On ne cesse de le répéter comme un mantra : « Il faut manger comme un roi le matin, comme un prince le midi et comme un pauvre le soir. » La réalité est qu’aujourd’hui, en France, certaines personnes mangent comme des pauvres le soir et le midi, et n’avalent strictement rien le matin. Le petit-déjeuner doit pourtant représenter 30% des apports caloriques de la journée et sans lui, on puise dans nos réserves, ce qui entraîne une baisse de la vigilance et une sensation de fatigue que les enseignants en REP et REP+ connaissent bien.

40 % des 12-14 ans au sein des familles pauvres ne prennent pas de petit-déjeuner de manière régulière

Selon le Centre de recherche pour l’étude et l’observations des conditions de vie (Crédoc) qui est allé enquêter auprès de ces acteurs de terrain, les élèves qui sautent leur petit-déjeuner seraient plus fatigués, mais aussi moins concentrés, moins attentifs et moins participatifs.

Sauter le petit-déjeuner n’est pas le fait de quelques élèves mais un véritable phénomène de société qui touche en particulier les enfants de l’éducation prioritaire : 13 % d’entre eux vont à l’école sans rien avaler le matin selon le rapport sur la pauvreté de l’inspecteur général de l’Éducation nationale, Jean-Paul Delahaye, publié en 2015. Une situation relevée aussi par le Crédoc :  25 % des 3-11 ans et 40 % des 12-14 ans ne prennent pas de petit-déjeuner de manière régulière au sein des familles pauvres.

Conséquences néfastes sur l’apprentissage à l’école

On se doute bien qu’aller à l’école le matin, le ventre vide, a forcément des effets néfastes sur l’apprentissage. Des chercheurs de l’Université de Cardiff, dans une étude parue en 2015 dans le journal Public Health Nutrition, ont démontré cette évidence. Ces scientifiques ont suivi 5 000 enfants âgés de 9 à 11 ans issus de plus de 100 écoles primaires du Pays de Galles. Leurs conclusions suggèrent que les chances d’obtenir une note supérieure à la moyenne sur un test donné sont deux fois plus élevées chez des élèves qui ont pris un petit-déjeuner. 

Plus intéressant encore, un rapport publié par la Banque Alimentaire d’Australie intitulé « Hunger in the Classroom » s’intéresse aux mécanismes qui relient petit-déjeuner et apprentissage. L’étude montre comment sauter ce repas peut faire perdre jusqu’à deux heures de concentration par journée d’école aux élèves et par conséquent, occasionner des dommages en matière d’apprentissage. 

Petits-déjeuners à l’école : meilleure concentration, hausse du niveau scolaire climat plus serein

Reste à savoir si le fait de fournir un petit-déjeuner équilibré gratuit aux élèves peut permettre d’aboutir à une meilleure concentration, et selon ce même rapport, la réponse est claire : oui. Les enseignants qui exercent dans des écoles ayant mis en place de tels programmes affirment qu’il y a une incidence notable sur l’attention des élèves, mais aussi sur le climat scolaire général, jugé plus serein.

Une autre étude intitulée « Magic Breakfast » a testé ces programmes en Angleterre de 2014 à 2015 en installant des « clubs petit-déjeuner » dans 106 écoles. 8 600 élèves, pour la plupart issus de familles pauvres, ont pu bénéficier d’un repas gratuit et équilibré avant le temps de classe. Les résultats sont impressionnants puisqu’on observe que la création de ces dispositifs a engendré une augmentation du niveau en lecture, écriture et mathématiques correspondant à deux mois d’enseignement par an pour les élèves en classe de CP.

Plus qu’un petit-déjeuner, un rituel en collectivité

Ce n’est pas simplement le fait d’avaler un petit-déjeuner qui donne lieu à de tels résultats mais bien la participation à un projet et la mise en place d’un rituel puisqu’on note également des progrès en matière d’absentéisme, de retards et de comportement. En effet, si on souligne souvent sur l’apport nutritionnel et diététique du petit-déjeuner, on n’insiste pas assez sur le fait qu’il marque l’entrée dans la journée. Selon Jean-Pierre Corbeau, sociologue spécialiste de l’alimentation : « On est persuadé de l’importance du petit déjeuner, mais souvent il perd sa dimension conviviale et se résume à des barres ou des viennoiseries consommées dans les transports vers l’institution scolaire. L’imaginaire des plus jeunes adolescents a été imprégné de cette « nécessité nutritionnelle ». Ils ont peur de « l’hypoglycémie » de 11 heures fatale à leurs performances scolaires…» Le petit déjeuner apporte, certes, 30% des calories quotidiennes, mais il apporte aussi du plaisir, c’est un rendez-vous avec les autres, avec soi-même, et pour profiter de tous ses bienfaits, il convient de le consommer dans les règles de l’art : de façon conviviale, en le partageant et en l’appréciant. 

Comment donc accueillir cette mesure anti-pauvreté d’Emmanuel Macron ? Il est clair qu’à elle seule, elle ne servira pas à enrayer le fléau des inégalités scolaires qui ne cessent de gagner du terrain. Mais faut-il mépriser une mesure parce qu’elle n’est pas suffisante quitte à nier l’importance du repas matinal ? Il convient d’être vigilant afin qu’elle soit appliquée correctement, pour défendre ce qui est acquis sans rien lâcher sur les combats à venir.

Rachid ZERROUKI

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