Gare de Villepinte, midi et des poussières. Le bleu du ciel ne tient pas bien longtemps et une pluie glaciale s’abat. A quelques encablures de là, les sympathisants d’Eric Zemmour arrivent à son meeting organisé au parc des expositions de Villepinte. Un meeting qui devait initialement se tenir au Zénith mais qui a dû être délocalisé en raison des manifestations prévues aux abords de la salle.

Un premier meeting en Seine-Saint-Denis

En ce dimanche de décembre, c’est donc à la Seine-Saint-Denis qu’il échoit d’accueillir le premier meeting du polémiste d’extrême-droite. Tout un symbole. L’ancien éditorialiste du Figaro et Cnews a, en effet, bâti sa carrière sur la détestation obsessionnelle de ce que représentent les habitants du département à ses yeux. Une vision fantasmée, tordue, insultante.

Ici, c’est un monde d’ouvriers qui
a réussi.

A l’abri des gouttes, Jenna* nous dit son sentiment sur ce meeting : « C’est dur… Il n’a pas sa place ici. Villepinte c’est la diversité ». Ce n’est pas l’endroit pour « sa politique remplie de haine ». Jenna est retraitée, elle a travaillé durant 30 ans comme aide-soignante à l’hôpital Robert Ballanger (du nom de l’ancien maire communiste d’Aulnay-sous-Bois, nous précise-t-elle). Un travail physique qu’elle a quitté à temps. « Ici, c’est un monde d’ouvriers qui a réussi », insiste-t-elle en nous parlant de son père venu de Kabylie pour travailler à l’usine.

Villepinte, ville multiculturelle où Zemmour promet l’immigration zéro

Jenna dit garder une certaine distance avec les discours d’Eric Zemmour. Pourtant, elle lâche un mot qui tape à l’oreille et qui dit l’effet de ce discours sur les personnes ciblées : « dégradant ». Avant de se quitter, l’ancienne aide-soignante appuie sur un point : « Les étrangers ont participé à la construction de la France ». Elle nous dit aussi quelques mots sur ses enfants et sur la beauté de la jeunesse issue de l’immigration. Le même jour, le candidat, condamné pour provocation à la haine raciale, promettra l’immigration zéro devant une foule survoltée.

Plus loin, du côté de la ville mitoyenne de Sevran, Ahmed nous lance d’un rire un peu jaune : « Je devrais changer de prénom pour faire plaisir à M. Zemmour ». Preuve qu’il ne prend pas totalement le sujet à la légère, Ahmed prend le temps de nous expliquer l’importance, pour lui, de transmettre les prénoms. « J’ai donné à mon fils le nom de mon grand-père, pour lui rendre hommage », confie-t-il.

La réalité, ce n’est pas la rue de la Pompe, ce n’est pas le 8e arrondissement de Paris.

Penché sur son étal de légumes, le gérant de l’épicerie perçoit Eric Zemmour comme « un danger pour la France ». Avec un sourire qu’on devine en-dessous le masque, il se rassure : « Il ne va pas gagner, on n’est pas aux Etats-Unis, ici ». Et de railler celui qui « se prend pour le général de Gaulle ». 

L’étal de légumes d’Ahmed, qui essaie de se rassurer comme il peut sur l’état de la France. 

La France d’Ahmed, c’est celle où il travaille : « Ici, dans le magasin, il y a 11 nationalités, 3 confessions différentes, des Français, de tout ». Une France du réel, éloignée de celle du polémiste. « Il vit dans sa bulle, lui. La réalité, ce n’est pas la rue de la Pompe, ce n’est pas le 8e arrondissement de Paris ».

Tout du long, Ahmed nous dit sa fierté d’être Français. Lui, l’immigré egyptien. Lorsqu’on lui fait remarquer, il admet : « On doit toujours se justifier. M. Zemmour traite les musulmans de terroristes, alors que ce sont des gens qui travaillent ». Sur son balcon, Ahmed a planté un drapeau bleu-blanc-rouge. « J’essaie de rassurer mes voisins, explique-t-il avec un sourire indéboulonnable. Et c’est triste… »

C’est le bordel, il y a plus de services publics, il n’y a plus rien et après ils parlent de zone de non-droit.

