À l’évocation de son nom, Yoro Diao se lève instinctivement. Sur la scène installée pour l’occasion, un collégien prend la parole pour rendre hommage à l’illustre tirailleur de 95 ans. Ce dernier, avec ses multiples médailles suspendues à sa veste, écoute attentivement l’élève qui lit un extrait de sa biographie. Le moment est suspendu.

Ce vendredi 10 mars, la Porte de Clignancourt fait le plein malgré la pluie et le vent qui s’abattent sur la capitale. Le public est venu assister à cette inauguration tant attendue décidée par le Conseil de Paris en 2021, à la demande d’Aïssata Seck, conseillère en Île-de-France et petite-fille de tirailleurs. L’ancienne élue bondynoise se bat depuis une dizaine d’années pour les droits de ces anciens combattants.

La mairie de Paris est la première municipalité à donner son accord pour attribuer le nom d’une place aux tirailleurs sénégalais. D’autres maires de grandes villes françaises ont été sollicités pour renommer des rues en mémoire des tirailleurs.

Les prises de paroles s’enchaînent pour saluer ces hommes enrôlés par l’armée française lors des deux conflits mondiaux. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a mis en avant l’emplacement de cette place dans le 18ᵉ arrondissement qui est « à l’image de cette France mixte, ouverte et généreuse ».

« Ce lieu va permettre de contribuer au travail de mémoire et à la reconnaissance de cette histoire »

Pour rappel, il a fallu attendre l’année 2017 afin qu’ils obtiennent la naturalisation des tirailleurs grâce au lancement d’une pétition signée par plus de 60 000 personnes.

En 2019, les acteurs associatifs ont interpellé le président de la République, Emmanuel Macron, pour que les commémorations du 75ᵉ anniversaire du débarquement de Provence aient lieu. En effet, le débarquement de Provence du 15 août 1944 est moins célèbre que celui du 6 juin 1944, mais tout aussi important. Et pour cause, lors de cette opération militaire menée dans le sud-est de la France par les alliées, les troupes françaises étaient constitués à 90 % de soldats issus des troupes coloniales venues du Sénégal, d’Algérie, du Maroc, du Pacifique et des Antilles.

Une autre victoire est à souligner pour les vétérans. Depuis janvier 2023 et après une longue bataille administrative, ils peuvent rentrer dans leur pays d’origine pour finir leur vie sans craindre de perdre leur minimum vieillesse. Ils étaient jusque-là dans l’obligation de vivre au moins six mois de l’année en France, pour toucher ce versement.

Permettre aux Français qui ont cette histoire en partage de ne pas se sentir oublier

Le vent souffle toujours aussi fort au moment de la prise de parole d’Aïssata Seck. Le public est attentif au discours de la jeune femme, unanimement saluée pour son combat aux côtés de ceux qu’elles nomment affectueusement « ces tontons ».

« Ce lieu permettra de contribuer au travail de mémoire nécessaire et à la reconnaissance de cette histoire », salue l’élue. Et de souligner que « même si la mémoire a longtemps omis cette partie de l’histoire, je suis ravie qu’aujourd’hui, nous fassions face à celle-ci avec ce geste fort et symbolique permettant aux Français qui ont cette histoire en partage de ne pas se sentir oublier ».

Transmettre une partie de cette histoire de France aux plus jeunes

Lors de la projection du film Tirailleurs à Bondy, en janvier 2023, Aïssata Seck avait fait part d’un projet éducatif autour de l’histoire des tirailleurs qui serait transmis rapidement aux collèges et lycées de France. C’est désormais chose faite puisque des collégiens de l’établissement Utrillo participent à l’inauguration. Ils lisent tour à tour des extraits des biographies des tirailleurs.

On en apprend un peu plus notamment sur Mamadou Hady Bah dont l’histoire est contée par une collégienne. Tirailleur guinéen, engagé dans l’armée française lors de Seconde Guerre mondiale, fait prisonnier en juin 1940. Il est devenu une figure légendaire du maquis des Vosges. Pour l’occupant allemand, il devient le « terroriste Noir ». En décembre 1943, il a été arrêté et fusillé à Épinal, sans avoir parlé.

Des plus jeunes sont venus avec leurs parents. « C’était important d’être présente avec mes enfants pour cette inauguration », déclare Eva, venue spécialement de Normandie pour l’évènement. « Nous avons un devoir de transmission auprès d’eux, ils doivent connaître leur histoire », ajoute cette coach en développement personnel en tenant l’un de ses fils par la main.

Une histoire entre la France et ses anciennes colonies

Les Tirailleurs sont une part importante de l’histoire entre la France, l’Afrique et ses anciennes colonies « c’est important de commémorer, de parler cette relation qu’entretien la France et l’Afrique » pour Antoine, éducateur de 48 ans.

La foule devient compacte au moment où la fameuse plaque avec l’inscription en lettres blanches « Place des tirailleurs sénégalais » est dévoilée sous les applaudissements. Tous se pressent pour prendre des photos et vidéos.

C’est historique d’avoir une telle place pour les tirailleurs qui se sont battus ne serait-ce que pour avoir une retraite décente !

Aux alentours de 12 heures, la cérémonie touche à sa fin. « C’est historique d’avoir une telle place pour les tirailleurs qui se sont battus ne serait-ce que pour avoir une retraite décente ! », s’enthousiasme Marie-Ange. « La place est visible, ce n’est pas caché et ça me fait vraiment plaisir. C’est juste à la sortie du métro, mais je regrette l’absence d’Emmanuel Macron et du chef d’état-major des armées », se désole cette préparatrice physique de 37 ans.

Le président de la République recevait le jour-même le Premier ministre britannique, Rishi Sunak. Dans ce sommet entre les deux pays, un nouvel accord pour lutter contre l’immigration illégale a été conclu.

Un léger rayon de soleil fait son apparition au moment où les quatre tirailleurs s’adonnent à des photos et des interviews, toujours avec le sourire malgré la fatigue. Lorsqu’ils doivent partir, une jeune femme s’avance vers eux. Une nouvelle demande de photo ? Non. Elle souhaite simplement les remercier.

Aïssata Soumaré

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