Dans un contexte politique tourmenté et au sein d’une gauche éclatée, le parti communiste tente de faire entendre ses positions. Opposition acharnée au gouvernement, mouvement en faveur d’une primaire à gauche en vue de 2017, tensions avec Jean-Luc Mélenchon… Pour le Bondy Blog, Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF, a accepté de faire le point sur cette actualité politique chargée.
Bondy Blog : Dans quel état d’esprit êtes-vous en ce moment, au vu du contexte politique actuel ?
Pierre Laurent : Je suis à la fois en colère et inquiet. En colère parce que la situation du pays s’aggrave de jour en jour, parce qu’on a l’impression que le gouvernement n’entend rien des urgences sociales du pays. Mais je suis aussi inquiet parce que les problèmes en France, en Europe, dans le monde, s’aggravent dangereusement et peuvent conduire à des ruptures sociales, humaines et démocratiques graves. Mais je suis aussi dans un état d’esprit de mobilisation pour trouver des solutions urgentes à ces situations.
Si la réforme du droit du travail est adoptée en l’état, qu’est-ce que ça représenterait pour vous ?
Ce serait un recul comme on n’en a pas connu depuis 1945. Un recul considérable, pour les libertés collectives et le droit social dans notre pays. Derrière les belles paroles inscrites dans le préambule de cet avant-projet de loi, c’est un dynamitage du droit du travail qui se prépare.
Que reprochez-vous, concrètement, à ce texte ?
Au lieu de mobiliser toutes les ressources du pays pour créer des emplois, on va protéger, une fois de plus, les acteurs les plus puissants de la guerre économique en faisant payer aux salariés et aux privés d’emploi, de plus en plus condamnés au chômage. Si la loi passe en l’état, il n’y a plus de durée légale du temps de travail, plus de règles définies sur les contrats, puisque les patrons auront la possibilité de négocier au sein de leur entreprise, au détriment des codes collectifs du droit du travail. Enfin, c’est un élargissement quasiment sans limites des motifs de licenciement. On ne va pas aller vers une liberté et une souplesse plus grande, mais vers une liberté quasi-totale pour les patrons de licencier.
Imaginez-vous une grande mobilisation sociale pour y faire face ? Certains évoquaient l’éventualité d’un nouvel hiver 1995…
Face à une attaque d’une telle ampleur, il est indispensable qu’il y ait une grande mobilisation sociale. L’assise exceptionnelle de la pétition en ligne (plus de 643.000 soutiens à ce jour, Ndlr) est un encouragement. Il y aura, semble-t-il, une journée nationale de grève et de mobilisation le 31 mars prochain. Des organisations de jeunesse ont déjà exprimé leur souhait d’y participer. Ce mouvement devrait ouvrir la voie à une exigence plus large d’une réorientation totale des choix gouvernementaux.
La jungle de Calais devrait être évacuée prochainement. La France a-t-elle géré ce problème avec dignité ?
La France a été indigne, puisqu’elle a refusé d’accueillir ces migrants à la hauteur de la gravité de la situation. Les déclarations de Valls à Munich reprochant à Merkel d’avoir donné le signal de l’accueil en Europe ont déshonoré notre pays. Quant à la situation à Calais, elle est également indigne du point de vue humain. L’expulsion sans solution des migrants n’est pas responsable, sinon les pays vont se rejeter ces familles les uns contre les autres. Les pays européens ferment leurs frontières au lieu de prendre leurs responsabilités.
La polémique sur la déchéance de nationalité agite la classe politique depuis près de deux mois. Que vous inspire ce débat ?
Le président de la République a pris une grande responsabilité en ouvrant le débat et en souhaitant instaurer une rupture d’égalité entre citoyens français. Il a profité de l’émotion suscitée par les attentats du 13 novembre. Tout cela est profondément contraire aux valeurs de notre République. On a mis le doigt dans un engrenage qui fait des ravages dans notre conscience. La seule solution raisonnable serait qu’il renonce à porter ce projet devant le congrès de Versailles. S’il le fait, il sera l’otage des votes de la droite et adoptera cette mesure sous son plus mauvais visage.
Les assignations à résidence, les perquisitions parfois spectaculaires ont donné l’impression d’un état d’urgence essentiellement tourné contre les musulmans. Qu’en pensez-vous ?
