Place Gambetta, Paris 20e. On retrouve Mourad Winter dans une brasserie. Un sourire éclaire son visage quand il remarque l’accent kabyle des serveurs. Il doit bientôt se rendre au Festival de Cannes pour sa contribution au film Omar la fraise d’Elias Belkeddar. « Faut que je rentre dans ma chemise pour Cannes. Wallah, j’achète pas un nouveau costard. » Il commande une salade-chèvre.

Dans ses romans, les vannes fusent. Références, jeux de mots, répliques absurdes, ça ne s’arrête pas. Beaucoup se surprennent à rire aux éclats en lisant ses romans. Ses livres sont pourtant loin d’être une simple compilation de blagues. Au milieu de ces océans de punchlines, l’auteur aborde des thèmes aussi divers que la masculinité toxique, la dichotomie amour-sexe ou la politique dans les quartiers populaires.

« Dans le premier livre, je voulais parler de comment des mecs qui surjouent la virilité refusent de voir qu’ils vont mal », explique-t-il. « Dans le deuxième, j’ai tenu à parler de foi, de comment on interprète la religion. Entre autres thématiques. » À chaque fois, sur fond de comédie romantique.

Mourad Winter écrit pour celles et ceux qui ne lisent pas. Les Meufs, c’est des mecs bien sort le 1er juin aux éditions Clique. Il tient à ce que ses livres paraissent avant l’été. « Faut arrêter de se dire que les gens vont retourner vers la lecture. Ça va être de pire en pire », professe le romancier. « J’attends l’été parce que je sais qu’il y a un public qui ne lit qu’un livre par an et qui va le lire cet été, à la plage, pendant ses deux semaines de vacances. Si j’ai la possibilité d’être ce gars-là, je vais tout faire pour. »

Voir l’humanité dans l’œil du monstre, c’est ça qui m’intéresse

C’est sa femme, Hafida, qui pose pour la couverture du deuxième livre. Ils ont deux enfants et fêteront bientôt leurs dix ans de mariage. « Elle m’a inspiré pour le livre », explique le romancier. « Je traite beaucoup l’adultère dans le bouquin. Je ne voulais pas qu’elle se sente lésée », confie-t-il. « Ça peut être dur d’être avec un romancier, même quand on sait que c’est de la fiction. »

Ses personnages sont sexistes, homophobes, racistes, infidèles… L’auteur refuse de les classer entre bons et mauvais. Une philosophie qui lui vient de Végéta. « Petit, quand je regarde Dragon Ball Z, je réalise que c’est lui que je préfère alors que c’est un connard », se souvient-il. « Voir l’humanité dans l’œil du monstre, c’est ça qui m’intéresse. » Il y a aussi la religion. « Quand je vois la place de la miséricorde dans l’islam, je me dis : “Pourquoi ne pas essayer ?” C’est comme ça que j’essaye de comprendre les gens. »

Pas de méchants, donc. En revanche, il désigne volontiers le capitalisme comme responsable de tous les maux. « C’est l’oseille qui fait vriller les gens ». Il est abstentionniste. Le droit de vote a toujours été refusé à ses parents qui ont pourtant habité en France pendant l’essentiel de leur vie. Sa mère est marocaine, son père algérien kabyle. « C’est en grande partie pour ça que ça me saoule de voter », explique l’écrivain de 36 ans. Il a toutefois affiché son soutien à Mélenchon aux dernières présidentielles. Sans voter pour autant. « Je sais que c’est pas bien. Ma femme est partie voter. Je suis resté à la maison avec les enfants, et j’ai prié », assure-t-il en souriant.

Auteur « maghrébeauf »

Né à Ivry-sur-Seine (94) en 1987, Mourad Winter grandit entre le bar PMU de ses parents à Ivry, et la cité Micolon à Alfortville (94), chez sa grand-mère.

Au bar, il est bercé par les blagues beaufs, et la gouaille du paternel qui vanne les clients depuis le comptoir. « Il m’a vraiment inspiré et donné envie d’être drôle », confie l’écrivain.  À la cité, il traîne avec les copains, joue au foot sur le grand terrain au milieu du quartier. Élève très turbulent, ses parents l’inscrivent dans un collège catholique dans le 13e arrondissement de Paris. « J’étais qu’avec des Blancs », se souvient-il, amusé. Toute sa jeunesse, il navigue entre ces différents mondes.

