Au quartier Félix Pyat, à Marseille, les immeubles décrépis B11 et B12 ne forment qu’un seul bloc. Mustapha Medjou traverse les portes battantes qui relient leurs halls. Au passage, cette figure du quartier glisse une tête dans la loge du gardien où une vingtaine d’extincteurs viennent d’être livrés. « T’as vu, on fait marcher l’ascenseur », lance-t-il au garçon de la société incendie. « Ces trois ascenseurs ne fonctionnent pas, mais lui, si », indique-t-il.

Son index vise le plafond : « La famille de Sabrina habitait au 3ᵉ étage, sa mère, c’est un diamant ! » Sabrina Agresti-Roubache, la nouvelle secrétaire d’État chargée de la politique de la Ville, a grandi au B12. Mustapha Medjou, mémoire vivante des lieux, qui a longtemps dirigé l’amicale des locataires de Félix Pyat, s’en souvient. La secrétaire d’État est la troisième d’une fratrie de six enfants, son père d’origine algérienne était maçon et sa sœur a un temps tenu un café dans le quartier. « Une bonne famille. »

Le septuagénaire en a vu des politiques passer entre les tours d’une des cités les plus pauvres de Marseille. « Pierre Joxe, Bernard Tapie, Jean-Louis Borloo… », énumère-t-il. L’ensemble fait partie des plus anciennes copropriétés dégradées de la ville et a fait l’objet de son premier plan de sauvegarde en 1999.

À l’époque, le quartier figurait en haut du podium des cités les plus insalubres d’Europe. Aujourd’hui, la tour B est vouée à la démolition et les habitants ne savent pas encore à quelle sauce ils vont être mangés. Les limites du va-et-vient politique, Mustapha les connaît, mais il ne veut pas « descendre quelqu’un qui sort de la cité » et préfère croire en Sabrina Agresti-Roubache.

Parc Bellevue, rue Félix Pyat à Marseille, le 24 juillet 2023. @HélénaBerkaoui

L’ascension politique de l’enfant de Félix Pyat

Inconnue du monde politique il y a encore peu de temps, l’enfant de Félix Pyat a connu une ascension fulgurante. Sabrina Agresti-Roubach, 46 ans aujourd’hui, se fait élire pour la première fois, en juillet 2021, aux élections régionales sur la liste de Renaud Muselier (LR). L’année suivante, celle qui affiche sa proximité avec le couple Macron est élue députée de la majorité dans la 1ʳᵉ circonscription des Bouches-du-Rhône.

« Elle était venue [à Félix Pyat] avec Brigitte Macron », se souvient Mustapha Medjou. Une visite de la première dame a effectivement eu lieu en juin 2019, mais ses liens avec le couple Macron sont antérieurs. Selon la presse locale, la productrice audiovisuelle rencontre le couple présidentiel lors d’un dîner en 2016. Depuis, elle s’est imposée comme le relais du président à Marseille. En pleine pandémie, c’est elle qui a organisé la rencontre controversée entre l’épidémiologiste, Didier Raoult, et le chef de l’État.

Depuis, la Marseillaise, dont l’époux, Jean-Philippe Agresti, a été sur la liste de Martine Vassal (LR) aux dernières municipales, œuvre au rapprochement entre une partie de la droite marseillaise et la majorité. Reste que l’annonce de sa nomination en a surpris plus d’un dans le marigot politique local. « On a tous hallucinés ! Elle a été nommée parce que c’est la copine à Brigitte Macron », persiffle un brisquard de la vie politique marseillaise.

Les commentaires qui ont accompagné sa nomination se sont démarqués par une dose de sexisme et de mépris de classe, comme lorsqu’un journaliste, sur LCI, l’a qualifié de « cagole ».

Une figure politique caricaturée et caricaturale

Depuis son élection à l’Assemblée nationale, Sabrina Agresti-Roubache s’est fait une place sur les plateaux des chaînes d’information en continu. Sur Cnews, la députée marseillaise s’est illustrée par des sorties très marquées à droite. Une pensée qu’elle précise dans son livre, Moi, la France, je la kiffe (Ed, Albin Michel, 2023) où elle tient son rôle. Celui d’une femme issue des cités et de l’immigration qui emprunte un discours dur sur l’immigration et la sécurité.

