Un peu avant 8h15, une vingtaine d’enseignants sont rassemblés devant l’établissement. Banderoles et tracts sont de sortie. Le mot d’ordre : « Non au bourrage des classes ! Des moyens retirés à ceux qui en ont le plus besoin ! ». Comme dans trois autres lycées du 93, le personnel éducatif a appris que les effectifs des classes de premières STMG passaient de 24 élèves à 30. En réalité, ils pourront même monter à 35 par classe comme dans les filières générales.

Au lycée Jean Renoir de Bondy, la réduction du nombre d’élèves dans les classes de STMG (sciences et technologies du management et de la gestion) avait été obtenue en 2014 suite à un mouvement de grève de longue haleine. Depuis, chaque année les syndicats des enseignants font des pieds et des mains pour conserver cet acquis. Mais en cette rentrée de 2022, ils assistent à un rétropédalage du rectorat.

Les admissions des élèves en filière technologique ont augmenté, mais pas le nombre de classes de première STMG. « À la fin de l’année scolaire, on était conscients du nombre d’élèves en première STMG pour la rentrée. On a donc demandé au rectorat l’ouverture d’une cinquième classe pour maintenir les effectifs à 24 », explique Philippe Martinais, professeur d’histoire géographie et délégué syndical de Sud Éducation.

Le plus choquant dans cette histoire, c’est que jusqu’à la fin de l’année, la décision n’était pas actée. Le rectorat a attendu que tout le monde soit en vacances pour l’entériner. 

Cette situation intervient dans un établissement déjà surpeuplé avec quelque 1200 élèves. Deux préfabriqués sont installés au beau milieu de la cour pour pouvoir accueillir toutes les classes. C’est ce que dénonce Monsieur Gabin, professeur d’Économie-gestion : « Les conditions d’enseignement dans ces préfabriqués sont déplorables. Il y fait très froid l’hiver et chaud l’été. Ils sont au milieu de la cour donc les élèves passent leur temps à regarder par la fenêtre ce qu’il se passe ». déplore-t-il. Pourtant, la possibilité d’ajouter un troisième préfabriqué a été évoquée.

Pour Monsieur Gabin, les conséquences de cette surcharge des classes sont dramatiques :  « Le problème, c’est d’abord les résultats qu’on a au bac. Tous les inspecteurs qui viennent nous voir sont contents de nos résultats. On est au-dessus de la moyenne nationale en termes de résultats, pour la simple et bonne raison qu’on a des classes à 24. »

Des conditions d’enseignements qui ne cessent de se dégrader

Pour les professeurs aussi, ce changement complique la tâche. « Ce n’est pas le même métier quand on a 35 ou 30 élèves que 24.  Déjà dans ces classes à 24 c’est compliqué avec le public qu’on a. Le temps que l’on passe à expliquer des choses individuellement aux élèves devient sporadique », explique Gabin.

Monsieur Gabin vit sa huitième rentrée des classes dans l’établissement. Il voit les conditions de travail se dégrader d’année en année. Un constat partagé par bon nombre d’enseignants. La grogne monte : « Je n’ai pas le souvenir d’avoir vu autant de professeurs sur un piquet de grève devant le lycée depuis que je suis ici. Et ce ne sont pas que des professeurs des STMG, tout le monde se sent concerné. »

Gréve au Lycée Jacques Feyder, à Epinay-sur-Seine.

Gréve au Lycée Jacques Feyder, à Epinay-sur-Seine.

Le lycée Jacques Feyder, à Epinay-sur-Seine, où nous nous sommes également rendus lundi matin, connaît la même problématique. Sur le piquet de grève, le bilan des profs sur la situation est similaire : « Quand on a 24 élèves, on peut s’occuper d’eux individuellement, en particulier ceux qui sont le plus en difficulté ». explique Emmanuelle Posse, professeur de philosophie depuis 28 ans.

« Il y a pas mal de lycées qui sont en grève à cause des classes surchargées, mais pas seulement, ajoute Emmanuelle Posse. Il y a également la question des postes non pourvus ou des emplois du temps mal construits du fait de la réforme Blanquer. »

L’éducation de nos enfants n’est pas une priorité pour le gouvernement 

Kader Chibane, conseiller régional au groupe pôle écologiste de Saint-Ouen, considère que ce problème demeure récurrent, et surtout en Seine-Saint-Denis. « Aujourd’hui, dans notre pays, l’éducation de nos enfants n’est pas une priorité pour le gouvernement, note-t-il. En plus, nous sommes dans un département ou il faudrait mettre davantage de moyens. » Il poursuit : « On devrait même avoir des classes à 20. Là, nous avons des classes à 30 ! »

Le bilan est unanime : La réussite des élèves dépend en grande partie d’un nombre d’élèves limité à 24 par classe. Pour atteindre ce chiffre, Mathieu Glaymann, parent d’élève et coprésident de la FCPE au lycée Jacques Feyder D’Epinay-sur-Seine propose qu’il y ait une classe supplémentaire par établissement. « Ce qui reviendrait à la création d’une classe par territoire. Cela ferait déjà 100 élèves. Du coup ça ferait diminuer les moyennes un peu partout. C’est tout à fait possible. En gros, ça ferait à peu près 120 heures à trouver sur tout le département », expose-t-il.

Vers une poursuite de la grève pour faire plier le rectorat

A Bondy, dans la foulée du piquet de grève, les professeurs du lycée Jean Renoir ont organisé une assemblée générale. Une quarantaine d’entre eux étaient présents. Ils ont majoritairement décidé de reconduire la grève mardi et de demander une audience au rectorat. Ils vont également organiser une opération d’occupation nocturne de l’établissement jeudi soir.

« On y invitera les parents afin de discuter de la situation, explique Philippe Martinais. Ça marque la volonté très claire de ne pas accepter ce passage en force du rectorat. On a l’impression qu’il y a très peu d’heures à débloquer et que peu d’établissements sont concernés, cette situation n’est pas insoluble. »

La ténacité des enseignants pourrait bien se révéler payante. Le rectorat de l’académie de Créteil, que nous avons contacté, affirme être conscient depuis le mois de janvier de l’augmentation significative des demandes d’affectation en classe de STMG des élèves et mettre tout en œuvre pour accompagner au mieux les établissements.

« Les derniers abondements en heures de ces établissements sont en train d’être décidés. La situation devrait être stabilisée d’ici la fin de la semaine », nous a-t-on affirmé. D’après le rectorat, ces dotations en heures devraient suffire à ces lycées – s’ils le décident – à ouvrir une classe supplémentaire pour absorber les augmentations d’effectifs.

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