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« En ce moment, je vends rien, je sais pas pourquoi, les gens regardent, mais n’achètent pas », soupire Nadia en regardant son stand de fortune. À 73 ans, en legging noir et blanc, les mains dans les poches de sa parka, elle vend à la sauvette pour compléter sa retraite.

Chaussures, bijoux et autres babioles sont disposés au sol sur un drap face au cinéma MK2 Beaubourg à côté d’une dizaine d’autres vendeurs. Nadia a commencé à vendre ses propres affaires il y a six ans. « J’ai découvert ça un peu par hasard, en sortant du cinéma, je me suis dit, tiens il y a des gens qui vendent alors pourquoi pas moi ? Donc, je suis revenue le week-end d’après et je me suis installée. »

Des ventes qui s’amenuisent

Au début, elle venait tous les jours. « Ça marchait bien », souligne-t-elle, mais depuis 2020, les passants achètent moins et la police a intensifié les contrôles. Alors, elle ne vient plus que de temps en temps, les week-ends, pour rejoindre les autres vendeurs, devenus de véritables amis.

J’ai reçu trois amendes de 135 euros

Tous se connaissent depuis des années. La plupart sont des hommes, et ensemble, ils forment un groupe assez solidaire. Ils guettent l’arrivée des policiers et se tiennent prêts à prévenir les autres pour tout remballer. Nadia a déjà été contrôlée. « J’ai reçu trois amendes de 135 euros. Le motif indiqué sur les contraventions était le “dépôt d’ordures”, mais ce ne sont pas des ordures que je vends. Et ça fait un sacré trou dans le budget de devoir payer ça… », témoigne-t-elle.

Lire aussi. Au nord de Marseille, le plus grand marché informel de France lutte pour sa survie

Nadia n’est pas un cas isolé, de plus en plus de séniors font face à des situations de précarité et tentent de trouver des solutions pour compléter leur retraite. L’association “Les Petits Frères des Pauvres” a sorti en octobre 2024 son rapport annuel, et les chiffres sont alarmants.

« En 2024, on estime à environ 2 millions les personnes de 60 ans et plus qui vivent sous le seuil de pauvreté (fixé à 1 216 euros pour une personne seule), sachant que le minimum vieillesse, l’allocation destinée aux personnes âgées aux retraites les plus faibles, est à 1 012 euros, c’est-à-dire plus de 200 euros inférieurs au seuil de pauvreté. »

Quelques regrets, mais une vie bien remplie

À 18 ans, Nadia a quitté sa famille pour se marier. Sans diplôme, elle a enchaîné des missions d’intérim pendant une vingtaine d’années avant d’être embauchée dans une compagnie d’assurance. « À l’époque, à la fin des années 1960, il y avait du travail tout de suite. Mais je regrette un peu, j’aurais bien voulu étudier le cinéma, réaliser des films… », confie la retraitée. Pour elle, les années 1970 – 1980 étaient les plus belles. « On avait les moyens, on sortait tout le temps », se souvient-elle nostalgique.

Rouge à lèvres fuchsia, cheveux courts et blancs, elle affiche l’apparence d’une femme sûre d’elle qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Mais cette image est surtout une carapace pour se protéger. Sensible et longtemps isolée, elle regrette de ne pas avoir fait tous les voyages de ses rêves. Partie cinq fois au Japon pour rejoindre sa nièce qui vivait à Tokyo, elle a ramené de nombreux souvenirs.

« J’ai un toit et ma retraite, c’est déjà pas mal… »

Dans son petit appartement coquet à la décoration chargée, les étagères sont remplies de bibelots et les murs, eux, sont tapissés de tableaux encadrés. Elle revend à la sauvette ses souvenirs pour arrondir ses fins de mois et éviter de laisser des affaires derrière elle après sa mort.

La septuagénaire accepte mal sa vieillesse. « Je me demande souvent, comment est-ce que je vais mourir ? J’ai peur de ne pas pouvoir faire tout ce que j’aurais voulu. Je pensais qu’à ma retraite, je pourrais voyager en Europe, mais je n’ai pas eu les moyens. » Elle ne veut cependant pas se plaindre de sa situation : « J’ai un toit et ma retraite, c’est déjà pas mal… »

Océane Laffay

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