Dès les premières semaines, l’état d’urgence a dérivé et est devenu un instrument de restriction des libertés. Un instrument qui s’est mis à être utilisé, en partie, pour stigmatiser une partie de la population des quartiers, et singulièrement la population de religion musulmane. Des perquisitions se sont faites dans des conditions totalement scandaleuses. Il est urgent, à présent, de restaurer pleinement l’état de droit.
Vous appelez à la tenue d’une primaire de gauche… Si, demain, un candidat socialiste, écologiste ou autres gagne la primaire, vous serez donc engagé à le soutenir ?
Je ne me pose pas la question comme ça. Il faut d’abord comprendre pourquoi nous nous prononçons en faveur de cette primaire. Il y a le risque important d’une catastrophe en 2017 : que la gauche soit absente du second tour. Après toutes ses trahisons politiques, François Hollande ne peut pas prétendre représenter la gauche. Il faut donc provoquer un débat dans le peuple de gauche pour faire émerger un candidat très largement soutenu.
Quitte à se ranger derrière un candidat issu du PS ?
Mon objectif n’est pas de remplacer François Hollande par un candidat qui représenterait les mêmes choix et serait une sorte de compromis mou. Je souhaite un processus collectif pour faire émerger une vraie candidature de gauche, avec les électeurs du Front de Gauche, les électeurs écologistes, les électeurs socialistes qui ne se reconnaissent plus dans le gouvernement et beaucoup de citoyens qui se sont abstenus dans les élections intermédiaires et ont un sentiment d’écœurement.
Est-ce que vous excluez totalement de soutenir François Hollande en 2017, y compris au second tour ?
J’exclue de soutenir François Hollande à l’élection présidentielle. Ma conviction est que s’il persistait à être candidat à la présidentielle, il ne se qualifierait pas pour le second tour. C’est pour ça que je souhaite faire émerger une autre candidature.
Êtes-vous en « conflit ouvert », comme on l’a beaucoup lu ces derniers jours, avec Jean-Luc Mélenchon, qui s’est déclaré candidat à l’élection présidentielle ?
[Il réfléchit] Nous avons un débat politique avec Jean-Luc Mélenchon, mais je continue à espérer qu’il rejoigne la marche collective. Nous sommes d’accord sur le diagnostic, pas sur la manière de construire une alternative. Je n’ai pas apprécié la manière dont il a décidé de partir en campagne sans se concerter et en s’écartant de la marche collective.  Moi, je crois que le dialogue et la convergence sont possibles entre des forces très diverses à la gauche. Je lui rappelle souvent que sa candidature de 2012 a été succès parce qu’elle a été construite, pendant des mois, collectivement. Je crois qu’il faut rééditer cette expérience collective, mais à une autre échelle.
En banlieues, mais aussi dans le reste de la France, des millions de jeunes et moins jeunes ne veulent plus entendre parler de la politique. Pourquoi iraient-ils, demain, voter communiste ?
Notre jeunesse, même quand elle est critique vis-à-vis des partis politiques, porte en elle des valeurs et des combats qui, souvent, nous rapprochent. Le respect de la dignité et des droits, les objectifs de lutte contre toutes les discriminations, le respect d’une égalité réelle partout, dans tous les quartiers… Tous ces objectifs peuvent nous rassembler. Je ne demande pas aux jeunes de se rallier au PCF. Je leur dis : « nous avons, ensemble, à construire ces solutions ».
Que proposerez-vous demain, au pouvoir, pour sortir les quartiers de leur extrême pauvreté ?
Il faut une mobilisation nationale pour la création d’emplois. Il faut reprendre le contrôle de l’argent qu’on donne aux entreprises et financer non pas des actionnaires sans contrepartie mais des programmes de création d’emplois.
Aujourd’hui, même quand des emplois se créent, les jeunes du quartier où s’installent ces entreprises n’accèdent pas facilement à ces emplois. Il faut donc créer des emplois en répondant au besoin local. La priorité des priorités, c’est de réconcilier le développement des territoires et le développement du pays tout entier.
Si vous deviez n’en citer qu’une, laquelle de vos propositions vous paraît la plus emblématique de votre combat ? 
La lutte contre toutes les discriminations. Et je citerais pour exemple la lutte contre le contrôle au faciès, parce qu’elle serait un signal de confiance à l’égard de notre jeunesse qui se sent, à juste titre, souvent discriminée.
Propos recueillis par Ilyes Ramdani

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