Il est toujours bon de constater que les grands principes qui constituent la colonne vertébrale de ce pays et que l’on apprend sur les bancs de l’école se vérifient dans les faits.
Avec son ordonnance du 26 août 2016 qui vient suspendre l’exécution de l’arrêté du 5 août 2016 pris par Lionnel Luca, maire de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), le Conseil d’Etat vient remettre les pendules de la justice administrative à l’heure et mettre fin à un débat dont on se demande maintenant s’il a vraiment existé. L’arrêté venait interdire l’accès aux plages à certaines femmes en raison de leur tenue vestimentaire. Une restriction de liberté qu’aucun risque de trouble à l’ordre public venait justifier.
C’est ainsi que de manière limpide, plus limpide même que certains manuels de droit, une fois n’est pas coutume, le Conseil d’Etat a, dans une démonstration concise, rappelé de quelle manière s’apprécie l’articulation entre restriction des libertés fondamentales et préservation de l’ordre public. Ainsi, le Conseil d’Etat a d’abord rappelé que le contexte post-attentat ne suffisait pas à établir un risque de trouble à l’ordre public, contrairement à ce qui avait été établi par le tribunal administratif de Nice. Il a également estimé qu’aucun motif d’hygiène ou de décence ne pouvait justifier une telle interdiction. Dès lors, « l’arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ». Qu’il fut doux de lire cette phrase.
Pour faire encore plus court, le port du burkini sur les plages de France ne vient pas dans ce cas précis perturber l’ordre public. Et rappelons que le port du burkini n’a jamais rien déclenché d’autre que des déclarations hallucinantes et des verbalisations honteuses et insensées. Oui, il y a d’autres choses qui viennent perturber l’ordre public : les déclarations d’élus de la République censés avoir le souci de la préservation de nos libertés chevillées au corps.
Il y a ceux qui aboient et que l’on n’écoute plus depuis longtemps comme Nicolas Dupont-Aignan qui nous dit que demain la France aura droit à la charia; Nadine Morano qui évoque, en lettres capitales, la guerre civile qui menacera. Pris de court depuis le début de cette affaire, le FN se rattrape. David Rachline demande l’extension à l’espace public de la loi de 2004 relative aux signes religieux ostentatoires dans les écoles. Depuis cet après-midi, il fait la tournée des popotes médiatiques pour dire que chez lui, le burkini est toujours interdit. Ainsi, il fait fi sans aucun problème de ce qui a été énoncé par la plus haute juridiction administrative française et refuse ainsi de se soumettre au droit. Si l’ordonnance du Conseil d’Etat ne concerne que la commune de Villeneuve-Loubet, un recours contre tout arrêté similaire signifierait désormais forcément invalidation, le port du burkini n’ayant jamais créé aucun trouble dans aucune ville. Jean-François Copé, lui, se baigne dans une piscine d’ignorance ou de populisme, appelant de ses vœux une loi d’interdiction qui ne saurait pourtant être conforme à la Constitution…
Et puis, il y a eu notre Premier ministre qui a soutenu les maires à l’origine de ces arrêtés. Un Premier ministre, dit de gauche, qui soutient un maire Front National, ça fait toujours bizarre. Aujourd’hui, le voilà désavoué alors qu’il nous disait défendre la préservation des libertés.
Et puis, il y a eu notre président de la République. Non justement, il n’y a pas eu notre président de la République. Il n’y a eu personne ou quasiment pour jouer ce rôle d’arbitre nécessaire. Lui qui ne pouvait ignorer que le Conseil d’Etat invaliderait. Lui qui, une fois de plus, s’est drapé dans une stratégie politique ou dans de l’inconsistance. On ne sait plus trop. Ca ne compte plus.
Non, ça ne compte plus parce que la France a été secouée de toutes parts ces derniers mois et pourtant voilà bientôt trois semaines que nous papotons maillot de bain. Pas intelligence collective, pas vivre ensemble, pas tolérance non : maillot de bain.
Aujourd’hui, le Conseil d’Etat a dit le droit comme il fallait le dire, et en cela il a honoré la République. En cela, il nous a fait reprendre notre souffle. Nous sommes soulagés alors que nous n’aurions même pas du avoir peur.
Mais nous avons peur parce que nous avons vu des policiers demander à une femme de se déshabiller sous les yeux de toute une plage. Nous avons eu peur parce qu’une femme s’est vue verbaliser alors qu’elle était tranquillement assise sur une plage et que son seul forfait était de porter un voile. Voilà, pour toujours, ce qu’il s’est passé en France en ce mois d’août 2016.
Le Conseil d’Etat est venu rappeler aux hommes politiques que nos libertés ne sont pas des jouets qu’ils peuvent utiliser pour servir un populisme vil et destructeur. Puisse-t-il le faire toujours.
Latifa Oulkhouir

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