Le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, a pris la plume pour un communiqué. Il y demande à François Hollande de renoncer à la nomination de Jean-Pierre Chevènement à la tête de la Fondation de l’islam de France. Nous l’avons rencontré. Interview.

Bondy Blog : Qu’est ce qui pose problème selon vous avec la nomination de Jean-Pierre Chevènement à la tête de la Fondation de l’islam de France ?

Stéphane Troussel : Je n’avais pas d’a priori particulier sur Jean-Pierre Chevènement. On aime ou on n’aime pas son parcours, ses sorties. Personne ne peut lui reprocher un certain nombre de choses. Il a eu des positions courageuses, sur la guerre du Golfe par exemple (ndlr : il s’est opposé à la participation de la France à l’intervention militaire en Irak en 1991, démissionnant de son poste de ministre de la Défense), une sensibilité sur la question de l’organisation de l’islam de France. Mais entre son appel à la discrétion des musulmans et sa prise de parole lundi à la radio, évoquant notamment les 135 nationalités de Saint-Denis et la disparition d’une nationalité. Que veut-il dire ? Que la nationalité française a disparu de Saint-Denis? Que pour être français, il faut être blanc ? Que les Noirs et les Arabes ne sont pas français ? Sans parler de ses propos affirmant que « 80 % des enfants dans les écoles primaires de Seine-Saint-Denis ne maitrisent pas la langue française ». C’est insupportable.

Bondy Blog : Il n’est pas fait pour ce poste ?

Stéphane Troussel : Si à chaque fois qu’il prend la parole, il créé la polémique…

Bondy Blog : C’est pour cette raison que vous avez demandé à ce que François Hollande et Bernard Cazeneuve renoncent à cette nomination ?

Stéphane Troussel: Oui mais visiblement, cette demande n’a pas été écoutée…

Bondy Blog : Jean-Pierre Chevènement s’était déjà fait remarquer lorsqu’il a conseillé les musulmans à la discrétion. C’était il y a deux semaines. Pourquoi ne pas avoir réagi à ce moment-là ?

Stéphane Troussel : Vous avez raison. Mais si je devais m’exprimer sur tout ce qui est inacceptable, je réagirais très souvent…Cette stigmatisation de la Seine-Saint-Denis, de la population de ce territoire, c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Bondy Blog : Matignon vous a appelé ?

Stéphane Troussel : Non ! Mais une autre collègue, Bariza Khiari, (ndlr sénatrice PS) elle aussi critique des propos de Jean-Pierre Chevènement et de cette nomination a été approchée. J’ai cru comprendre qu’on lui a expliqué qu’il fallait éviter de trop s’exprimer.

Bondy Blog : Qui serait la ou le plus à même à occuper ce poste selon vous ? D’autres personnes auraient pu présider cette fondation, notamment des personnalités musulmanes ou de culture musulmane, ayant une connaissance du sujet. Par exemple la sénatrice Bariza Khiari dont le nom a beaucoup été cité.

Stéphane Troussel : Je n’ai pas de nom ni d’idée précise. Bariza Khiari, oui, pourquoi pas. Ce que je sais c’est qu’il est temps que la société française vive sa relation avec l’islam de manière apaisée et sereine, que l’on ne mélange pas tout. D’autant plus que la manière dont les choses ont été lancées ont participé à la confusion. Pas sûr que ce soit le bon tempo étant donné les derniers attentats. Mais la question des lieux de culte, du financement, de la place des mosquées dans les villes se pose, même si de multiples solutions sont trouvées.

Bondy Blog : Il reste tout de même des difficultés pour certaines mosquées et lieux de prière à simplement exister…

Stéphane Troussel : Oui mais nous arrivons tout de même à trouver des solutions.

Bondy Blog : Certains, dont des Français de confession musulmane, s’interrogent sur la pertinence et la légitimité même d’une telle fondation.

Stéphane Troussel : L’idée de Bernard Cazeneuve d’avoir une fondation sur l’islam concerne le pays tout entier. Cela ne concerne pas que les musulmans pratiquants ni ceux de culture musulmane mais bien tout le pays, tous les Français. Surtout, quand l’islam est aujourd’hui la deuxième religion du pays et que des gens, au nom de l’islam, ont des dérives inacceptables en commettant des actes terroristes. Il y a un besoin de connaître l’importance de la culture, l’apport de l’islam dans un tas de domaines.