Je lui ai dit : “Monte sur scène, il faut que tu joues !”. Au bout de dix fois, il dit okay

Quand on lui sort une vanne extraite d’un de ses livres ou d’une vieille story Insta, il rit à gorge déployée. Le melon ? Non. Il a juste une très mauvaise mémoire et oublie ce qu’il a lui-même écrit. Un défaut qu’il transforme très tôt en atout. Dès 15 ans, il note ses blagues dans des cahiers, pour éviter de les oublier, et les ressortir à ses camarades. Sa seule motivation alors : plaire aux filles. Écrire devient une habitude dont il ne se départira jamais.

Plus tard, il découvre Facebook. C’est une libération. « J’écris tous les jours. Je peux être drôle partout dans le monde, je n’ai pas besoin d’être avec mes potes pour faire des blagues. » Aujourd’hui encore, Instagram est un véritable laboratoire pour ce vanneur atteint du syndrome de la page noire. Il régale ses abonnés avec les stories hilarantes qu’il poste compulsivement. Il écrit même le début de son premier roman, L’Amour, c’est surcoté, sur le réseau social avant d’être repéré par les éditions Robert Laffont.

Des cuisines à la scène

Pendant longtemps, il bosse dans la restauration. Il commence dans le bar de son père. Après avoir loupé son bac S, ce sera sa principale activité. En 2011, il arrive au Paname Art Café, chef-lieu du stand-up français. Il travaille alors en cuisine, en salle, ou en tant que chef de rang. C’est là-bas qu’il apprend que le métier d’auteur existe.

Karim Kachour, président du café-théâtre, voit les posts de Mourad sur Facebook. Il y voit un potentiel et l’incite à se lancer. « Un jour, je lui dis : “Monte sur scène, il faut que tu joues !”. Au bout de dix fois, il dit okay », raconte-t-il. En 2016, Mourad arrête définitivement la restauration. Une connaissance qui travaille pour TPMP l’introduit à la chaîne. Et il commence à travailler en tant qu’auteur à la télé. Il coécrit en parallèle avec des humoristes.

À partir de 2017, il se lance sur scène. Il écume les plateaux de stand-up, teste ses vannes devant les publics parisiens. Il fait même la première partie de Malik Bentalha sur la dernière tournée de ce dernier.

L’expérience se conclut le 26 janvier 2020, au Jardin sauvage, où il donne une représentation unique de son spectacle, Fin du monde, qu’il écrit en trois mois à Montréal. Après le confinement, il décide d’arrêter. Il préfère se consacrer à l’écriture.  « Aujourd’hui, dans le milieu, il est très respecté », explique Karim Kachour. « Parce qu’il concrétise ses actions. À travers un spectacle, un livre, et un film bientôt. »

Son deuxième roman est à peine sorti qu’il planche déjà sur les deux suivants. Pendant ce temps, il a commencé à tourner son premier film, fin mai 2023. « Mourad, il a 15 000 idées à la minute », raconte Mourad El Glaa, directeur du pôle “Entertainment” de l’agence de communication ODW, qui a eu l’occasion de collaborer avec l’humoriste. « On a beau lui dire de se concentrer sur un truc, il ne tient pas en place. C’est un bosseur acharné. »

Il a toujours un ordi sur les genoux. C’est une machine de travail

« Je peux m’asseoir devant mon ordi et passer une journée à écrire des trucs. Quand j’ai des idées, il faut que ça sorte », affirme l’auteur. Après plus de vingt ans d’écriture quotidienne, les pannes d’inspiration lui sont étrangères.

« Il a toujours un ordi sur les genoux », confirme l’humoriste Alexandre Kominek, ami et partenaire d’écriture. « Il tape, il tape, il tape. C’est une machine de travail. » « Déjà en restauration, on voyait qu’il était comme ça », se souvient Karim Kachour. « Il ne pouvait pas rester sans rien faire. Et toujours dans la précision. »

En 2020, Kominek l’introduit à la maison de production Iconoclast. Les deux hommes collaborent pour une mini-série diffusée sur les réseaux. Plusieurs boîtes de production et plateformes de streaming approchent Mourad, avec de grosses offres, pour l’adaptation de son premier roman. Il choisit de rester fidèle et jette son dévolu sur Iconoclast. Un moyen pour lui de conserver une certaine créativité et une liberté de ton. Les têtes d’affiches du film seront Laura Felpin et Hakim Jemili. Le fameux costume de Cannes devrait bientôt resservir.

Hadrien Akanati-Urbanet

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