Ali El Manani en est sorti, mais 22 000 personnes y vivent encore. C’est le Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie (78). Un nom bucolique de plus sur la liste des cités à problèmes. « Il y avait là des marécages », explique Ali. On est déjà plus proche de la réalité. Les pouvoirs publics, appellation qui sonne ici comme une antiphrase, ont entrepris de les assécher. Englué dans des marais de mal-vivre, le Val-Fourré est en chantier.

Mais la tâche est si grande, et si chère, que les résultats, supposés bénéfiques, tardent à se manifester. Des tours de vingt étages sont tombées, détruites à l’explosif. Des barres sont en attente de démolition, d’autres ont été trouées en leur milieu pour laisser passer une rue. Dans un immeuble abandonné, une dizaine de familles résistent au relogement forcé. Seules leurs fenêtres n’ont pas stores baissés. Signe de vie sur la façade.

Ali El Manani, 48 ans, père de quatre enfants, milite dans l’association Sauvegarde du cadre de vie de Mantes-la-Jolie. L’associatif, c’est son oxygène. La politique, il y vient avec les élections municipales de mars prochain, second sur la liste « indépendante » En force pour le Mantois, conduite par une femme, Martine van Glabecke. Derrière ce nom flamand, la liste, « établie selon le critère de la parité hommes-femmes », précise Radouane Boudjema, colistier, se veut surtout représentative de la diversité mantoise, un Babel ethnique.

Le plan banlieues de Fadela Amara ? Un sujet hors sujet, « un saupoudrage de termes politiques », estime Ali El Manani. Il y a eu tant de plans, étiquetés « banlieues » ou « ville », sous Mitterrand, sous Chirac. Aujourd’hui, Sarkozy propose le sien. « A quoi ça servira d’injecter des milliards d’euros dans la rénovation des immeubles si c’est pour qu’ils soient dégradés aussitôt après ? »

Par qui ? Par des jeunes sans emploi et généralement en situation d’échec scolaire. Le taux de chômage au Val-Fourré s’établit à près de 50%, selon Ali. Sur une vingtaine de mètres, le goudron carbonisé d’un parking atteste d’un récent « cramage » de véhicules. L’emploi, voilà la solution. « Le maire (Pierre Bédier, UMP) dit que ce n’est pas de son ressort, regrette Radouane Boudjema. Certes, mais il pourrait faire l’effort de créer quelques postes de travail en ouvrant des structures de vie sociale, ça ne ferait pas de mal. »

Le quartier-ville est sous perfusion de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine créée en 2003 par Jean-Louis Borloo, alors ministre délégué à la ville. L’homme a donné son nom aux maisons dites à « 100 000 euros », la Volkswagen de l’habitat. Quarante-cinq de ces habitations plutôt mignonnes ont été érigées au Val-Fourré à la place d’immeubles, car l’ANRU détruit pour reconstruire. L’accession à la propriété est encouragée. « Ce système risque de nous entraîner dans une crise des subprimes à la française », craint Radouane, ancien habitant, également, du Val-Fourré et jeune propriétaire d’un garage automobile à Malakoff (92). L’ANRU, qui gère des fonds européens, a déjà injecté 104 millions d’euros au Val-Fourré, 172 autres doivent l’être dans les prochaines années.

Le rez-de-chaussée d’une barre a été aménagé en plusieurs appartements de dix pièces chacun. « Ils sont occupés par des familles polygames », explique Ali El Manani. Un peu plus loin, il y avait des tours, désormais un terrain vague, qui deviendra une piscine olympique en plein air. A proximité, une mosquée qui n’en a pas l’air est dans l’attente d’un minaret. Le prochain voisinage du minaret et de la piscine, au « Radar », coin réputé le plus « chaud » du Val-Fourrée, théâtre d’émeutes en 1991, laisse Ali dubitatif : « Drôle d’idée que la construction d’une piscine à cet endroit. Il n’y en aura pas d’autres de ce type à Mantes-la-Jolie. Est-ce que les habitants du centre-ville viendront s’y baigner ? »

Le maire, avec l’Etat, redessine Mantes-la-Jolie. Il voue une attention particulière aux berges de la Seine, le long desquelles se dresse le Val-Fourré. « Bédier veut chasser les plus pauvres du quartier », assurent Ali et Radouane. C’est la théorie des cercles. Repousser sous d’autres cieux les mauvais payeurs. Les destructions-reconstructions aident semble-t-il à la manœuvre : une fois délogés puis replacés dans d’autres villes, les sans le sou ne reviendront plus. Qu’il paraît loin le temps où Renault, Peugeot, Sulzer, Solex et d’autres entreprises employaient des dizaines de milliers d’ouvriers, la plupart nord-africains, aujourd’hui français. Sous le plan banlieues coule la Seine…

Antoine Menusier

… à suivre, l’interview de François Pupponi, député-maire de Sarcelles… 

Antoine Menusier

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