C’est ce qui a fait réagir les représentantes du collectif AC LE FEU. Pour Fatima HANI, secrétaire générale et porte-parole de ce collectif, encourager les jeunes à aller s’inscrire sur les listes électorales, « ce n’est pas les orienter vers tel ou tel candidat. Aujourd’hui, nous sommes invités pour aller dans le même sens mais nous sommes tombés dans un traquenard. On n’a pas à embrigader les jeunes en leur remplissant le crâne avec des « Stop Sarko », les jeunes ne sont pas des moutons, ils doivent se faire leur propre opinion. Nous sommes un collectif apolitique, nous ne pouvons donc nous permettre d’orienter le vote de ces jeunes que nous essayons aujourd’hui de convaincre d’aller s’inscrire ». Visiblement peu soutenues par les jeunes qui veulent stopper Sarko, les deux membres d’AC LE FEU quittent la salle. En aparté, je demande à ces dernières de m’expliquer leur point de vue, moi-même intéressée par la question puisque ne sachant pas pour qui voter en 2007. Pour Fatima HANI et sa collègue Samira, il aurait fallu baser cette rencontre sur un apprentissage aux jeunes, leur expliquer ce qu’est un suffrage, leur faire comprendre qu’il existe plusieurs élections. En effet, « les présidentielles de 2007 ne sont pas seules au programme, il y aussi les élections législatives, et surtout, les élections municipales. C’est par les élections municipales qu’on peut faire bouger les choses, et par là aussi qu’on peut faire voter nos parents immigrés ». Un combat au niveau local donc.
A l’inverse, Nadia MEHOURI, organisatrice de cette rencontre, se fixe pour objectif de motiver les jeunes. Et les moins jeunes aussi. Elle ne croit pas en la droite
« Moi-même j’ai 35 ans et je ne sais pas pour qui voter aux prochaines présidentielles ! On nous reproche aujourd’hui de ne pas nous limiter à expliquer aux jeunes la définition d’un suffrage ou d’une élection. Si on l’avait fait de cette manière, les jeunes ne seraient pas venus ! Ils ont besoin de concret. » Une autre membre de Collectif 2007, Charlotte, nous rejoint et m’apprend que dans la salle, les parents d’un ami, la cinquantaine et pas immigrés de surcroît, sont venus écouter le débat parce qu’eux-mêmes ignorent pour qui voter aux prochaines élections présidentielles. Visiblement, les jeunes ne sont pas les seuls à ne se reconnaître dans aucun parti politique.
Le concepteur du t-shirt qui fâche, Zola, un ancien membre de La Maison des Jeunes en Suisse explique pour sa part qu’il ne comprend pas pourquoi un « Stop Sarko » peut choquer, « avec ce t-shirt, on a voulu créer une sorte d’effet boule de neige, nous sommes en démocratie donc on n’a pas à avoir peur de s’exprimer. Si on avait voulu choquer, on aurait choisi d’autres mots pour notre t-shirt. Pour nous, l’idée c’est stoppe-le (ndlr Nicolas SARKOZY) en allant voter. Et puis, il n’y a pas de raison de faire polémique là-dessus : il existe bien des t-shirts, briquets et tongs ‘ allez Sarko ‘. Nous, on a pas les moyens financiers de Sarkozy, ni le même impact dans les médias, personne ne parle de nos t-shirts on est loin derrière »
Mourad, un rappeur de groupe Skred Connexion, explique qu’en 2002, il a été contraint de voter Chirac au deuxième tour, et qu’il n’a « plus jamais envie de le refaire, et le moyen d’éviter ça, c’est que nous nous exprimions à travers cette possibilité de vote avant qu’il ne soit trop tard, ça fait douze ans que la droite est au pouvoir, il faut que ça change. Après, ça ne signifie pas forcément voter PS, et puis, de toute façon, il faut se préparer à des déceptions même si la gauche passe. Nous risquons d’être déçus parce que nous ne sommes pas représentés ».
Selon lui, l’avenir peut cependant changer dans le bon sens.
Cela doit passer d’abord par un engagement citoyen de la nouvelle génération votante, puis par une implication de celle-ci dans la politique, pour faire des petits élus qui deviendront grands. L’idée est séduisante et montre bien qu’il y a un problème en France. Les politiciens ne se sont jamais sérieusement préoccupés de régler la question des banlieues, et plus encore de la question de la représentativité des minorités dans les allées du pouvoir. Si ça continue, il n’est pas impossible de voir demain des partis politiques du type « Blacks Blancs Beurs » apparaître, avec le risque de tomber dans le communautarisme. Ceci pose évidemment la question cruciale de la discrimination positive. Pour beaucoup, elle est l’unique solution. Mais est-ce que des initiatives comme les conventions d’éducation prioritaires lancées par le prestigieux Institut d’Etudes Politiques de Paris suffiront à débloquer l’ascenseur social aujourd’hui en panne ? Est-ce que choisir des talents parce qu’ils sont noirs ou arabes, ce n’est pas une façon de calmer la population qui, d’après le dernier rapport du Haut Conseil à l’Intégration,se dit prête à 75% à voter pour un candidat issu de la diversité ?
Il ne faut pas se leurrer, la discrimination positive, ce n’est pas l’égalité des chances. Ces deux expressions antinomiques ne peuvent constituer une équation équilibrée. En somme, l’équation à résoudre comporte une inconnue qui constitue l’un des enjeux politique et social des années à venir.
Hanane Kaddour