Un élu local de gauche, pointe le « manque d’expérience » de Sabrina Agresti-Roubache sur les dossiers liés à la politique de la Ville. Mais, l’élu reconnaît toutefois l’intérêt du plan “Marseille en grand” où, chose rare, l’État a injecté de l’argent dans les écoles dont la gestion est généralement assurée par les communes.

Félix Pyat, citée désillusionnée

Au centre social Léo Lagrange de Félix Pyat, on ne lui connaît pas d’engagements associatifs. « Elle n’a jamais rien fait ici », balaie Haza, un habitant. Il rappelle, en y pensant, le tournage de la série Marseille diffusée sur Canal+ dont elle a été la productrice. « À ce moment-là, les gens d’ici ont travaillé, mais ils [la production] n’avaient pas le choix s’ils voulaient tourner à Félix Pyat. » Selon Haza, la nouvelle secrétaire d’État à la Ville a quitté le quartier dans sa jeunesse. « À part les anciens, personne ici ne la connaît », assure-t-il.

Accoudé au zinc du café la Centrale, Samir a grandi dans le même quartier que Sabrina Agresti-Roubache, à quelques années d’écart. Il se garde de critiques à son endroit, mais s’affiche désabusé. « On connaît les élus qui viennent ici pour les élections, ils s’entourent de quelques personnes respectées pour ne pas se prendre d’œuf sur la tête et après, on ne les revoit plus », souffle le quinquagénaire. Samir se souvient de la visite de Bernard Tapie : « Au moins, il avait été honnête, il nous avait dit “Je ne vous promets rien”. »

Le rien en question est palpable pour Samir : « Regardez derrière [il indique les tours, ndlr], les gosses crèvent de chaleur sous 40 degrés, il y a 4 ou 5 ans, ils ont détruit la piscine municipale. On est à côté de la mer et la moitié des gamins ne savent pas nager. » Lui se rappelle, quand il était enfant, des virées dans les gorges du Verdon organisées par une association du quartier. Des activités auxquelles les plus jeunes ne peuvent plus prétendre aujourd’hui.

Violences policières et fronde des policiers

Sabrina Agresti-Roubache considère sa nomination comme un « signal fort post-émeutes ». Dans les médias, il est question de Félix Pyat pour le pire, les trafics souvent. Ces mêmes trafics meurtriers dont on avait dit en 2005 qu’ils auraient empêché les révoltes de se propager dans la cité phocéenne, les trafiquants veillant au grain. Mais après la mort de Nahel, les flammes se sont étendues, même à Marseille.

À Félix Pyat, les violences policières médiatisées ces derniers jours sont sur toutes les lèvres. « Ici aussi ça a pété, rappelle Samir. Vous avez vu les flics qui sont en grève ? » La mise examen des policiers soupçonnés d’avoir grièvement blessé un jeune homme de 22 ans et le placement en détention provisoire d’un autre policier, a déclenché un mouvement de grève chez les policiers marseillais. Le jeune homme en question, Hedi, a été laissé pour mort par des agents de la BAC après avoir été touché par un tir de LBD et brutalisé.

« Ils l’ont traîné dans une ruelle et ils l’ont tabassé. Si ça avait été mon fils… », résume Samir, père de famille de 51 ans. Son regard s’enfonce dans le vide. À Marseille, le bilan est lourd. En marge des nuits des révoltes, un homme de 27 ans, Mohammed, est mort d’une crise cardiaque, probablement causée par un impact de LBD en pleine poitrine. Coup du sort, son cousin germain âgé de 22 ans, Abdelkarim, a, lui, perdu un œil, selon les informations de Mediapart et Libération.

Dans les colonnes du Figaro, la veille, la secrétaire d’État à la politique de la Ville a salué le travail des policiers « en première ligne ces dernières semaines ». Mais pour Hedi, Mohammed et Abdelkarim, elle n’a eu aucun mot.

Héléna Berkaoui 

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