Bondy Blog : Que répondez-vous à ceux qui estiment que cette fondation a des allures de paternalisme envers les musulmans voire de néo-colonialisme ?

Stéphane Troussel : Je peux comprendre cette inquiétude. Il faut que le fonctionnement, les attendus, les objectifs de cette fondation soient clairs. Les déclarations de Jean-Pierre Chevènement pourraient alimenter ces craintes. Il est temps que notre pays se mette les idées au clair.

Bondy Blog : C’est-à-dire ?

Stéphane Troussel : Je ne veux pas que cette analogie soit mal interprétée mais il a fallu attendre 1995 pour reconnaître la responsabilité de la France dans la rafle du Vél d’Hiv. Il reviendra à ma génération, à notre génération, aux 35-55 ans de prendre les mêmes responsabilités pour s’interroger sur le rôle de la France, des gouvernements dans la colonisation et la décolonisation. Car le rapport de la société française à l’islam est lié au passé colonial dont nous n’avons pas fait la lumière, dont nous n’avons pas débattu collectivement. C’est urgentissime pour la société française, pour les gamins de la Seine-Saint-Denis. Il est temps. François Hollande avait commencé à faire un premier pas en 2012 mais ce n’est pas suffisant.

Bondy Blog : Quel est le travail à faire sur cette question-là ?

Stéphane Troussel : Il faut ouvrir les archives, il faut faire en sorte d’enseigner cela dans les manuels scolaires, organiser des colloques, des conférences, y compris sur la place des habitants originaires de ces anciens territoires coloniaux et de ce qu’ils ont apporté à la France. Car cela pèse dans un certain nombre de malaises de la société.

Bondy Blog : Qu’avez-vous pensé de la polémique sur le burkini ?

Stéphane Troussel : Le droit c’est le droit. La loi c’est la loi. Ce n’est pas parce que je considère le débat grotesque que je suis devenu défenseur du burkini. Je vois bien qu’il peut y avoir des interrogations sur la question de l’émancipation des femmes, à s’habiller comme elles l’entendent, que cette tenue peut interroger un certain nombre de femmes sur la liberté de leurs corps, sur le choix de leurs tenues, que cela peut heurter. J’en reste à la question de ce que dit la loi.

Bondy Blog : Ce qui n’est pas interdit est autorisé.

Stéphane Troussel : Oui.

Bondy Blog : Bien que certains ont du mal à accepter la décision du Conseil d’Etat.

Stéphane Troussel : Je regrette que le Premier ministre ait poursuivi le débat après la décision du Conseil d’Etat.

Bondy Blog : Comment avez-vous ressenti le fait que Manuel Valls soutienne des maires et leurs arrêtés anti burkini dont un sénateur-maire FN, David Rachline ?

Stéphane Troussel : Je l’ai mal ressenti, je l’ai mal ressenti… Et on ne peut pas appeler les musulmans régulièrement à l’application de la laïcité, la séparation stricte du spirituel et du temporel et finalement faire croire que l’islam est le principal problème auquel nous sommes confrontés. Les habitants que je croise à La Courneuve me parlent principalement d’éducation, de sécurité. Nous avons passé notre été à faire croire que c’était essentiel. Ce n’est pas vrai ! Même si je ne suis ni naïf, ni angélique.

Bondy Blog : Pour certains, Manuels Valls est en partie responsable de cette stigmatisation avec ses propos sur l’islam lorsqu’il a, lui aussi, appelé les musulmans à la « discrétion » ou encore en affirmant ce lundi que Marianne n’est pas voilée, pointant du doigt certaines femmes musulmanes.

Stéphane Troussel : Ces propos ne me plaisent pas, à fortiori lorsqu’ils sont prononcés par un Premier ministre de notre majorité…

Bondy Blog : De quoi s’agit-il selon vous ? D’une stratégie de cette majorité à faire monter le Front national pour faire gagner la gauche en 2017?

Stéphane Troussel : Qui peut croire que la gauche puisse se permettre cela ? Je ne le crois pas. Ce serait une stratégie mortifère.

