Il a été difficile de se frayer un passage dans la cohorte des journalistes venus de toute l’Europe en ce lendemain d’affrontements à Montfermeil. Le déplacement à Bondy de Ségolène Royal et de Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois, pour l’inauguration de la maison de la parentalité tombait à pic pour couvrir l’actualité chaude dans les quartiers.

Ségolène Royal a bien voulu nous accorder un entretien.

On a vu la montée des femmes en politique en Europe et dans le monde entier, Mme Merkel en Allemagne, Madame Bachelet au Chili. Pensez-vous que la France est prête à accueillir une femme aux plus hautes responsabilités de l’État ?

Je crois que le temps des femmes est venu. Non pas contre les hommes, mais pour les hommes et pour les femmes. Il faut réparer cette longue anomalie qui a fait que les femmes ont été écartées de l’exercice du pouvoir. Il faut faire en sorte que les choses soient plus équilibrées. On en est loin, sur 200 pays il y a 7 femmes chefs d’Etat. Donc les hommes ne sont pas trop menacés, qu’ils se rassurent.

On vous a entendu dire oui à Jamel Debouzze à propos de la candidature à la présidentielle de 2007. Pouvez-vous nous confirmer aujourd’hui que vous vous présenterez aux présidentielles de 2007 ?

Je me présenterai à la candidature que si je suis la mieux placée. On verra au moment du dépôt de candidature. Si c’était aujourd’hui, ce serait oui.

On voit dans les sondages que vous êtes la candidate naturelle du PS. Pourtant, les leaders de votre parti ne vous mènent pas la vie facile. Pour vous, c’est un problème d’idée, d’égo, de mentalité ?

Un peu tout cela, mais ce n’est pas grave. Je pense aussi que c’est une façon de voir si je garde mon sang froid et si je suis capable de surmonter ces difficultés, qui somme toute sont assez normales dans toute organisation politique. Si la politique était facile, ça se saurait.

Quelles seront dans votre programme les mesures phares pour lutter contre le malaise qui grandit dans les banlieues ?

Je crois qu’il faut s’appuyer sur les maires. Ce sont eux qui sont au front, en première ligne. Ce sont eux les meilleurs experts de la connaissance et de l’efficacité de l’action. C’est sur eux qu’il faut s’appuyer en faisant en sorte que l’Etat leur donne les moyens. Ils ont une capacité d’innovation très large.

Et sur les familles, les parents et notamment les mamans, il y a beaucoup de mères qui sont seules ou au foyer, elles ne sont pas suffisamment épaulées ou informées pour tenir leurs enfants dans une société qu’elles ne comprennent pas. Quand les parents ne comprennent pas la loi de l’école et qu’ils ont l’impression que c’est le quartier ou la cour de récré qui transmet à leurs enfants les valeurs qui ne sont pas les leurs, la violence verbale par exemple, les parents sont vite dépassés et débordés. Il faut donc restructurer les parents, leurs donner les moyens de se rassembler. Faire des écoles de parents dans les quartiers, des réseaux de parents, des choses qui tiennent la route, qui sont solides.

Que pensez-vous d’une mesure comme la suppression des allocations familiales ?

Il ne faut pas les supprimer. Si c’est pour faire retomber la famille dans la pauvreté, ce n’est pas malin. Mais on peut mettre sous tutelle, ça existe déjà, si elles sont mal dépensées, et surtout on peut encadrer les parents pour les remettre devant leurs responsabilités. Et si ça ne marche pas, on peut placer les enfants dans des internats, dégager des appartements dans des quartiers à proximité, pour que les parents ne soient pas trop éloignés.

Quelle sorte d’internats ? Sécurisés, fermés, type maisons de correction ou des établissements classiques ?

Non, les enfants n’en sortent pas. Quand ils sont dans l’internat, ils ne sont pas dans la rue. Ils se lèvent le matin, ils se couchent à l’heure, ils mangent correctement. C’est le retour à une certaine discipline.

On vous a entendu dire qu’il fallait faire intervenir d’autres adultes dans les écoles, et notamment dans les collèges. Est-ce une solution qui peut favoriser le calme dans les établissements qui en ont besoin ?

Il faut plus de liberté d’innovation dans les collèges, il faut que ces tuteurs soient présents, y compris pendant les heures de cours, y compris dans les matières générales. Ils sont dans la classe. Cela change tout. Il faut 2 adultes dans les classes, dont un qui n’est pas en situation de notation. Je le sais, c’est moi qui ai mis les aides éducateurs à l’époque. Il y a des enseignants qui les refusaient dans les classes, non pas qu’ils s’en méfiaient mais parce que c’est la tradition. Dans les collèges expérimentaux, lorsqu’il y avait 2 adultes dans la classe, je peux vous dire que ça changeait du tout au tout. Il faut adapter aussi le rythme de l’école aux jeunes. Imposer aux jeunes de rester assis 4 heures d’affilé dans un collège, quand ils ont besoin de bouger, ça ne tient pas. Il faut de l’innovation, il faut de la coopération entre les enseignants. Il faut généraliser ce qui marche. C’est mieux que de mettre des policiers.

Mais ces tuteurs seraient embauchés sous quel type de contrat ?

Ce sont des contrats à plein temps. Ils peuvent faire du soutien scolaire aussi. C’est de l’emploi jeune amélioré, et réservé dans ces collèges.

Les rapports entre jeunes et forces de l’ordre sont toujours tendus. Êtes-vous favorable à une police de proximité ?

Ce qui n’est pas normal, c’est que les jeunes aient peur de la police et que la police ait peur des jeunes. Ça c’est la politique de la peur actuelle, qui dresse les gens les uns contre les autres. C’est totalement inefficace. Il faudrait que dès l’école primaire, les jeunes apprennent ce qu’est un policier, ce qu’est la loi, savoir qu’ils sont là pour les protéger. Et réciproquement. Il y a aussi des policiers qui ont peur de recevoir un coup de couteau, d’être agressé. Dès qu’on est dans la peur réciproque, on est dans la provocation. Ça ne peut pas marcher. Il ne faut pas être dans la provocation, il faut être dans la compréhension.

Kamel El Houari

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