde, que les convictions se fassent entendre et… Ouh la, Fred, t’es pas dans un roman-photo !

15h, Bondy. Dès la sortie de la gare, sur la place du marché, notre invitée est prise à partie par un gars plutôt costaud (à vue de nez, je dirais qu’il fait entre 4 et 5 fois le poids de dame Elisabeth). La tête recouverte d’une capuche, les mains résolument enfouies dans les poches de son cuir épais, il est impressionnant. Mais plus que de sa dégaine, on a surtout peur qu’il dégaine… un gun, un couteau…

Mais non, on n’est pas dans Starsky et Hutch. Tout ce que le gaillard défouraille, ce sont des mots, des mots tranchants, des mots cinglants mais juste des mots. Force est de constater que la Guigou lui fait face. Même pas un pas de recul. Et c’est finalement sa voix toujours aussi douce et fluette qui finira par enterrer les récriminations. Je comprends alors que la fragilité peut parfois être une arme impitoyable. « Même pas peur », semble crier la démarche désinvolte de la femme au long manteau et qui sous son chapeau laisse percer son regard bleu malicieux. Filmée par Clint Eastwood, elle pourrait presque se transformer en héroïne de western spaghettis. Le chapeau, m’avouera-t-elle plus tard, c’est parce qu’elle ne veut pas ruiner son brushing. Exit la western touch, vive le chapeau anti-frisottis ! Est-ce nécessaire d’évoquer mon gros bonnet de laine ? C’est ma maman qui me l’a tricotée si vous voulez savoir.

Pendant cette longue après-midi passée à déambuler dans les rues de Bondy, nombreux sont les passants qui l’abordent, l’ancienne protégée de Mitterrand. Que ce soit pour vanter sa beauté ou demander des nouvelles de Ségolène, ce qui frappe, c’est la simplicité et la familiarité avec laquelle les Bondynois s’adressent à cette femme, à elle. Et cela, sans que les trois caméras les gênent le moins du monde.

17h30, Brasserie Le Murat, à Bondy. Jusqu’ici tout va bien. Littéralement frigorifiée, toute l’équipe rejoint Antoine Menusier et sa fine équipe de blogueurs pour le débat final. Yacine Djaziri, Stéphanie Varet, Widad Kefti et Kahina Mekdem, sont sur le pied de guerre. Ils ont eu le temps de bien affûter leurs questions et se réjouissent, car chère Elisabeth, il va falloir vous mettre à table !

Durant la demi-heure qui suit, les blogueurs vont à leur tour affronter le regard ensorceleur de la députée, façon livre de la jungle, « aie confiance… ». Tels de valeureux Mowgli de la jungle urbaine, nos blogueurs ne s’en laissent pas conter. Les points d’interrogation, d’exclamation, de suspension fusent au-dessus de la table encombrée par les verres à moitié vidés et les tasses encore tièdes.

18h30, bouclage du tournage et débriefing. « It’s a wrap ! » comme on dit dans le métier chez les amerloques… Traduc possible : « Emballé, c’est pesé ! » En tout cas, on en est tous sortis indemne. Madame Guigou est repartie en un seul morceau, et quel morceau ! Ce petit brin de femme ne s’est pas plaint une seule fois de la journée. Je ne l’ai pas entendu râler pour quoi que ce soit. Et pourtant, il y avait de quoi se demander ce qui nous avait poussés dans une telle galère. Mais c’est bien connu, c’est lorsque tout se déchaîne autour de nous, c’est face à l’adversité que l’on se rejoint. Pendant toute une après-midi, banlieusards et Parisiens ont partagé le même destin…

Jusqu’ici tout va bien.

Frédérique Bedos


Bondy Blog – CAPA – Teaser d’une nouvelle émission politique
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Frédérique Bedos

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