Guillaume, lui, est plus véhément à l’évocation du meeting d’Eric Zemmour. « C’est une honte, c’est de la provocation qu’il vienne à Villepinte », lâche-t-il. Cet employé des pompes funèbres de 50 ans comprend mal l’attrait que les médias lui portent et cette obsession autour de la sécurité et de l’immigration. « Ici, on voit les gens qui galèrent, qui subissent. C’est le bordel, il y a plus de services publics, il n’y a plus rien et après ils parlent de zone de non-droit », enchaîne-t-il.

La vraie vie de Villepinte loin des retransmissions de discours de campagne d’extrême-droite

Pour lui, Eric Zemmour n’est qu’un « baromètre » de vie politique et des débats présents à longueur de journée sur les chaînes d’information. Une vie loin de la sienne. « On parle de sécurité mais on ne parle pas de la vraie vie », peste Guillaume. Lui nous parle de personnes en difficultés, de la fermeture de lieu pour se rassembler et débattre. « Ici, c’était la banlieue rouge, avant », dit-il, nostalgique.

Les pieds bien plantés dans la réalité de la crise sanitaire et sociale, Samir, un jeune associatif de Villepinte, décroche son téléphone. Son association concentrait son activité sur le sport avant l’épidémie. « On faisait quelques maraudes aussi mais là on s’est vraiment recentré sur la distribution alimentaire », explique Samir. A Villepinte, 23% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, 1063 euros par mois (presque dix points de plus que sur le reste du territoire, d’après les données de l’Insee en 2018).

Les gens savent que c’est une personne dangereuse. Ce sont les médias qui font
sa com’.

Avec l’épidémie, les habitants de Seine-Saint-Denis – qui forment le gros des travailleurs de première ligne – ont payé un lourd tribut. Sur le plan sanitaire, avec un taux de mortalité bien supérieur à la moyenne nationale. Sur le plan économique et social, avec un accroissement des difficultés. Comme d’autres jeunes de la ville, Samir s’est retroussé les manches et le fait toujours puisque la crise est loin d’être finie.

Un passage qui va laisser des traces dans les têtes

Lui ne s’émeut pas outre mesure du meeting d’Eric Zemmour dans sa ville. C’est plutôt sa présence dans le débat public qui l’interpelle. « Je ne trouve pas ça normal qu’il ait autant de visibilité. Il est raciste, islamophobe, antisémite et on le laisse s’exprimer en toute impunité », déplore Samir. « Les gens savent que c’est une personne dangereuse. Ce sont les médias qui font sa com’. » Quel effet a sur lui cette médiatisation, ces discours ? « Je n’écoute plus les informations, répond Samir. Je crois qu’il ne faut pas rebondir sur chaque phrase, c’est lui accorder du crédit. »

 Quand j’entends ce racisme, ça me
fait peur.

Sur le zinc d’un café de Sevran, Caramba et son ami Laurent partagent le même rejet de ce candidat d’extrême-droite. Cravate et veste cintrée, Caramba s’attarde sur le manque « de respect » du polémiste. Ce n’est « pas digne » de l’idée qu’il se fait d’un homme politique. A 62 ans, Caramba a bossé 21 ans de sa vie en tant qu’agent d’entretien à Roissy. Il a été licencié depuis. Et pour lui, la France reste « le pays des droits de l’Homme ». C’est qu’il l’a motivé à venir dans sa jeunesse, insiste-t-il. « Quand j’entends ce racisme, ça me fait peur », confie Caramba.

Au café avec Caramba à Sevran, qui confie lui aussi sa peur du racisme ambiant.

Spontanément, Caramba dit, lui aussi, son attachement à la France. Il parle de ses années de travail acharné, de ses enfants. Son fils a fait un master, il est comptable et a une bonne situation, raconte-il fièrement. Comme s’il devait se justifier des discours de haine qu’Eric Zemmour tient non loin de ce bar paisible.

Laurent, qui lui aussi travaille à Roissy, vient en renfort démonter le discours du polémiste et son obsession pour l’Islam : « Moi, je suis chrétien et lui est musulman. On s’en fout ! Si je bois du rhum, je ne vais pas lui proposer et point. Il faut respecter les gens ». Les comparses se regardent et rigolent (on en a bien besoin).

Hannah Saab

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