Son portrait trône sur le fronton de l’Hôtel de ville. Chacun des Albertivillariens qui passe devant semble le regarder avec un mélange de respect et de tristesse. Depuis le décès de Jack Ralite, les hommages pleuvent pour saluer la mémoire de celui qui fut maire d’Aubervilliers de 1984 à 2003, mais aussi ministre de l’Emploi puis de la Santé entre 1981 et 1984, député et sénateur de Seine-Saint-Denis. Entre autres.

« C’était une autorité morale, une grande figure, salue Anthony Daguet, 1er adjoint à la maire d’Aubervilliers, Meriem Derkaoui. J’ai ressenti beaucoup de tristesse à l’annonce de son départ. Il a marqué l’Aubervilliers d’après-guerre ». Un autre élu, Sofienne Karroumi, chargé de l’Enseignement, abonde en son sens. « C’est une figure incontournable d’Aubervilliers, qui incarne l’histoire même de la ville. En tant qu’enfants d’Aubervilliers, on a grandi avec lui. A l’école, je recevais chaque année un dictionnaire signé par le maire. On le voyait dans le journal, dans la rue, au marché… Il représentait quelque chose pour nous, j’éprouvais une forme d’admiration ».

Tous décrivent un personnage respecté de tous. « C’était un grand visionnaire qui avait une aura nationale, poursuit Anthony Daguet. Nous, on est des enfants d’Aubervilliers, on a grandi avec lui, on ne s’en rendait pas forcément compte. Il était tellement humble qu’on oubliait presque, parfois, quel grand homme il était. Christophe Evette, directeur artistique des Grandes personnes, une compagnie culturelle de la ville, se souvient de sa première rencontre avec Jack Ralite : « Il était assis sur un carton en train de manger un sandwich merguez dans l’atelier. Ca résume bien le personnage en termes de proximité ». Karim Belkebla, manager général du FCMA, le club de football de la ville, confirme : “Tout le monde garde une belle image de lui. C’était un formidable ambassadeur d’Aubervilliers ».

La culture pour tous comme étendard

Un homme simple, nous raconte-t-on, qui vivait encore à la Maladrerie, un des quartiers populaires de cette ville de 80 000 habitants. Un homme de combats aussi, ancien journaliste à l’Humanité, arrivé au PCF en 1947 puis à Aubervilliers dans les années 1950. Celui que chacun garde en tête, c’est évidemment l’homme de culture. Il la chérissait plus que tout, la voulait populaire et accessible. « Son plus grand héritage, c’est celui-là, reconnaît le socialiste Marc Guerrien. Cette idée de culture pour tous, c’est quelque chose qui restera dans l’histoire d’Aubervilliers. Il a fait venir ici de grands chercheurs, de grands penseurs, de grands artistes… »

Chargé des finances, Anthony Daguet raconte une anecdote. « Quand on a été confrontés à des difficultés financières, il m’appelait pour être sûr qu’on n’allait pas sacrifier la culture sur l’autel de l’austérité. Il était très vigilant à ce qu’on prenne soin de cela ».

« Ce qu’il a apporté à des gens comme nous, c’est un regard vers ce qu’on était pas censé regarder, rapporte Karim Belkebla qui a grandi, lui aussi, à Auber. La culture, le théâtre, les expositions… Tout ce qui nous permettait de nous ouvrir, il en voulait pour tous les gamins d’Auber ». Christophe Evette raconte l’histoire de sa compagnie d’artistes. « Si on est installés à Aubervilliers, c’est grâce à Ralite et parce qu’il y avait Ralite. C’est quelqu’un qui expliquait qu’on n’avait pas à choisir entre le bifteck et la culture. Pour lui, les gens avaient droit aux deux et on s’est retrouvé là-dedans’.

C’est comme cela qu’Aubervilliers a vu naître et grandir en son sein des équipements tels que le Théâtre de la Commune, le centre équestre Zingaro, le conservatoire à rayonnement régional mais aussi de nombreux artistes, regroupés pour certains à la Villa Mais d’Ici, dans une ancienne friche industrielle. « Quand on a trouvé ce lieu, raconte Evette, la ville nous a appuyés et s’est presque portée garante pour nous. Ralite nous a poussés à réfléchir à ce que l’on faisait. La compagnie est un peu née du constat que peu de gens rentraient dans une galerie, dans un théâtre. Alors on a décidé de travailler dans l’espace public, à destination de tous ». 

