« Un risque de diviser les Français.e.s », « une mauvaise manière de lutter contre le racisme », « un retour au régime de Vichy ».  A entendre tous ces arguments, on pourrait croire que les statistiques ethniques sont une chose abominable que tout pays doit éviter. Ainsi, la France fait office d’un bon exemple.

Pourtant, en France, il est possible de faire des statistiques ethniques. (Eh oui)

Comme nous l’explique le démographe François Héran, la CNIL autorise les statistiques ethniques dès lors qu’elles respectent plusieurs critères: le respect de l’anonymat, l’usage de critères « objectifs » comme la nationalité ou la destruction des données après l’enquête.

En guise d’exemple de statistiques ethniques, on peut citer le cas du recensement.

Si tout cela n’est pas respecté, bien sûr, des risques existent, à commencer par la surévaluation des résultats ou encore la stigmatisation envers des groupes ethniques ou religieux sur la base de ces résultat.

C’est de cela dont parlent les pourfendeurs des statistiques ethniques. L’image que s’en fait l’opinion s’appuie en fait sur ce qui se fait aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, basé sur les nomenclatures ethno-raciales.

Des statistiques ethniques qui existent, mais…

Certains opposants martèlent que la statistique publique (INED, INSEE) fait déjà des enquêtes qui visent à mettre en avant les discriminations. Parmi elles, on peut compter les enquêtes sur le logement, budget ou encore l’emploi.

Effectivement, ces enquêtes existent mais elles sont peu pertinentes à ce sujet. En les lisant, on remarque que les « immigrés » y constituent souvent un seul et même groupe, sans distinction de couleur, de religion, d’ethnie… De plus, elles n’interrogent jamais réellement ce groupe. Ces statistiques se résorbent à relater les faits sans aller questionner l’individu concerné.

Trajectoires et Origines est une enquête réalisée en 2008 et 2009 par plusieurs chercheurs du INED, INSEE et sociologues. Sur un échantillon de 21 000 personnes (âgées entre 18 et 60 ans) de la population française, ces chercheurs ont interrogé, en parti, les immigrés et descendants d’immigrés sur leur rapport à la société française.

Les champs abordés sont si variés que l’on s’y perd : cela va du recensement de la population au rapport à la religion, à la scolarité, aux relations amoureuses, au logement ou au travail. En filigrane, un but commun : savoir si, oui ou non, les interrogés ont ressenti de la discrimination.

« L’enquête Trajectoires et Origines cherche à appréhender dans quelle mesure les origines migratoires (géographiques ou nationales) sont susceptibles de modifier les conditions et chances d’accès aux biens, services et droits qui fixent la place de chacun dans la société : logement, éducation, emploi et promotion, services publics et prestations sociales, santé, relations sociales, nationalité et citoyenneté… »

La fin de l’enquête dédie une partie au racisme. Lorsqu’on les interroge sur la question de la discrimination, la majorité (55% des hommes, 59% des femmes) de descendants de deux parents immigrés estime qu’il existe en France des discriminations liées à la couleur de peau.

Lorsque l’on zoome un peu plus, c’est l’origine et la couleur de peau qui prédomine dans les résultats. Respectivement, 80% des descendants marocains et tunisiens estiment avoir été discriminés à cause de leurs origines et  89% des descendants d’Afrique guinéenne ou centrale estiment que cela était dû à leur couleur de peau.

Enfin sur la question « Vous sentez-vous perçu comme un Français ? », 57% des descendants d’Afrique subsaharienne répondent non.

Les statistiques ethniques, une aubaine pour les racistes ?

Bien que je trouve cette enquête superbe, j’émets une réserve à son sujet. Il y a le risque que les fachos puissent détourner ce projet. Ce projet de vouloir mettre en avant les problématiques auxquelles les minorités peuvent être confrontées.

C’est plus particulièrement l’enquête de Hugues Lagrange dans son livre Déni des cultures qui anime ma crainte.

On peut alors se contenter des autres solutions comme les testings. Ou les plus simples : l’éducation et la bonne volonté. Mais pour l’heure, le gouvernement ne semble pas être pressé dans la lutte contre  le racisme. En effet, lors d’une dernière enquête contre la discrimination à l’embauche, sur 103 grandes entreprises, 40 entreprises ont montré des traitements discriminatoires.

Une quinzaine d’entre elles ont été accusées de discriminer massivement. Sur 17 600 candidatures, une personne avec un patronyme maghrébin avait 20% chances de moins d’obtenir un emploi qu’une personne avec un patronyme à consonance français. Pourtant, le gouvernement a privilégié le dialogue avec ses entreprises,  alors qu’il ouvrait jusque-là avec panache la porte du name and shame.

Selon le dernier rapport du Défenseur des Droits, 80% des interrogés déclarent avoir vécu des discriminations lors de la recherche de logement. En allant plus en détail, 39% personnes perçues comme noirs et 38% des personnes perçues comme arabes déclarent avoir eu plus de mal à trouver un logement. Soit environ 20 points de moins que la moyenne du groupe (18%).  Ajoutons à cela les contrôles au faciès répétés* et le sentiment presque d’être illégitime face à ses études.

Tiens, c’est bizarre ? Tout cela semble se concorder à la définition du racisme institutionnel. Mais bon, puisqu’il faut arrêter d’américaniser la France…

« Concrètement, la discrimination fondée sur l’origine vise des individus non pour ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont ou sont supposés être. Elle repose sur la mise en œuvre de stéréotypes associés aux individus en fonction de signes extérieurs sur lesquels ils n’ont pas de prise (couleur de peau, traits du visage, texture des cheveux, patronyme, prénom, accent) ou de caractéristiques socio-culturelles (religion, lieu de résidence), qui laissent supposer une origine étrangère. Le degré d’exposition aux discriminations n’est pas tant lié à la nationalité étrangère, actuelle ou passée, de la personne, mais à ces différents ‘signes’ qui constituent les vecteurs des stéréotypes et des discriminations raciales. Elles concernent donc aussi bien des étrangers que des Français qui ne sont pas pleinement reconnus comme tels. »

Le Défenseur des Droits souligne aussi un manque de réactivité de la part des pouvoirs publics face aux discriminations ethniques qui ont trop duré.

Le gouvernement doit alors comprendre que c’est avec la première énergie et non la dernière qu’il faut lutter contre le racisme : un phénomène ignoré depuis longtemps que l’on cache à coup d’universalisme.

Mara LUTONADIO

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