La poussette d’une main, le téléphone dans l’autre. Dans la poussette, une petite fille avec une baguette magique du dessin animé Raiponce. Avec son téléphone, Zeïna fait un Facebook live pour sa famille qui habite à plusieurs milliers de kilomètres. « Ces derniers jours, ils n’ont vu que les images de voitures en train de brûler à la télé. Ils ont eu peur pour moi. Il faut aussi leur montrer qu’il y a des moments de fête ici », explique-t-elle.

Une fête, c’est exactement ce qui était organisé au But en Or de Bondy nord, ce samedi après-midi. Une fête de quartier, plus précisément, à l’initiative de l’association “Bondy en commun” qui travaille essentiellement avec des familles monoparentales du nord de la ville.

Si certaines mamans sont des habituées de l’association, d’autres la découvrent avec cet événement. C’est le cas de Zeïna, mère de trois enfants : « En sortant du marché, j’ai vu les structures gonflables se monter, j’ai entendu la musique, j’ai demandé si c’était gratuit et je suis venue avec mes enfants pour faire la fête. » 

Cette fête-là est organisée en trois espaces. D’un côté le village dédié aux mamans avec des stands henné, bien-être et calligraphie. De l’autre, le village enfant avec de la pêche à la ligne, des perles, un chamboule-tout, des structures gonflables ou encore du tir à l’arc. Entre les deux, une piste de danse. Enfin, le village culinaire « parce que tu en connais beaucoup des fêtes où on ne mange pas ? »  À 14 ans, Amine a le sens de la réplique : « Je veux parler moi, j’ai plein de trucs à dire. Ces fêtes, c’est important. On se retrouve, on rigole, on chante, on danse et on gagne des Cristalines pêche. » 

« Quand on sera plus grandes, on pourra aller à Rosny 2 »

À quelques pas, Ayah et Elena, toutes deux 12 ans, récupèrent leur traditionnel sandwich-merguez, tout chaud. En attendant qu’il refroidisse, on discute de leurs vacances au quartier. « On traîne dehors, on se retrouve avec nos copines, on achète des choses à manger et on fait des pique-niques », explique Ayah. « Quand on sera plus grandes, on pourra aller à Rosny 2, mais pour l’instant, ma mère ne veut pas, reprend Elena. On a le droit d’aller à “l’été du Canal” par contre, c’est pas mal aussi, d’ailleurs, vous avez vu pour le Blanc-Mesnil ? » 

Elena parle de Beach mesnil qui a été annulé pour « réparer les dégâts commis par les émeutiers ». « J’avoue que je n’ai pas compris le rapport en fait ? Il veut rembourser avec quel argent ? Les animations n’étaient pas déjà prévues et payées ? », questionne Ayah. Elena hausse les épaules et croque dans son sandwich.

« Je suis scandalisée par cette histoire, c’est trop facile, c’est populiste. J’espère que les familles s’en rappelleront au moment des élections », réagit Souhila Fezari, présidente de l’association “Bondy en commun”. Toute l’année, Souhila et son équipe de l’association organisent des sorties, des projets et des événements avec les mamans de Bondy nord.

Quelle a été la réponse politique ? Vous avez entendu une réponse vous ? Moi, je l’attends encore 

Dans le traitement médiatique des révoltes, la responsabilité des parents a été questionnée en long, en large et en travers. « Comme à chaque fois qu’il y a le moindre problème dans un quartier », souffle Souhila. « Évidemment, qu’il y a une responsabilité qui est valable pour tous les parents du monde, mais qu’en est-il de la responsabilité de l’État qui s’est totalement désengagé dans ces quartiers ? Les parents et les assos ne peuvent pas tout faire. » 

La jeune femme, elle-même maman, poursuit. « Ces révoltes, aussi complexes soient-elles, c’était un cri du peuple, une alerte. Quelle a été la réponse politique ? Vous avez entendu une réponse vous ? Moi, je l’attends encore. La réponse a été judiciaire uniquement », déplore Souhila.

« On occulte les problèmes de fond sans regarder l’urgence droit dans les yeux. Si les politiques ne la voient pas ou ne l’entendent pas depuis le 7e ou le 8e arrondissement, cette urgence, nous, on la ressent au quotidien. Ça ne va pas. On a plein de galères, mais pas de moyens », poursuit-elle.

« Ici, les gens sont dignes, courageux et solidaires »

Une averse interrompt la fête. Il s’agit de se mettre à l’abri. Les familles les plus proches grimpent chez elles. Il suffit de quelques minutes pour que la pluie se calme et que tout le monde redescende pour profiter encore quelques minutes et aider tout le monde à ranger.

Souhila Fezari poursuit son propos. « Faisons attention aux discours misérabilistes. Ici, les gens sont dignes, courageux et solidaires. En tant qu’association de terrain, c’est important de se réunir et de faire la fête ensemble, c’est presque une tradition d’organiser des fêtes de quartier ici. Sauf que les gens que vous voyez là en attendent beaucoup plus. Malheureusement, on n’y arrivera pas d’un coup de baguette magique. » Même avec la baguette magique de Raiponce.

Sarah Ichou

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