« Il ne voulait surtout pas qu’on parle de la banlieue en mal »

« Ralite était particulièrement attaché à ce que la banlieue ne soit pas un lieu pourri », se rappelle Babette Martin, qui a fondé la compagnie des Grandes personnes. Il ne voulait surtout pas qu’on parle de la banlieue en mal, alors il fallait sortir et faire grandir tout ce qu’il y avait de positif ici ». Karim Belkebla se souvient d’une expression que le maire utilisait souvent. « Il n’aimait pas trop le mot de ‘banlieue’ qui lui paraissait péjoratif. Lui, il parlait souvent de ‘bon lieu’. Il faut l’entendre, avec sa voix… Ce ‘bon lieu’, je l’ai gardé et il m’a marqué.”

C’est cet amour du « bon lieu » qui a mis en relation Karim Belkebla et Jack Ralite. Alors footballeur professionnel au Red Star, le gamin d’Auber rencontre le maire. « A la base, le foot, c’était pas son truc, il préférait le théâtre, raconte-t-il. Moi, j’avais une vingtaine d’années, j’étais en D2 au Red Star. J’avais des propositions de Saint-Etienne et de Monaco pour y poursuivre ma carrière. Puis Pierre Pironnet, président du Red Star, m’a annoncé qu’il quittait le club et qu’il me proposait de monter un projet à Aubervilliers, parce que c’est une ville qui sentait le football. On a rencontré Ralite, qui a dit oui, et on est partis de zéro ».

C’est le début d’une des plus belles success stories du football francilien de l’époque : Aubervilliers passe des tréfonds du football amateur aux portes du monde professionnel en quelques années. Karim Belkebla, alors joueur puis entraîneur de l’équipe fanion, se souvient. « Ralite a été sensible à quelque chose qu’il ne connaissait pas forcément. Il voulait que le foot rayonne pour donner une belle image de la ville. Et il s’est pris au jeu : il assistait à tous les matches, il papotait avec les gens en tribune, il venait boire son café tous les jours à L’Expo, la brasserie qu’on tenait à la Maladrerie… Ce n’était pas le football en tant que tel, c’est l’aventure humaine qui lui plaisait ».

L’ombre rassurante pour la municipalité d’Auber

Un autre de ses combats était générationnel : c’était celui de la jeunesse. « Il nous a aidés à grandir, il nous tirait vers le haut », se souvient Martial Byl, animateur dès 1993 puis directeur de l’OMJA, alors office municipal de la jeunesse d’Aubervilliers. C’est grâce à ses combats que la mission locale a été créée, qu’on a mis en place des séjours, un festival de musique… Il avait l’éducation populaire à coeur. Même pour nous, les enfants de la ville, il a été déterminant. Il nous a fait confiance, nous a permis de grandir professionnellement en reconnaissant notre valeur. Il a mis les jeunes d’Aubervilliers au centre de son action ».

Sofienne Karroumi, lui, n’est pas encarté au PCF mais il avait noué une relation de confiance avec l’ancien édile. “Dès qu’il le pouvait, il m’encourageait dans mon travail, explique-t-il. Il me donnait aussi quelques conseils. Par exemple, il nous disait à nous, les “personnalités non-encartées” de la majorité, de rester nous-mêmes, de garder notre identité politique sans vouloir se fondre dans le moule. Je me souviens de discussions politiques passionnantes à son bureau, au 3e étage. Un jour, alors qu’on désignait les candidats aux élections départementales, il nous recommandait d’ouvrir la voie à des femmes, des jeunes, des gens issus des minorités pour refléter la diversité politique et sociale de la ville ».

Près de quinze ans après la fin de sa mandature, Jack Ralite n’avait pas pour autant disparu des radars. « Quand je le croisais, il prenait encore des nouvelles du foot, sourit Karim Belkebla. ‘Alors, ça va ? Qu’est-ce qu’on a fait ?’” Marc Guerrien confirme : « On parlait parfois de choses et d’autres… Enfin, c’est surtout lui qui parlait, moi je l’écoutais avec un grand plaisir ». Car l’ancien ministre de François Mitterrand ne ratait rien des mutations et de l’actualité politique de sa ville.

Dans son communiqué publié dimanche, la maire, Meriem Derkaoui, parle d’un « infatigable militant politique » qui ne « manquait ni d’idées ni d’énergie ». Après les décès d’André Karman en 1984, pendant son mandat, et de Jacques Salvator, l’an dernier, Aubervilliers perd une autre de ses figures politiques les plus emblématiques, peut-être la plus importante d’après-guerre. Un hommage lui sera rendu vendredi 24 novembre, au cimetière du Père-Lachaise puis au square Stalingrad, dans le centre-ville d’Aubervilliers.

Ilyes RAMDANI

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