Bondy Blog : Votre plus grand adversaire, n’est-ce pas votre propre camp qui, avec ce type de débat, vous empêche de mettre en avant les actions ou de débattre de l’essentiel ?

Stéphane Troussel : Je pense que c’est une erreur oui. Pas que pour la Seine-Saint-Denis, pour le pays, pour la gauche de ne pas reconnaître un territoire, une population, une jeunesse diverse, métissée. J’ai des collègues élus à la campagne qui doivent fermer des collèges, nous ici nous devons construire un collège de plus chaque année. Il y a de la créativité, une énergie. Il y a un besoin de reconnaissance et de confiance.

Bondy Blog : Mais qui de mieux que le gouvernement pour le faire, normalement…

Stéphane Troussel : Je le redis, c’est une erreur de ne pas avoir cette reconnaissance. Anne Hidalgo le fait dans le cadre de la candidature de Paris aux Jeux Olympiques, en montrant que le Grand Paris est une chance pour le pays. Je ne veux pas m’enfermer dans la plainte. Comme le disait Léon Blum, « je le crois parce que je l’espère ».

Bondy Blog : Est-ce suffisant ?

Stéphane Troussel : Il y a dans les quartiers de la rage et en même temps de l’indifférence, à l’image de la France dans son ensemble. C’est pour cela aussi que je plaide pour une réforme de nos institutions : non cumul des mandats, proportionnelle, statut des élus…

Bondy Blog : Les habitants n’ont plus confiance. Beaucoup parlent de trahison alors que les banlieues ont voté massivement pour François Hollande au second tour de l’élection présidentielle de 2012.

Stéphane Troussel : « Trahison », je n’emploierai pas ce mot.

Bondy Blog : Il n’est pourtant pas galvaudé.

Stéphane Troussel : Les électeurs des quartiers populaires sont plus exigeants envers la gauche. Tout n’a pas été bien fait mais il faut du temps avant que l’action soit reconnue. Il s’en est passé du temps avant que l’on reconnaisse les avancées de la gauche durant le mandat de Lionel Jospin comme les 35h. Ce qui est fait sur l’éducation, c’est sans commune mesure de ce qui a été fait sous Nicolas Sarkozy. Je ne mettrai jamais de signe « égal » entre la gauche et la droite. Mais c’est vrai, il y a une absence de message de reconnaissance vis-à-vis des quartiers. Il n’y aurait jamais eu de victoire de la gauche sans la mobilisation massive dans les quartiers à l’élection de 2012. Si nous continuons ainsi, nous perdrons en 2017. Ce n’est pas faute de tenter de le faire entendre. La droite peut gagner sans une participation très élevée ; nous, nous avons besoin d’une mobilisation importante pour l’emporter.

Bondy Blog : Selon vous, qui est le plus responsable dans la situation actuelle : Manuel Valls accusé de stigmatiser les musulmans ou François Hollande qui n’est pas intervenu dans ces polémiques pour dire stop ?

Stéphane Troussel : Avec mon parcours, ce que je représente, avec d’autres élus, j’ai une responsabilité, celle de faire entendre, prendre des initiatives.

Bondy Blog : Vous ne répondez pas à ma question…

Stéphane Troussel : C’est ma réponse… François Hollande est intervenu, il a demandé à ce qu’il n’y ait « ni provocation, ni stigmatisation ». Mais cette formule n’est qu’une formule et elle n’est pas suffisante par rapport à ce débat mortifère.

Bondy Blog : Votre appel à la non nomination de Jean-Pierre Chevènement, vos prises de position sur le burkini, sur l’islam, c’est une stratégie ?

Stéphane Troussel : Je vous renvoie à mon parcours et à mes choix depuis toujours. Ce n’est pas à moi de dire si c’est une stratégie. Comment voulez-vous que je vous réponde ? !

Bondy Blog :  N’est-ce pas une manière de vous sauver politiquement, de garder un lien avec des électeurs très critiques envers le PS et qui sont fatigués d’être montrés du doigt?

Stéphane Troussel : Je considère que je n’ai pas besoin de me sauver politiquement. Croyez-moi, aujourd’hui,  j’ai la confiance de ceux qui m’ont élu et qui a été renouvelée en avril dernier.

Propos recueillis par Nassira EL MOADDEM

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