La nuit noire a déjà envahi le Parc des sports de Bobigny, un mardi soir à 19 heures. Les grands projecteurs inondent de leur lumière blanche les deux terrains de football du complexe sportif. Il fait environ dix degrés et une fine pluie commence à tomber.

Une vingtaine de joueurs, jeunes adultes comme trentenaires, s’affrontent sur une moitié de terrain, délimitée par des plots. Nous sommes à l’entraînement de l’Équipe sans Frontière de Paris, un club de football associatif œuvrant pour l’insertion des demandeurs d’asile par le sport.

Dans leur tête, c’était presque impossible de pratiquer en France

Durant l’été 2017, la fondatrice de l’association Chloé Cassabois, alors bénévole pour le BAAM (Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants) donne des cours de français à des réfugiés. Tous sont dingues de foot. « Dans leur tête, c’était presque impossible de pratiquer en France », note la fondatrice d’ESF. Avec l’aide de quelques amis footballeurs, Chloé Cassabois organise alors des entraînements et des matchs amicaux, « assez informels au début ».

Très vite, le projet prend de l’ampleur : « Après quelques mois, je me suis vite retrouvée avec plus de 50 inscrits, donc en janvier 2018, j’ai décidé de créer un club de foot. » Le début d’une aventure qui permet aujourd’hui à une trentaine de migrants de se retrouver et de partager leur passion.

Retrouver une communauté depuis le terrain

La pluie s’accentue au parc des Sport de Bobigny. Le vent se mêle à la partie. Les joueurs, eux, redoublent d’effort. Depuis le bord de terrain, Julien Puech observe. Il est doctorant en STAPS, et prépare sa thèse sur l’intégration des demandeurs d’asile par le sport en France et en Allemagne. « Venir ici leur permet de se recréer un quotidien, plus positif, analyse-t-il. C’est une possibilité pour eux d’avoir une régularité dans la semaine. »

Équipe sans Frontière est là pour offrir à ces réfugiés le moyen de faire du sport, dans de bonnes conditions, avec de l’équipement et un encadrement. Parfois isolés, certains sont encore en situation de demandeur d’asile. Ils arrivent par des associations d’accompagnement, par les CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile), ou même via les communautés elles-mêmes. Les Afghans par exemple sont nombreux à ESF.

C’est le cas de Morton, âgé de 24 ans. Il est arrivé en France il y a quatre ans après un court passage par la Suède. « Avant de venir jouer ici j’étais un peu déprimé, explique-t-il. Avec les autres Afghans dans l’équipe, on s’aide beaucoup, on discute de notre situation, c’est rassurant, on arrive aussi à se voir aussi à l’extérieur du terrain. »

C’est une étape pour trouver des amis, car on arrive tous dans une nouvelle société

Lorsque leur situation se régularise, ces exilés ont moins le temps pour venir s’entraîner, « notamment parce que les postes qu’ils trouvent sont souvent précaires », précise Julien Puech. Pour l’entraîneur bénévole de l’équipe, Tom Champas, à ESF depuis un an, « ici, ils retrouvent plus de liberté. Tant qu’ils ne peuvent pas avoir leurs papiers, ils s’ennuient pas mal, ils n’ont pas le droit de faire grand-chose. Avec ESF, ils peuvent recréer du lien social, appartenir à un collectif, avec des règles communes ».

C’est ce que confie sur le bord du terrain Mohammed, joueur à Équipe sans Frontière depuis 2019. « Ici, on représente un mélange de toutes les nationalités, il y a une super ambiance. C’est une étape pour trouver des amis, car on arrive tous dans une nouvelle société. » Lui est arrivé en France en 2018. Il a quitté l’Afghanistan en 2015, pour la Suède, mais les conditions de vie là-bas l’ont obligé à partir. « Je jouais au foot en Afghanistan, mais pas sur des terrains comme ça. Là, la pelouse c’est plus agréable ! »

Une alternative pour continuer à pratiquer

Beaucoup de jeunes joueurs étrangers viennent en Europe, et notamment en France, pour tenter de devenir professionnels. Selon Lamine Male, l’éducateur en charge de la séance du soir, « c’est très compliqué d’atteindre cet objectif, beaucoup se retrouvent à ne pas savoir où pratiquer le football. Équipe sans Frontière leur permet de poursuivre leur plaisir, de manière plus simple ».

Obtenir une licence auprès de la Fédération Française de Football est assez délicat : « Certains ont un très bon niveau, comme ceux qui ont joué en première division afghane par exemple, décrit Tom Champas. Mais ils ne parlent pas encore bien français, les éducateurs ne sont pas formés pour accueillir un réfugié, et puis la relation avec les autres joueurs peut être compliquée ».

Ici, tout le monde joue, on se débrouille et on se respecte

À ESF, chacun a sa place. C’est ce qui a rapidement plu à Mamadou Moktar Diallo. Âgé de 17 ans, il est arrivé en France il y a un an, depuis la Guinée-Conakry. « Il y a des équipes où il y a des stars, des joueurs plus forts et ceux qui ne se débrouillent pas bien sont laissés sur le côté, déplore-t-il. Mais ici, tout le monde joue, même les matchs, on se débrouille et on se respecte. »

Équipe sans Frontière est inscrite au championnat de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail), qui rassemble vingt équipes en Île-de-France. Fondée en 1934, cette fédération milite pour un accès libre au sport pour tous les citoyens. L’occasion parfois de se faire repérer par des clubs de football de la FFF que ces exilés n’auraient pas pu intégrer autrement.

Un premier pas vers l’insertion

À la fin de l’entraînement, tous les joueurs se retrouvent sur le bord du terrain. Pas de vestiaire ni de douche à disposition, seulement les bancs de touche abrités qui font office de vestiaire pour les affaires. Tous débriefent du match qu’ils viennent de terminer, en français. Il faut dire que ce soir, une dizaine de nationalités se sont retrouvées sur le terrain. Voici un autre apport d’ESF pour ces exilés : l’apprentissage et la pratique de la langue.

Grâce à cette équipe, je peux pratiquer le français

Pour Mamadou, pratiquer le français sur le terrain l’a bien aidé dans sa vie professionnelle. Lui qui était venu en France pour poursuivre ses études, prépare désormais un CAP de métallier. La plupart des joueurs du noyau dur d’ESF, présents dans l’effectif depuis plusieurs années, ont désormais un statut régulier, avec un travail. « Moi, en 2019, je ne savais pas parler français, me confie Mohammed, et grâce à cette équipe-là, je peux pratiquer et m’intégrer dans la société française. »

Il est 21 heures, il reste encore quelques bus qui circulent, le tram 1 et la ligne 7 de métro, à quinze minutes de marche du complexe. À la hâte, Mohammed me glisse : « Je suis défenseur central, et je veux rester ici. Je suis titulaire et fidèle ! ». L’obscurité l’avale, refermant ainsi cette parenthèse footballistique qu’offre Équipe sans Frontière à ces fans de football.

Tanguy Oudoire

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